Cette expression semble induire un processus qu’on ne trouve nulle part dans le droit français. Sans doute s’agit-il d’un abus de langage, qui ne prêterait pas à confusion si le sujet n’était pas si grave. Malheureusement, je le constate par de fréquentes conversations, cette confusion est bien réelle.
Le droit du sol est évoqué le plus souvent à propos de Mayotte ou de la Guyane, en suggérant dans les deux cas qu’une femme étrangère venue accoucher dans une maternité en France (à Maripasoula ou à Mamoudzou) concevrait de facto un enfant français. Cette assertion est fausse. En Outre-mer comme en Métropole, une femme étrangère qui accouche sur la terre de France, qu’elle soit immigrée ou touriste, ne donne pas naissance à un nouveau Français. On ne devrait d’ailleurs pas s’insurger de voir des femmes préférer les soins d’une maternité moderne pour donner naissance, car cette situation honore la France, qui finance par ailleurs, partout dans le monde, des maternités sur les crédits de la coopération.
S’il existe plusieurs façons de devenir français, ce cas de figure n’en relève pas. Les principes d’acquisition de la nationalité française sont énoncés dans le Code civil, l’un de nos rares codes demeurés cohérents. Les principes qui le fondent ont peu bougé au cours de l’Histoire et ils restent fidèles à l’esprit de la loi fondatrice du 26 juin 1889, elle-même l’un des piliers des lois fondamentales de la IIIème République (sur l’école, la presse, les associations, la démocratie locale...), que les imprudences parlementaires sont parfois tentées de détricoter. Pour qu’un enfant naisse français, il est nécessaire que l’un de ses parents soit français (c’est le « droit du sang ») ou que l’un de ses parents, quoiqu’étranger, soit né en France (c’est le double droit du sol). Cette dernière disposition est de peu d’effet, car le processus d’accès à la nationalité française fait qu’un étranger né en France est le plus souvent déjà devenu français quand il se trouve en âge de procréer.
L’enfant né en France de parents étrangers ne devient français qu’à sa majorité s’il est resté en France depuis sa naissance. C’est ce que le droit appelle « l’acquisition de la nationalité au titre de la naissance et de la résidence ». Croisée avec la loi sur la scolarité obligatoire, cette disposition signifiait que quiconque avait suivi de manière continue l’enseignement de l’école publique était devenu, par construction, un Français. A l’époque, la nationalité était un droit, mais elle était aussi un devoir. Par souci de cohérence, ce nouveau Français devait effectuer son service militaire, gage d’intégration définitive dans l’espace de la Nation. La conscription n’existe plus, mais l’école publique demeure, et elle est toujours le coeur battant de la République.
Ce principe général a été amodié plusieurs fois depuis 1889. L’acquisition est automatique à l’âge de 18 ans, si le jeune adulte a passé cinq années en France depuis l’âge de onze ans, c’est-à -dire s’il a suivi les quatre classes du collège et la classe de seconde du lycée. La résidence est d’ailleurs le plus souvent vérifiée à travers les certificats de scolarité. Plus récemment, le Parlement a introduit une hypothèse de discontinuité de la résidence, qui atténue malheureusement le principe initial, et des possibilités d’acquisition par anticipation, d’abord à l’âge de 16 ans, ensuite à l’âge de treize ans. Ces acquisitions anticipées sont accordées par les greffes des tribunaux d’instance. Ils font l’objet d’un dépôt de dossier et d’un entretien.
Concernant Mayotte ou la Guyane, la question serait soulevée si la mère de famille était demeurée, en situation irrégulière, durant les treize années au moins qui avaient suivi l’accouchement. On ne peut exclure que des fraudes existent mais un rappel des procédures aux greffiers qui en ont la charge devrait en limiter la portée. On peut d’ailleurs se demander si ces procédures qui encombrent les greffes ne devraient pas plutôt relever des bureaux des préfectures, chargés, eux, de vérifier la régularité du séjour des parents. A Mayotte, de nombreux enfants demeurent seuls, livrés à eux-mêmes, et ce sont leurs bandes qui sèment la terreur sur les routes de l’archipel. Pour la plupart d’entre eux, ils ne vont pas à l’école. On en voit pas bien, comment, dans ces conditions, ils pourraient déposer spontanément une demande d’acquisition de la nationalité au titre de leur résidence.
