On peine franchement à y voir un renouveau démocratique et un levier de confiance. Imaginons d’autres voies pour réinventer le rôle du parlementaire, remettre l’élu au centre du jeu politique et recréer du lien social ! Quoi de plus naturel alors que de réfléchir au rapport du parlementaire avec sa circonscription qui constitue le lieu de contact par excellence entre l’élu et la population ? Pourtant, ce rôle local est un impensé constitutionnel et reste absent des réflexions. Une lecture extensive du mandat représentatif, et a contrario de l’interdiction de tout mandat impératif (art. 27 de la Constitution), a occulté ce rôle en se focalisant sur les risques du lien entre l’élu et sa circonscription - clientélisme, favoritisme, représentation d’intérêts particuliers, conflit d’intérêts -, laissant à la discrétion de chaque parlementaire le soin d’organiser ses activités locales. La coupure entre le monde politique et les citoyens exige aujourd’hui d’y repenser sérieusement et c’est ce à quoi je me suis attelé dans une récente note publiée par l’Observatoire de l’éthique publique.
Ce travail propose six grandes pistes de réforme autour de cette fonction locale du parlementaire : constitutionnaliser ce rôle à côté des autres fonctions parlementaires définies à l’article 24 de la Constitution, créer un statut de la permanence parlementaire en envisageant son achat ou sa prise en charge par l’Assemblée nationale elle-même, créer des procédures de démocratie participative au sein de la circonscription, accroître les pouvoirs de visite du parlementaire sur les services publics et même certaines sociétés privées en pouvant se rendre à l’improviste sur les lieux d’exercice des activités (ex. EPHAD, crèche…), reconnaître et renforcer les liens entre le parlementaire et les collectivités territoriales de sa circonscription en lui accordant un droit d’être entendu par les assemblées délibérantes à propos de réformes en cours au Parlement et, enfin, établir des ponts, aujourd’hui quasi-inexistants, avec les autorités déconcentrées, notamment les préfets et les recteurs. On souhaiterait tout particulièrement insister sur quelques-unes des propositions relatives à la démocratie participative.
Il convient de reconnaître, éventuellement dans le règlement de l’Assemblée nationale à défaut d’être reconnu dans une loi organique, le rôle local du parlementaire en rappelant les trois grandes fonctions qui lui incombent : informer et rendre compte, s’informer et relayer, contrôler et « faire état de ». Le parlementaire doit jouer un rôle de balancier entre le national et le local. Tout d’abord, il doit informer les citoyens (et les élus locaux) sur les débats en cours et les projets envisageables et rendre compte (i.e. informer, expliquer) de sa propre activité et de ses prises de position (vote, amendement). Ensuite, il a la responsabilité de s’informer lui-même auprès des citoyens et des élus locaux afin de donner de la chair aux projets et propositions de loi en faisant en sorte qu’ils ne soient pas déterritorialisés (i.e. déconnectés du terrain), d’apprécier les difficultés d’application sur le terrain des textes déjà adoptés et de relayer les aspirations citoyennes. Enfin, le parlementaire doit pouvoir exercer différentes formes de contrôles et faire état publiquement de ses constats. Le droit de visite dont il dispose dans certains services publics ainsi que sa participation à diverses organismes administratifs doivent être substantiellement étendus, y compris à des personnes morales de droit privé. Il doit alors être en mesure de relayer ce qu’il a vu (accompagnement par des journalistes, prise de parole dans l’hémicycle, tribune dans la presse…).
Afin de garantir la mise en œuvre de ces trois fonctions, plusieurs procédures pourraient être créés au sein de la circonscription. Par exemple, la loi pourrait accorder la possibilité à un député de consulter les électeurs. Il ne s’agirait pas d’un référendum mais d’une consultation qui permette à un parlementaire d’apprécier l’état de l’opinion sur une compétence du Parlement, et plus précisément sur un sujet en cours de discussion au sein de l’une des chambres. En prolongement de cette procédure, pourrait être imposée l’obligation de tenir une consultation à l’échelon national dans l’hypothèse où les électeurs d’un tiers des circonscriptions législatives ont exigé la tenue d’une consultation sur un même objet auprès de leurs députés. Dans un registre assez similaire, mais à l’initiative des électeurs cette fois-ci, il conviendrait de créer un droit de pétition citoyenne au sein de la circonscription pour inciter les parlementaires à effectuer des consultations. À titre expérimental, ce droit de pétition pourrait être limité, dans un premier temps, à un sujet faisant l’objet d’un travail parlementaire en cours.
Ces propositions sont d’autant moins farfelues que de plusieurs députés ont déjà mis en œuvre au sein de leur circonscription des ateliers législatifs citoyens, des jurys, des réunions publiques et autres rencontres. Toutefois, l’absence de reconnaissance juridique de ce rôle local ne permet pas aujourd’hui d’en rendre compte. C’est pourquoi, il conviendrait d’inscrire dans le règlement de l’Assemblée nationale la création d’un recueil ou un registre des procédures participatives mises en œuvre par l’ensemble des parlementaires dans leur circonscription afin de faire connaître cette forme locale de démocratie et d’inciter les élus à y recourir. Plus globalement, un sondage à destination de l’ensemble des députés pourrait être mis en œuvre à l’initiative de la Présidence de l’Assemblée ou des membres du Bureau afin d’établir un état des lieux de la réalisation de ces procédures informelles, de leur efficacité et des difficultés rencontrées, comme des attentes des élus sur ces questions.
La permanence parlementaire a incontestablement un rôle a joué dans le développement de cette démocratie participative. Outre qu’elle crée une présence bien identifiée du parlementaire sur le territoire, elle doit constituer un lieu d’échange, de discussion, de concertation. En partie dictées par l’agenda de l’élu qui peut l’utiliser pour discuter avec les citoyens lorsqu’il est l’auteur ou le rapporteur d’un texte, d’une évaluation ou d’un contrôle, les activités de la permanence doivent être bien plus étendues : réunions de mi ou fin de mandat, rencontre avec des artistes et des intellectuels, présentation de travaux ou d’ouvrages académiques sur des sujets d’actualité et même pourquoi pas séances éducatives avec des collégiens ou des lycéens pour leur expliquer le fonctionnement de l’Assemblée, la procédure législative… C’est pourquoi, à l’instar d’une mairie ou d’un conseil régional ou départemental dont le siège ne bouge pas d’une élection à l’autre, il conviendrait de réfléchir à une prise en charge par l’Assemblée nationale afin d’assurer une forme de continuité de la permanence qui constituerait alors un lieu fixe de la représentation nationale sur le territoire.
Le développement de ce rôle local n’est pas une recette miracle pour renouer la confiance des citoyens et améliorer l’action politique. Il ouvre toutefois des pistes encore peu explorées pour rétablir un contact avec la population et reconnaître l’importance des territoires locaux, à côté de la décentralisation et de la déconcentration. Il faut prend acte des évolutions de la fonction parlementaire et réfléchir au statut de l’élu du XXIème siècle. Cela exige d’imaginer de nouvelles pistes de réflexion, et la fonction locale en est une parmi tant d’autres. ■
