Si cette colère peut trouver certaines raisons objectivables dans les modes d’intervention des agents de l’OFB, l’établissement public semble en réalité constituer une cible facile : il essuie en effet maints reproches qui ne lui sont pas imputables. Quels sont les moteurs de cette animosité et pourquoi une frange agricole plaide pour des évolutions majeures du rôle et des missions de l’OFB ?
L’Office français de la biodiversité, nouveau venu dans le paysage des établissements publics, constitue le produit de la fusion d’établissements publics préexistants, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et l’Agence française pour la biodiversité (AFB). Loin de partir d’une page blanche, l’OFB est l’héritier des traditions administratives et des perceptions attachées aux établissements qui l’ont précédé.
On parle beaucoup de simplification de l’action publique en ce moment, on oublie ce faisant que l’OFB est précisément le fruit d’une volonté d’efficience de l’action publique en matière de police de l’eau, des milieux et de la biodiversité, grâce à des mutualisations et à des regroupements inspirés par une volonté de rationalisation.
En l’espèce, nous sommes bien éloignés d’un OFB « Léviathan administratif ». Si l’établissement peut s’appuyer sur plus de 3 000 agents pour mener à bien ses cinq grandes missions, cet effectif est bien moins significatif quand on le rapporte à l’échelle territoriale pertinente au regard des enjeux de la police de l’environnement, avec moins de 15 agents en moyenne par département.
Cette modestie des moyens territoriaux dont disposent les services territoriaux de l’OFB se lit à travers les contrôles effectués dans les exploitations agricoles. Le chiffre est connu, il a largement circulé : en moyenne, moins d’un contrôle par siècle par les agents de l’Office. L’idée que l’OFB accentuerait sa pression de contrôle sur les agriculteurs par rapport aux autres publics est tout simplement fausse. Un rapport d’inspection interministériel, publié en novembre dernier, a d’ailleurs confirmé qu’il existait un écart très sensible entre le ressenti des agriculteurs et les données statistiques.
Ces chiffres sont d’ailleurs conformes à la volonté des parlementaires ayant œuvré à la création de l’OFB : instaurer une police rurale de proximité, avec des agents au contact de l’ensemble des acteurs assujettis aux prescriptions du droit de l’environnement. Dans un monde idéal, cette police a vocation à privilégier la pédagogie plutôt que la voie répressive, celle-ci étant – autant que faire se peut – réservée aux acteurs de mauvaise foi cherchant volontairement à s’exonérer de la norme environnementale et aux manquements les plus graves entraînant des atteintes graves ou durables aux milieux.
Du fait de l’ampleur des missions qui sont par ailleurs confiées aux inspecteurs de l’environnement, cette approche préventive est cependant insuffisamment mise en œuvre par l’établissement, de l’aveu même de l’OFB. Il serait toutefois malvenu de tenir pour responsable son directeur général, qui s’efforce – avec professionnalisme, il faut le souligner – de faire au mieux avec les crédits et les plafonds d’emplois votés en loi de finances, tout en respectant le cadre législatif et règlementaire rigoureux qui s’impose à tous les agents de l’établissement.
Une fois ce rappel historique et ces constats posés, pourquoi les normes environnementales dont l’OFB est chargé d’assurer le respect heurte-t-elle une grande partie du monde agricole, à tout le moins le plus audible ? Mes auditions de l’ensemble des acteurs interagissant avec l’établissement ont permis de recenser les principaux « irritants » : port ostensible de l’arme, contrôles inopinés dans les fermes, interventions sur dénonciation anonyme, recueil photographique ou satellitaire des indices, gardes à vue intimidantes, absence d’accompagnement et posture inappropriée de certains agents lors des contrôles, caractère foisonnant et parfois contradictoire des normes, etc.
Il est indéniable que l’OFB peut mieux faire : il doit accentuer l’effort de formation de ses personnels aux gestes et postures, de même que les responsables hiérarchiques territoriaux doivent sanctionner tout manquement à la déontologie porté à leur connaissance. Un travail sur le port discret de l’arme est en cours de déploiement à mon initiative, cette recommandation ayant été reprise par les ministres de l’agriculture et de la transition écologique. L’OFB doit pleinement mettre en œuvre les marges de progression identifiées dans mon rapport d’information et ancrer ses interventions dans un cadre normatif connu à l’avance, pour n’être pas suspecté d’interventions arbitraires.
À sa décharge, l’OFB est un établissement qui n’a pas encore accompli pleinement sa mue administrative : après cinq années consacrées à la création d’une culture commune d’établissement et à former des agents auparavant spécialisés à des missions plus transversales, il est grand temps que l’OFB se tourne vers l’extérieur afin de renforcer son acceptabilité et remédier à une légitimité défaillante. Il y a fort à faire, mais l’établissement s’y emploie et nous devons l’accompagner dans ce mouvement.
Cependant, au-delà du comportement des agents, la rancœur de certains acteurs vis-à-vis de l’OFB est surtout alimentée par le fait qu’ils contestent le principe d’une police de l’environnement, mobilisant les attributs de la force publique, chargée du respect des normes environnementales. Le code de l’environnement est un ensemble foisonnant de règles et de prescriptions qui n’a pas pour lui l’évidence sociale des autres corpus de règles prescriptives de comportement. C’est à mon sens l’ambiguïté fondamentale, dont découle la majorité des contestations qui sont adressées à l’OFB.
Car il est une vérité qu’il faut rappeler avec force : la norme environnementale est fixée par le législateur et les pouvoirs publics, en aucune façon par les inspecteurs de l’environnement, qui agissent conformément à leur assermentation et à leur commissionnement. Quand un responsable politique critique l’OFB, il discrédite la parole publique, alors qu’il vaudrait mieux défendre les établissements publics et leurs agents tout en restant à l’écoute des critiques pour apporter les évolutions nécessaires. On peut naturellement critiquer l’œuvre du législateur, car le droit est en perpétuel mouvement pour s’adapter aux évolutions de la société, d’autant plus que les délais laissés au Parlement pour bien faire ne cessent de se contracter. En tant que sénateur, je sais bien que la norme législative peut et doit, dans certains cas, évoluer.
Si le consensus qui a prévalu à la création de l’OFB a cessé, il faut en tirer les conséquences législatives, et non rejeter la faute sur un organe qui agit dans le cadre de son mandat, dans le respect du droit et conformément aux règles établies par d’autres que lui. C’est pourquoi je condamne fermement les atteintes aux biens et aux agents de l’OFB : aucune colère, aussi légitime soit-elle, ne justifie la violence physique.
Un soutien ferme et lucide, un dialogue permanent et exigeant, des évolutions calibrées pour favoriser l’acceptabilité de son action : telle me semble être aujourd’hui l’attitude la plus appropriée vis-à-vis de l’OFB. Nourrir la suspicion quant à un établissement qui serait par nature opposé aux activités agricoles ne servira qu’à alimenter une dangereuse ambiguïté, pouvant déboucher sur un appauvrissement de l’autorité de l’État. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin en ces temps troublés… ■
*Jean Bacci, sénateur du Var est l’auteur du rapport d’information de septembre 2024 « L’Office français de la biodiversité, un capitaine qui doit jouer plus collectif », faisant le bilan de la création de cet établissement public sans équivalent dans l’écosystème des opérateurs de l’État.