Alors que les couloirs du métro parisien venaient tout juste d’être placardés d’affiches publicitaires de Radio France et que la presse profitait elle aussi d’une campagne de pub, sa présidente-directrice générale, Sibyle Veil était auditionnée par la commission d’enquête sur l’audiovisuel public.
Point après point, méthodiquement, calmement Sibyle Veil est revenue sur un certain nombres de critiques visant ses antennes. « Aujourd’hui, ce que je constate, c’est une distorsion entre la réalité de ce que nous produisons tous les jours et l’image qui est renvoyée en ce moment de l’audiovisuel public ». Et voilà Sibyle Veil démonter ces « distorsions » les unes après les autres : Radio France, « élitiste et parisienne » ? Faux. « La réalité est que 81 % de nos auditeurs habitent bien loin de Paris en région que nous produisons chaque mois pas moins de 700 heures de reportage de terrain qui parlent du quotidien des Français et qu’un tiers de nos salariés vivent en région » dit-elle. « On entend parfois que Radio France ne parlerait pas à tout le monde ? » Faux encore : « Trois français sur quatre consultent tous les mois nos contenus ». « Alors si c’est un club, c’est un club très ouvert » ironiste-t-elle. Radio France, un vieux média ? Allons donc, « Radio France est devenue l’un des médias les plus modernes du paysage. On représente un podcast sur deux écouté en France ».
Que dire du coût de fonctionnement de Radio France qui vit de l’argent public ? Sa PDG a tenu à reprendre la calculette. « Radio France coûte 80 centimes, par mois et par Français » assure-t-elle. Et pour 80 centimes « nous proposons des milliers d’heures d’informations, nous produisons plus de 500 heures de savoir par semaine, nous proposons 44 radios locales et nous abritons aussi quatre formations musicales à la renommée internationale ». Enfin, Sibyle Veil s’est aussi dite satisfaite en commentant un récent sondage qui montre que 81 % des Français déclarent que Radio France est utile à la société. « Ces chiffres sont importants pour nous parce qu’ils montrent qu’à l’ère des réseaux sociaux, il est toujours possible d’avoir des médias fédérateurs qui rassemblent quelles que soient les opinions, les lieux d’habitation et les différences de génération. Et sur nos radios de service public, on entend des manières différentes de penser, de vivre, de rigoler, de s’amuser » se félicite-t-elle. « Pour autant, je ne suis pas en train de vous dire que tout ce qui se passe sur nos antennes est irréprochable » temporise-t-elle. « Sur près d’un demi-million d’heures d’antenne par an, il peut y avoir des erreurs, des épisodes maladroits, des ratés » a reconnu sa PDG tout en minimisant les incidents relevés par quelques esprits chagrins sans doute, « une séquence de quelques secondes ne sera jamais représentative de la pluralité de nos offres ».
Charles Alloncle est évidemment revenu sur l’épisode Thomas Legrand-Patrick Cohen sans parvenir à déstabiliser Sibyle Veil assurant que Radio France avait immédiatement pris « ses responsabilités ». La PDG de Radio France a contre-attaqué en s’en prenant à la vidéo et à sa diffusion. « On a fait dire beaucoup de choses à cette vidéo mais le soupçon de complot politique ne tient pas. On ne peut pas faire dire à cette vidéo des choses qui sont inexactes. Et ce que je déplore, c’est qu’elle a été instrumentalisée, qu’on a donné à cette vidéo des proportions qui étaient absolument démesurées ».
Le rapporteur s’est encore interrogé sur l’absence de sanctions contre Patrick Cohen à la différence de Thomas Legrand qui n’est plus à l’antenne et n’a plus de contrat avec Radio France. « Dans cette vidéo, Patrick Cohen ne dit rien. Patrick Cohen ne souscrit pas au propos de Thomas Legrand, il est silencieux. Donc il n’y a pas de raison de tirer de cette vidéo autre chose que ce silence » explique-t-elle. Dans un souci de rigueur, l’ensemble des chroniques de Patrick Cohen depuis janvier 2025 ont été passées au crible par Radio France, « nous y avons vu d’abord un équilibre dans les thématiques, dans les différents courants politiques qui sont traités dans ces chroniques et nous n’avons vu absolument aucune chronique qui pourrait attester que Patrick Cohen essaierait dans la campagne des municipales ou à l’égard de Mme Dati avoir une démarche nocive quelconque » affirme-t-elle.
Que dire encore des propos privés entre Thomas Legrand et Laurence Bloch, ancienne directrice de France Inter rendus publics ? « Au cours de cette discussion, on apprend qu’un scénario aurait été envisagé pour tenter de neutraliser cette commission d’enquête notamment avec l’appui d’un député socialiste, Emmanuel Grégoire » s’offusque Charles Alloncle. « Je ne sais pas ce que Laurence Bloch et Thomas Legrand se sont dit. Je n’étais pas à la terrasse du café. D’ailleurs, je conseillerai volontiers à M. Legrand d’arrêter d’aller dans le café puisqu’il doit y être enregistré » a répondu vertement Sibyle Veil.
L’audition s’est poursuivie avec la question de la neutralité politique des antennes de Radio France. Le rapporteur s’est appuyé sur deux enquêtes. La première, de l’Institut Thomas More menée avec une méthodologie faisant appel à l’intelligence artificielle tend à montrer que « sur France Inter 60 % des chroniques sont classées à gauche, 16 % à droite. Sur France Culture, seuls 6 % des chroniques penchent à droite contre 66 % qui sont classés à gauche » révèle Charmes Alloncle. L’autre étude est un sondage IFOP pour Marianne daté du 14 juin 2024 qui explique que les auditeurs de France Inter ont voté à 38 % pour la liste de Raphaël Glucksmann, « soit trois fois plus que la moyenne des Français », 17 % ont voté pour la France insoumise, 13 % écolo. « On voit que 70 % des auditeurs de France Inter ont voté à gauche aux européennes en 2024 alors que seul près de 30 % des Français ont voté à gauche » résume le rapporteur. « Pouvez-vous nous affirmer que l’audiovisuel public a aussi pour mission de représenter tous les Français ou est-ce qu’elle a pour mission de représenter uniquement les Français de gauche ? » lance Charles Alloncle. « Je remercie M. le rapporteur pour cette question qui va me permettre de dire combien on a été surpris la méthodologie suivie par l’Institut Thomas More lui répond tout aussi sèchement Sibyle Veil. On sait que c’est un think tank qui est engagé ce qui est légitime et ce qui suppose aussi d’être extrêmement prudent sur la méthodologie et ce qu’il en dit. Quand on veut apprécier le pluralisme, il faut le faire avec des outils qui soient robustes. Il faut mieux que ce soit un organisme indépendant pour le faire comme le fait par exemple l’Arcom ». Et finalement, la PDF de Radio France a conclu cet échange en déclarant que France Inter « n’est ni de droite ni de gauche ».
D’autres questions ont été posées à Sibyle Veil comme les recettes publicitaires, le « modèle social » avantageux des salariés de radio France avec 14 semaines de congés payés pour les journalistes… A chacune de ces questions, la PDG de radio France a répondu, argumenté.
L’audition a toutefois été émaillée par un petit incident de séance avec l’intervention de la député insoumise Ersilia Soudais qui s’en est prise aux chroniques de Sophia Aram les qualifiant de « racistes ». Une attaque qui a fortement déplu à l’arbitre de l’audition et président de la commission Jérémie Patrier-Leitus qui a immédiatement recadré la député lui rappelant que dans une commission d’enquête, « on essaie de poser des questions sérieuses ». A bon entendeur. ■