L’essentiel des fraudes, en Outre-mer comme en métropole, ne portent pas sur ce point mais sur la disposition qui fait français l’enfant de Français. On voit, dans ce cas, des pères, le plus souvent contre rémunération, déclarer des naissances d’enfants qu’ils n’ont pas conçus. A Mayotte, l’affaire a pris une telle ampleur que les services de l’Etat en sont venus à contrôler l’effectivité de la prise en charge du séjour à la maternité de la parturiente par le père putatif. L’affaire n’est pas propre à l’Outre-mer ; on retrouve des cas semblables dans les banlieues françaises.
Cette procédure est évidement plus efficace si l’ambition de la mère de famille était de demeurer en France. Car le statut de « parent d’enfant français » ouvre la porte à une régularisation de sa situation au regard du séjour. C’est d’ailleurs l’une des voies les plus simples à utiliser pour qui veut échapper à la menace d’un retour forcé. La fraude vaut aussi pour une part des enfants dits « MNA » débarqués en France sans parent, pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance et qui, au titre d’une disposition qui leur est propre, deviennent Français à leur majorité, pouvant générer aussitôt l’arrivée de toute la famille restée « au pays ».
La vraie question, sur tous ces sujets, comme en matière de fiscalité ou de code de la route, est le degré de tolérance de la fraude acceptée par la société. En matière d’étranger, on voit bien que le seuil est relatif. Une partie des familles, y compris à Mayotte, s’accommode de la présence d’étrangers en situation irrégulière qui fournissent des services utiles contre de faibles rémunérations, quand une autre partie s’inquiète de la concurrence déloyale que fait peser la main-d’oeuvre irrégulière sur le niveau des salaires. A Mayotte comme en Guyane, la question culturelle est très secondaire, contrairement à la métropole, où l’arrivée massive de familles porteuses de valeurs claniques mettent en cause la relative harmonie qui devrait présider à la vie en société.
La vraie question est peut-être celle de la délinquance et du crime. Pour avoir beaucoup observé les quartiers, je suis persuadé que l’acquisition à treize ans, alors que le consentement de l’enfant est encore relatif, est trop précoce. A seize ans, en revanche, l’adolescent est capable de comprendre que la possession de la nationalité française ne se réduit pas à l’acquisition d’une carte d’identité, d’autant que la France, très libérale sur ce point, autorise le nouveau Français à conserver sa ou ses nationalités antérieures, qu’il pourra d’ailleurs transmettre à ses enfants. Je pense que nous devrions assortir la délivrance de la nationalité d’une période probatoire, au-delà de laquelle l’administration serait amenée à juger de la bonne appréhension par le demandeur de la Loi française. Ce « sursis » serait peut-être de nature à retenir les fauteurs de troubles des quartiers à incendier les écoles ou agresser des pompiers.
Au-delà , la délivrance quasi-automatique de la nationalité française à de jeunes personnes, sans autre forme de cérémonie, vide l’introduction dans la citoyenneté française de l’essentiel de sa portée. Elle devient un acte administratif comme un autre. Cette absence de « mise en scène » est d’autant plus étonnante qu’elle existe pour les naturalisés, qui ont déjà parcouru un long chemin avant de voir aboutir leur rêve. A aucun moment de sa démarche, le jeune est informé de la nature de son engagement vis-à -vis de la Nation. Beaucoup de ceux que je rencontre semblent même ignorer qu’ils sont français. â–
*Dernier livre publié : « Le défi d’être Français » aux éditions Presses de la Cité.