L’histoire n’est pas finie. Les relations d’hier entre les pays Africains et la France ne seront pas celles de demain. Mais elles perdureront car nous avons une histoire en partage, des liens vigoureux et la volonté commune de rester de véritables partenaires.
Certes, nous connaissons aujourd’hui une période difficile avec un rejet du modèle que nous portions, et dont nos compétiteurs profitent. Mais je reste convaincu que les Africains sauront reconnaître en la France un partenaire fiable et soucieux de construire un avenir commun, sur des bases renouvelées. En outre, n’oublions pas que ce tableau noir, que beaucoup aiment à dresser, ne concerne que certains pays africains et met en exergue la présence encore aujourd’hui des bases permanentes militaires françaises.
Ceci étant dit, il n’était pas question de se voiler la face. Nos partenaires historiques ont décidé de prendre leur distance pour des raisons dont nous avons pris acte. Alors que le continent africain reste une terre d’avenir, à nous maintenant de trouver les voies du renouvellement de cette relation pour poser les fondations d’un partenariat durable pour lequel nous avons un intérêt réciproque. Pour réussir ce virage et retrouver des relations apaisées, je pense que l’enjeu principal est d’assumer nos intérêts et de les adapter en permanence à ceux exprimés par nos partenaires, le tout, dans un contexte sécuritaire, économique et culturel en constante évolution.
Je crois qu’on touche ici au fondement de la mission que le Président de la République m’a confié, il y a un an. Après le départ forcé de nos forces armées du Sahel, il a décidé que la France devait réduire sa présence permanente pour ne plus subir de telles déconvenues et dans le même temps, pour s’adapter aux aspirations de nos partenaires et de leur populations de voir la relation évoluer.
Toutefois, il était impensable d’imposer, sans concertation et de manière unilatérale, un départ de nos militaires à des pays amis qui, de surcroît, doivent faire face à une dégradation sécuritaire inquiétante. Il s’agissait plutôt de trouver, par un dialogue permanent et une écoute réciproque, la meilleure façon dont nous pouvions continuer de travailler ensemble tout en réduisant la présence permanente de nos forces sur place.
Ainsi, j’ai eu pour mission de me rendre dans les pays où des bases permanentes françaises subsistent : la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Tchad et le Sénégal. Djibouti, davantage tourné vers l’océan Indien ne faisait pas partie de mon périmètre. A l’exception du Sénégal, dont le contexte politique ne me le permettait pas (élections présidentielles puis législatives), je suis allé à la rencontre des autorités de chacun de ces pays.
J’ai expliqué à ces partenaires les difficultés de surexposition que posaient la présence permanente de nos forces ; et ils ont compris. En retour, durant des entretiens qui se sont toujours déroulés dans le meilleur esprit, j’ai été attentif à leurs demandes. Et finalement, le constat a été unanime : dans chacun de ces pays, j’ai reçu un accueil positif du projet de renouvellement de notre relation sécuritaire. Tous ont convenu que la qualité de notre partenariat n’était pas liée au nombre de soldats présents sur place, mais bien au soutien que nous apporterons au renforcement de leur capacités souveraines afin de leur permettre, demain, de contrer les menaces en matière de terrorisme, de piraterie, de pillage des ressources etc. Ainsi, les discussions ont conclu à la nécessité de poursuivre les efforts en termes de formation, d’entrainement, de renseignement et d’équipement. Mais pas seulement, ces échanges ont permis également de souligner l’exigence d’accompagner ces évolutions dans une approche globale de refondation de nos relations bilatérales. Aussi, les deux tiers des recommandations que j’ai soumises au Président de la République dans le rapport que je lui ai remis le 25 novembre dernier, concernent des aspects multidirectionnels.
Soyons lucides, les formes de coopération d’hier n’ont effectivement plus leur raison d’être dans le monde d’aujourd’hui. Nous souhaitons donc réduire la voilure au profit de la montée en puissance de nos partenaires. C’est d’ailleurs tout le sens de la rétrocession en cours des bases françaises au Gabon et en Côte d’Ivoire. Quand le Président Ouattara annonce, lors de ses vœux du 31 décembre, le retrait concerté et organisé des forces françaises, il s’approprie pleinement les conclusions de nos échanges. Il va dans l’exacte direction des discussions que nous avions eues, c’est-à-dire vers l’effacement progressif, et non brutal, de notre présence permanente au profit d’un partenariat d’une autre nature.
De même, s’agissant de la volonté des autorités tchadiennes ou sénégalaises de demander la fermeture des bases françaises, elle répond à notre objectif à terme d’une moindre empreinte pour une moindre exposition. Pour rappel, ce processus de reconfiguration du dispositif militaire a débuté depuis plus d’une année dans les quatre pays du périmètre de ma mission.
Pour le Tchad, je dois toutefois reconnaître que nous n’avions pas anticipée cette rupture soudaine des accords de défense. La qualité des discussions engagées depuis mon déplacement en mars 2024, puis les nombreux échanges au niveau technique répondant aux attentes tchadienne notamment sur le plan capacitaire, et l’apaisement des relations entre notre Président et son homologue présageaient d’une poursuite de la relation en matière de défense. Mais naturellement, parce que nous n’avons pas à juger en opportunité les décisions d’un pays souverain, les autorités françaises ont immédiatement pris acte de cette rupture et nos militaires ont quitté le pays. Quant au Sénégal, l’élection du nouveau président puis les demandes de temps de réflexion sur la présence militaire française pouvaient laisser présager d’une volonté de fermeture rapide de notre base.
Pour autant, ces annonces ne signifient pas, à l’image de ce que nous pouvons faire ailleurs en Afrique, la rupture de nos relations. Nous avons de multiples exemples de partenariats réussis, dans des divers domaines, avec des pays africains où il n’a pas de présence militaire permanente.
Enfin, je voudrais conclure sur ce que trop de détracteurs appellent la perte d’influence française en Afrique. J’ai mené au cours de cette mission près de trois cents entretiens auprès des autorités politiques, des représentants de la sociétés civiles, des chercheurs, des journalistes, des acteurs économiques, culturels et de l’aide au développement. En deuxième partie de mission, j’ai rencontré la quasi-totalité de nos partenaires européens, je suis allé au SEAE et au quartier général de l’OTAN avec pour objectif d’expliquer notre nouvelle posture sur le continent.
Même si je ne veux pas minimiser un narratif négatif à notre encontre dans certains pays africains qui, je tiens à le rappeler, est largement alimenté par une campagne féroce dans la champ informationnel orchestrée par nos compétiteurs agressifs russes, la France a encore toute sa place en Afrique. J’ai entendu des acteurs économiques français me dire combien l’Afrique restait une terre de développement pour leur entreprise, présence militaire ou non, et dont le rayonnement attire bon nombre de jeunes africains. J’ai entendu nos partenaires européens me rappeler que nous restions leader sur le continent et qu’ils comptaient sur nous et notre expertise. Au Gabon, où la rétrocession de la base est en cours, j’ai entendu les autorités nous réaffirmer leur volonté de préserver le partenariat avec la France.
Nous avons compris, sans doute un peu tard - mais comme j’aime à le répéter, nous n’avons pas la machine à remonter le temps - que le continent africain a changé et qu’il fallait nous adapter à d’autres attentes, à d’autres point de vue, à la présence d’autres acteurs. A nous d’être résilients à travers ces partenariats renouvelés pour répondre aux enjeux migratoires, terroristes et climatiques de l’Afrique, et continuer à défendre, ce qui me parait être le triptyque incontournable d’une stabilisation du continent, la sécurité, la bonne gouvernance et le développement. ■