Il s’est ainsi distingué, dès sa prise de fonction, par des prises de positions assez claires et guère surprenantes, du moins venant de lui. D’une part, il est favorable au rétablissement du cumul des mandats, d’abord pour lui-même et, d’autre part, il souhaite introduire la proportionnelle pour les élections législatives.
Rappelons qu’à ce jour, le cumul des mandats n’est pas interdit et que la loi autorise de cumuler deux mandats électifs, mais la loi de 2014 rend tout mandat parlementaire incompatible avec un mandat exécutif local. Cette limitation ne s’applique pas à l’égard des membres du Gouvernement, dont les incompatibilités sont régies par la Constitution, laquelle interdit de cumuler des fonctions gouvernementales et parlementaires (contrairement à ce que permettent bon nombre de régimes parlementaires), mais permet d’exercer concomitamment les fonctions de membres du Gouvernement et de chef d’un exécutif local. Malgré tout, à quelques exceptions près, depuis 1997 et le Gouvernement de Lionel Jospin, la tradition voulait qu’un Ministre renonçât à ses fonctions de Maire ou de Président d’un département ou d’une région. Édouard Philippe et Jean Castex, parmi d’autres, l’avaient parfaitement illustré.
François Bayrou a annoncé vouloir continuer à exercer son mandat de Maire de Pau, pendant qu’il est à Matignon. Le cumul des fonctions gouvernementales et exécutives locales, quoique permis par notre droit, est une incongruité, voire une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs (elle a fait l’objet de la proposition n° 64 portée au sein du GRÉCI), le Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions (65 ans de Vème République : une analyser prospective de la Constitution, LexisNexis, 2024, p. 256). Ce dernier ne pose pas tant une séparation organique ou fonctionnelle entre les pouvoirs que la mise en place de mécanismes de pouvoirs et de contrepouvoirs, destinés à établir des moyens de contrôle réciproque, conduisant à un équilibre et évitant les dérives, qui pourraient devenir tyranniques. Ces mécanismes opèrent à tous les niveaux : entre Parlement et Gouvernement, entre pouvoir central et pouvoirs locaux. Les autorités locales (maires, présidents de collectivités) sont ainsi placées sous le contrôle de légalité du préfet, lequel représente le Gouvernement au sein des collectivités territoriales, en étant soumis au pouvoir hiérarchique du Ministre de l’Intérieur et du Premier ministre. Dès lors, si un préfet contrôle la légalité des actes d’un maire tout en étant soumis à l’autorité du Premier ministre, mais que maire et Premier ministre sont la même personne, on est inévitablement confronté à un conflit d’intérêt manifeste, tout en remettant en cause les mécanismes destinés à assurer un équilibre par le jeu des pouvoirs et contrepouvoirs.
Par conséquent, au-delà de la seule question du temps que prend l’exercice des fonctions de chef de Gouvernement, qui rendent difficilement crédible la possibilité de se consacrer à sa mairie, c’est bien le respect des principes de la séparation des pouvoirs et de l’exemplarité démocratique qui commanderaient de renoncer à un tel cumul.
La situation est toute autre concernant le cumul à l’égard des parlementaires. Si les fonctions parlementaires sont tout autant un « job à plein temps » que le sont les fonctions gouvernementales, le mandat parlementaire suppose un ancrage territorial, lié à une circonscription et la réforme de 2014 a contribué à la déterritorialisation des députés, sans en être le facteur exclusif (il faut y ajouter l’arrivée d’une nouvelle génération de députés peu ancrés localement, en 2017).
Ce cumul revêtait au moins deux autres avantages. D’une part, le chef d’un exécutif local bénéficie, au sein de son cabinet, de collaborateurs supplémentaires lui permettant de mieux travailler. Certes, il n’est pas question de mobiliser un collaborateur rémunéré par la commune pour des travaux exclusivement parlementaires, mais les travaux sont souvent liés : la gestion du secrétariat, de l’agenda ou la préparation de notes et de réflexions sur des enjeux locaux peuvent être ensuite utilisées dans le cadre des tâches législatives. Ainsi, ce cumul permettrait de mieux travailler, à l’heure ou des moyens font cruellement défaut.
D’autre part, un tel cumul renforce l’indépendance du parlementaire vis-à-vis de son parti et du Président, s’il est dans la majorité. Bien souvent, l’étiquette partisane (l’investiture par un parti pour une élection) contribue grandement à l’identification du candidat et à sa victoire, le cas échéant. Les partis président ainsi, assez largement, à la destinée des candidats, mais aussi des élus, étant en mesure de ne pas les réinvestir si jamais ils devaient s’écarter de la ligne du parti. À l’inverse, un député implanté et identifié localement, en étant également maire ou Président d’un exécutif, devrait moins s’en soucier puisque son identification auprès des électeurs provient moins de l’étiquette partisane que du contact direct qu’il nourrit avec eux : plus un élu sera implanté et identifié localement, plus il devra son élection à lui-même et moins il le sera, plus il la devra à son parti.
