Que vous inspire le vote de l’Assemblée sur le PLFSS ?
Pour reprendre les mots de Winston Churchill, je serai tenté de vous dire que ce budget est le pire à l’exception de tous les autres. L’Assemblée avait le choix entre la peste et le choléra et elle a fait, d’une courte majorité, le choix d’un budget plutôt que du saut dans l’inconnu. Alors, évidemment, ce budget n’est pas un bon budget. Il ne répond pas à l’impérieuse nécessité de redonner à notre système de protection sociale une trajectoire budgétaire et financière plus vertueuse, il ne répond pas à l’attente des professionnels et acteurs du monde de la santé et, au final, il ne répondra pas à la demande de millions de Français d’un meilleur accès aux soins. Mais, d’évidence, une absence de budget aurait été pire ; ce scénario n’étant jusqu’à ce jour jamais advenu. J’ajoute qu’au-delà même du PLFSS, l’Assemblée nationale est parvenue à un compromis que chacun considérait comme impossible. C’est peut-être l’amorce d’une démocratie parlementaire renouvelée et plus apaisée. Il faut le souhaiter avec force.
Dans votre dernier livre, vous êtes pessimiste et prédisez l’effondrement de la Sécurité sociale pour 2027. Pourquoi ? Qui est responsable de cette situation ?
Vous savez, je ne suis pas spécialement pessimiste et n’ai pas de vocation particulière à jouer les Cassandre. Si, chiffres à l’appui, j’annonce un risque plus que sérieux de mise en cessation des paiements de la Sécurité sociale avant la fin de l’exercice 2027, c’est que d’autres bien plus compétents que moi le disent depuis des années, sans que leurs mises en garde trouvent le moindre écho auprès de ceux qui nous gouvernent. J’invite chacun à relire les derniers rapports de la Cour des comptes sur le sujet et à mesurer la violence du vocabulaire qu’utilisent les sages de la rue Cambon pour qualifier la situation budgétaire et financière de la Sécurité sociale. Un Premier président de la Cour des comptes qui déclare que les comptes de notre système de protection échappent à tout contrôle, c’est inédit. Un Gouverneur de la Banque de France qui le dit dans les mêmes termes, c’est tout aussi inédit. Inédit et grave. J’ai donc voulu joindre ma voix à celle des experts pour dire qu’il est temps et plus que temps de réfléchir au financement de notre système de protection sociale si l’on veut garantir aux Français sa pérennité.
Pour ce qui est des causes, il me semble qu’elles tiennent à l’impéritie et l’imprévoyance de tous les gouvernements qui se succèdent depuis 1975 et qui n’ont jamais cherché à projeter notre système au-delà de l’annualité budgétaire pour lui offrir une vision de moyen et long termes, lui donner un cap et une direction. Qui peut encore croire que le premier budget de la République, près de 700 milliards d’euros, peut être géré sans perspective, sans un véritable projet politique ? Depuis 50 ans et encore récemment, qui le dit ? Qui en parle ? Qui met la pluri-annualité en débat ? A quand un Secrétariat d’État chargé de ces questions ? A quand le dialogue, la négociation et le courage de la décision ? Est-on véritablement contraints d’attendre 2027 pour commencer à réfléchir ?
Vous plaidez finalement pour une « refondation lucide et courageuse » ? Que voulez-vous dire ? Quelles sont vos pistes de réformes ?
Être lucide et courageux c’est être en capacité de dire aux Français que, sauf à en réformer fondamentalement le financement, nous n’avons plus les moyens de nos prétentions en matière de protection sociale. Être lucide et courageux c’est dire aux Français qu’il ne suffit plus d’injecter chaque année des milliards d’euros, que nous devons emprunter, dans un système de santé qui fonctionne de plus en plus mal. Entre 2019 et 2025, on a réinjecté 50 milliards d’euros dans ce système, qui peut décemment affirmer qu’il fonctionne mieux aujourd’hui qu’en 2019. Être lucide et courageux c’est dire aux Français que, contrairement à ce qu’ils constatent chaque fois qu’ils se rendent chez un professionnel de santé, la gratuité n’existe pas et que collectivement nous n’avons plus les moyens de nos ambitions. Être lucide et courageux c’est regarder l’évolution démographique en face et mesurer, dès aujourd’hui, son impact violent sur nos dépenses de santé, de retraite et d’autonomie dans les années qui viennent. C’est aussi faire le constat qu’avec de moins en moins de cotisants et de plus en plus de bénéficiaires le système est d’ores et déjà condamné.
Pour ce qui est des solutions, je ne crois pas au grand soir. Je pense même que les acteurs des secteurs sanitaire et médico-social n’en ont plus ni la force ni l’envie.
Cela n’exclut pas d’engager au plus vite quelques grandes réflexions, qui pourront faire l’objet de débats en 2027.
Si l’on veut conserver le modèle de protection sociale tel qu’il existe depuis 1945, quels sont les différents moyens de financement qui doivent à terme venir se substituer à ceux d’aujourd’hui ? Je pense qu’il faudra donner au système sanitaire plus d’autonomie et de liberté pour s’organiser, pour répondre à la demande des Français depuis là où ils vivent avec leurs enfants et leurs parents âgés. Il faudra clairement poser la question d’un reste à charge proportionnel aux revenus. Il faudra rendre plus transparente la relation entre l’assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires. Il faudra avoir le courage de poser la question de l’efficience et de la pertinence des soins et des traitements et imaginer un paiement des soins au parcours au moyen d’une carte vitale renouvelée. Il est urgent de mettre un terme au conflit plus ou moins larvé entre le secteur public, le libéral et le privé en jouant plutôt sur les complémentarités des uns et des autres. Il faudra oser dire que les laboratoires pharmaceutiques et les industriels du dispositif médical sont aussi des lieux de recherche et d’innovation dont les premiers bénéficiaires sont les patients, tous les patients.
Ces propositions sont loin d’être exhaustives. Elles sont quelques parties d’un tout plus large qui doit être un vrai projet politique, motivant et rassembleur, guidé par une véritable éthique de la vulnérabilité : comme repenser l’ensemble du système pour ne jamais aggraver la vulnérabilité de chacune et de chacun des Français, c’est peut-être la question la plus importante à laquelle il nous faudra répondre dans les mois et les années à venir.
A ce jour, ma seule certitude c’est que nous avons déjà beaucoup trop attendu et que c’est maintenant qu’il faut engager cette réflexion. C’est toujours au milieu d’une crise qu’il convient de planter les jalons de sortie de crise. ■
*Vient de publier aux Editions Les 3 Colonnes : « 6 octobre : la fin de la sécurité sociale ? »
