“Il y a urgence à agir et à sensibiliser le grand public : TikTok est dangereux !” lance sans prendre de gants le président de la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok, Arthur Delaporte. « C’est un sujet de société qui concerne tout le monde » embraye la rapporteure, Laure Miller.
Après six mois d’enquête et des dizaines d’auditions, la commission d’enquête a rendu son rapport le 4 septembre « et il a été adopté à l’unanimité, souligne le président Delaporte, ce qui ne veut pas pour autant dire que toutes les propositions font l’unanimité » ajoute malicieusement celui qui fera entendre sa petite voix discordante tout au long de la conférence de presse. Mais tout le monde est au moins d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire la dangerosité du réseau social chinois. Cette commission d’enquête « a ouvert le capot de la machine TikTok et ce que l’on y a vu n’est pas très beau » explique Laure Miller qui a un train d’enfer va décrire la situation et présenter ses propositions.
Le premier élément à prendre en compte est celui du « succès » d’audience des réseaux sociaux en général et de TikTok en particulier auprès des jeunes. Les chiffres sont sans appel et font froid dans le dos. D’après le CREDOC, 96 % des Français de 12 à 17 ans possèdent un smartphone. Depuis 2020, le temps passé par les Français sur les réseaux sociaux a augmenté de 86 % (Médiamétrie) et « TikTok a bénéficié de la hausse la plus importante : l’application a gagné 354 % d’utilisateurs en plus entre janvier 2020 et janvier 2025 » pointe la commission. Plus inquiétant encore : 42 % des enfants de 12 à 17 ans passent en moyenne de 2 à 5 heures par jour devant leur smartphone. Une étude de l’association e-Enfance a également révélé que 24 % des mineurs équipés d’un smartphone ne tiendraient pas plus d’une heure sans celui-ci (28 % pour les lycéens et 22 % pour le primaire). Enfin, selon e-Enfance 86 % des Français de 8 à 18 ans sont inscrits sur les réseaux sociaux (67 % des élèves du primaire et 65 % des enfants de 6 à 8 ans).
Que les enfants passent du temps sur les réseaux et TikTok est déjà en soi une préoccupation mais plus inquiétant encore c’est bien ce qu’ils regardent. « Les contenus les plus néfastes pullulent sur TikTok et bénéficient de la plus large audience : suicide, automutilation, canons de beauté malsains, désinformation médicale, violences, discriminations, racisme, antisémitisme, sexisme, pédocriminalité, revenge porn, etc ».. TikTok est « un océan de trash », « un réseau hors de contrôle à l’assaut de la jeunesse » dénoncent les députés qui pointent son algorithme conçu non pas pour l’intérêt manifeste de l’enfant mais pour « capter l’attention à tout prix » pour qu’il y « reste le plus longtemps ». « Il met ainsi en avant les contenus les plus trash, ceux qui attirent l’attention de façon malsaine comme l’accident au bord de la route que l’on ne peut s’empêcher de regarder » expliquent les élus.
Comme l’indique son intitulé, la commission s’est ensuite interrogée sur les effets psychologiques de TikTok sur les jeunes. Reconnaissant que ces effets même « bien identifiés » sont difficiles à évaluer, la rapporteure a commencé par rappeler les « effets évidents » de l’utilisation de TikTok sur la santé physique des enfants en évoquant avant toute chose, les effets sur le sommeil. Addicte au réseau, l’enfant perd toute notion de durée et prend souvent sur son temps de sommeil avec pour conséquences des problèmes de concentration et de développement cognitif mais aussi de repli sur soi, de violence banalisée, d’anxiété, d’irritabilité, de tolérance à l’ennui en baisse et de repli sur une bulle identitaire. Ces évidences largement partagées par la communauté scientifique « imposent l’application d’un principe de précaution » juge-t-elle et d’autant plus que les mineurs « ne sont pas des utilisateurs comme les autres » mais « des publics particulièrement vulnérables, devant faire l’objet d’une attention spécifique et d’une protection renforcée ». « Un lien de corrélation clair apparaît entre la dégradation de la santé mentale des jeunes et une utilisation intensive des réseaux sociaux » insiste la députée de Reims.
En auditionnant les responsables Europe et France de TikTok, les élus ont été « choqués » de voir à quel point elles avaient « connaissances des risques inhérents à l’utilisation des réseaux sociaux » mais n’en informaient pas le public. « Cet art de botter en touche et de feindre la naïveté » a eu le don d’agacer au plus haut point les membres de la commission. Estimant que « TikTok a délibérément mis en danger la vie de ses utilisateurs » Arthur Delaporte a ainsi expliqué avoir saisi la justice « car il me paraît très clair que TikTok est au courant des contenus problématiques sur sa plate-forme qui peuvent pousser les jeunes au suicide. Les conséquences de leur déni et de leur inaction sont tragiques ».
Au-delà de cette action en justice du député PS de Calvados, Laure Miller fait dans son rapport 43 recommandations pour « sortir nos enfants du piège TikTok » et ayant « vocation à s’appliquer à l’ensemble des réseaux sociaux ». Sans pour autant en venir à l’interdiction du réseau chinois, mesure qui serait « inefficace » et « fragile du point de vue juridique », Laure Miller propose d’interdire les réseaux aux moins de 15 ans (hors messagerie). Une proposition qui ne satisfait pas Arthur Delaporte qui estime que « c’est d’une certaine manière admettre que nous avons renoncé à réguler les géants du numérique » écrit-il en avant-propos du rapport. Mais l’un et l’autre s’accordent toutefois sur la nécessité d’un renforcement du contrôle de l’âge des utilisateurs sur les plateformes. La députée de Reims préconise aussi un « couvre-feu numérique » pour les 15-18 ans, de 22 heures à 8 heures.