Ainsi, le rétablissement d’une certaine forme de cumul des mandats assurerait un meilleur rattachement des parlementaires au territoire, de meilleures conditions d’exercice de leur mandat et une plus grande indépendance. Malgré tout, ce n’est certainement pas l’unique solution ni l’unique voie à explorer pour y aboutir. En effet, une réflexion sur le statut du parlementaire pourrait être engagée, afin d’apprécier comment il pourrait être mieux associé à la vie des collectivités dont il est issu.
Enfin, tel un « marronnier », l’introduction du scrutin proportionnel aux élections législatives revient régulièrement dans le débat public. Les arguments des thuriféraires d’un tel mode de scrutin sont connus : il serait plus démocratique, il permettrait de mieux représenter la diversité des forces politiques, il serait plus fidèle aux choix des électeurs et il serait donc mieux accepté par eux. Si tel était effectivement le cas, pourquoi n’est-il pas introduit ? Pourquoi Jacques Chirac, devenu Premier ministre en 1986, s’est-il empressé de rétablir le scrutin majoritaire et d’effacer ce que François Mitterrand avait fait ? Est-ce à dire qu’il n’est pas un démocrate, à l’instar de ceux qui, après lui, promirent de l’implanter, pour finalement renoncer ? Il n’en est rien, car les arguments régulièrement avancés en faveur du scrutin proportionnel ne résistent pas à une analyse minutieuse.
Au regard des résultats électoraux de 2022 et, a fortiori, de 2024, on peut difficilement soutenir qu’il n’y aurait pas de diversité dans la représentation : on compte aujourd’hui onze groupes parlementaires à l’Assemblée nationale. Par conséquent, la nécessité d’introduire une part de scrutin proportionnel afin d’assurer une meilleure représentativité ne se justifie pas. À l’inverse, cette introduction rend le scrutin plus complexe, ce qui est rarement un facteur de confiance des électeurs, car le scrutin majoritaire a le mérite de la simplicité là où le scrutin proportionnel a le travers de la complexité et offre, d’ailleurs, de très nombreuses voies différentes pour sa mise en place (un ou deux tours, prime majoritaire ou non, seuils d’accès à la représentation, etc.).
Ensuite, la démocratie, comme « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », est certes tournée vers le « peuple », mais aussi vers le « gouvernement », qu’il ne faut pas oublier. Or gouverner, c’est décider et, pour décider, il ne faut point être entravé. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut décider de façon unilatérale, sans discussion aucune, mais il ne faut pas non plus verser dans l’excès inverse, consistant à associer une multitude de partenaires à la prise de décision, conduisant à des négociations éternelles et perpétuelles, empêchant toute décision efficace. Surtout dans un pays où la recherche du compromis est davantage associée à la compromission qu’à la sagesse.
Le scrutin majoritaire favorise l’émergence d’une majorité, donc la prise de décision sans, pour autant, nier l’existence de minorités… ni garantir que cette majorité sera systématique, comme on l’expérimente actuellement, avec toutes les difficultés qu’on connaît. De surcroît, les minorités sont associées à la prise de décision, comme ce fut d’ailleurs systématiquement le cas dans les Gouvernements de la Vème République, pourvu qu’elles soient constructives et s’inscrivent dans la politique majoritaire.
Surtout, le scrutin proportionnel engendre des négociations de coalition postérieures au scrutin, qui échappent donc aux électeurs et qui peuvent même aller à l’encontre de ce qui leur a été exposé pendant la campagne électorale. À l’inverse, le scrutin majoritaire impose une négociation antérieure au scrutin, pour que des candidatures communes et d’union soient présentées dans les circonscriptions, afin de concentrer les voix et d’obtenir le score le plus élevé. Les accords sont donc soumis aux électeurs, qui peuvent alors opérer un choix démocratique et éclairé. Comment les électeurs du Parti socialiste lors d’élections législatives à la proportionnelle auraient-ils réagi si, après une campagne les distinguant franchement de La France insoumise (à l’instar de celle des européennes de juin dernier), le Parti se serait finalement rapproché de cette dernière ? Certainement pas en clamant que c’est démocratique…
En définitive, la bonne marche d’une démocratie repose sur plusieurs équilibres. L’un d’entre eux réside dans la nécessaire représentation du peuple, dans sa diversité, à travers des mécanismes accessibles et compréhensibles, qui permettent la fluidité de la prise de décision. Le scrutin proportionnel n’y contribue pas autant que le scrutin majoritaire et le marronnier qu’il constitue pourra, une fois encore, être perçu comme un argument électoral, davantage destiné à satisfaire les ambitions personnelles de ceux qui l’avancent que les attentes démocratiques d’un peuple déjà effectivement représenté. ■