La rapporteure cible aussi l’Education nationale en militant « pour une décroissance digitale ». La rapporteure estime en effet que l’Ecole est peut-être allée trop loin en matière de numérisation (tablette, cours, notes, devoirs sur le net…) avec le risque d’habituer toujours plus les enfants aux écrans. « Comment sérieusement essayer de tenir nos enfants le plus possible éloignés des écrans, quand on leur demande de se connecter, sitôt rentrés de l’école, à Pronote ou tout autre logiciel, pour récupérer leurs devoirs ? » se demande-t-elle. « Certains pays du nord de l’Europe sont revenus en arrière après avoir constaté qu’il n’y avait pas d’intérêt pédagogique à mettre du numérique partout. Faisons de même et limitons le numérique au strict nécessaire ». La députée insiste également pour pérenniser le dispositif « portable en pause » dans les collèges et les écoles élémentaires. Elle veut aussi interdire l’usage du portable dans tous les lycées (cela dépend du règlement intérieur aujourd’hui).
Le rapport veut aussi mieux sensibiliser les parents en intégrant par exemple dans le carnet de santé un message relatif à l’utilisation des réseaux sociaux. La députée va plus loin en ouvrant un débat sur la création d’un « délit de négligence numérique » afin « de sanctionner les manquements graves de certains parents à leurs obligations de protection de la santé et de la sécurité de leurs enfants face aux outils numériques ».
Confiante, la députée juge qu’il y a là « un sujet qui peut nous rassembler et sur lequel on doit agir vite ». « Notre Assemblée nationale est morcelée, mais s’il y a un sujet sur lequel droite, gauche, voire extrême droite et extrême gauche peuvent s’entendre, c’est bien celui-là, car il s’agit de protéger les plus jeunes, les plus vulnérables en ligne » Laure Miller entend en parler rapidement au premier ministre pour que le gouvernement envisage rapidement un projet de loi. Et sinon, la députée pourrait déposer une proposition de loi.
Dans la foulée de la présentation « trompeuse » du rapport, TikTok a vivement réagi dénonçant un rapport qui cherche « à faire de notre entreprise un bouc émissaire face à des enjeux qui concernent l’ensemble du secteur et de la société » alors même que la plateforme mène « depuis longtemps une politique exigeante en matière de sécurité et de protection de ses utilisateurs ». ■
Après le rapport, la proposition de loi
Laure Miller l’avait annoncé, la députée a déposé une proposition de loi visant à lutter contre « les effets dévastateurs » des écrans.
Le rapport parlementaire rendu en septembre dernier mettait en garde contre les effets « dévastateurs » de TikToK (voir ci-dessus). Il plaidait pour la mise en place d’un certain nombre de mesures que la députée de Reims (Ensemble pour la République) a repris en grande partie dans la proposition de loi déposée mi-novembre. Un texte qui vise à « protéger les mineurs des risques auxquels les expose l’utilisation des réseaux sociaux ». La principale mesure de la proposition de loi concerne l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Les fournisseurs de services exerçant leur activité en France devront veiller à l’âge des utilisateurs et supprimer les comptes déjà créés par des mineurs. Pour y arriver, ils pourront utiliser « des solutions techniques conformes à un référentiel élaboré par l’Arcom ». Autre mesure avancée dans le texte « qu’il faut encore débroussailler, notamment sur le plan technique, mais qu’il faut mettre sur la table », la mise en place d’un « couvre-feu numérique » pour les mineurs entre 15 et 18 ans entre 22 heures et 8 heures. La mesure est présentée comme « un moyen efficace de préserver le sommeil des adolescents » et « un repère clair et uniforme pour tous les parents ».
Lors des auditions de la commission d’enquête, plusieurs collectifs de familles avaient dénoncé l’algorithme « mortifère » de TikTok en justice et ses effets sur la santé mentale des enfants dont certains se sont suicidés. La proposition de loi de Laure Miller tient compte de ces plaintes en obligeant dans son article 2, les hébergeurs à s’assurer de ne pas diffuser de contenus « constituant de la propagande ou de la publicité en faveur de moyens de se donner la mort ».
La députée veut aussi faire de la prévention avec l’introduction dans le code de santé publique d’articles visant à informer sur « les risques d’un usage incontrôlé des réseaux sociaux, notamment chez les plus jeunes ». Ce qui pourrait permettre aussi d’inscrire sur les emballages des smartphones un message sanitaire d’alerte : « déconseillé aux mineurs de moins de 13 ans ».
La députée recommande aussi la création dans le code pénal d’un délit de « négligence numérique ». Mesure polémique et disputée qui met les parents de mineurs face à leur responsabilité. Les juges pourraient alors sanctionner les parents qui exposent « de façon manifestement abusive et non contrôlée leurs enfants, et notamment les plus jeunes, à des écrans ». Mais magnanime, la députée veut laisser du temps au temps et ne prévoit une application de cette mesure que trois ans après la promulgation du texte afin de permettre aux parents d’être sensibilisés et de se préparer.
La proposition de loi soutenue par une trentaine de députés dont une quinzaine de l’opposition pourrait être discutée au cours du premier trimestre 2026 dans le cadre d’une niche parlementaire.
