Il ne faut surtout pas le souhaiter pour une Vème à laquelle le pouvoir macronien porte atteinte régulièrement. Bien sûr que du haut de ses soixante-sept ans, qu’elle a coiffé le 4 octobre dernier, notre constitution est solide et en a vu des crises. Mais à cause de celles et ceux qui la servent, si mal, depuis 2007 et surtout depuis 2017, il y a danger pour elle. En les regardant agir, si souvent médiocrement, il nous est revenu cette phrase du général de Gaulle prononcée à Base-Terre en 1964 : La politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c’est d’être petit...
Selon l’art. 8 C : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ».
C’est donc sur cette base qu’Emmanuel Macron a confirmé Sébastien Lecornu dans ses fonctions après avoir accepté sa démission voici quelques jours. Il est vrai que cet article relève des pouvoirs propres du président qu’il exerce sans contreseing ministériel et donc à sa guise. François Mitterrand, expert lui de nos institutions, a dit l’essentiel à cet égard en 1986 (veille de la première cohabitation) : « Le Président de la République nomme qui il veut. Il doit naturellement se placer en conformité avec la volonté populaire. (...) ».
En l’espèce, le locataire actuel de l’Elysée ne se place absolument pas conformément à la volonté populaire. Il l’ignore. La méprise même. Il feint d’oublier que ce sont le RN et LFI qui sont les deux groupes majeurs à l’Assemblée. Dès la suite de sa dissolution totalement ratée de l’été 2024, l’ancien ministre de François Hollande aurait dû appeler Lucie Castets, voire Jordan Bardella. Il a préféré le choix de Michel Barnier avec le succès que l’on connait. Puis celui de François Bayrou, lequel s’est imposé à lui comme jamais cela n’était arrivé et ce au mépris de l’art. 8. Et enfin Sébastien Lecornu qui dura à peine trois semaines (record républicain) avant que de revenir. Dans le genre, « Partir, revenir », l’œuvre de Claude Lelouch est bien meilleure ! Les tergiversations dont le président a fait montre pendant une semaine et lors de la réunion à l’Elysée des partis minoritaires (RN et LFI avaient été évité car ne recherchant que la dissolution !), le Vendredi 10 Octobre ont consterné et inquiété la majorité des présents. Même des proches conseillers de l’Elysée partagent les mêmes sentiments d’inquiétude et d’incompréhension. D’anciens députés macronistes également. Soulignons aussi que, pendant une semaine, Emmanuel Macron a pratiqué sa tactique préférée : procrastiner.
Si Sébastien Lecornu a accepté c’est « par devoir » a-t-il confessé. Peut-il sérieusement en être autrement ? Mais on sait que, de façon inédite, avant d’accepter de rester premier ministre, l’ancien proche conseiller de François Fillon, a exigé que son futur gouvernement soit « débarrassé » des candidats potentiels à la présidentielle (Bruno Retailleau ou Gérald Darmanin). Ou voit-on cela à l’art. 8 ? Le comble c’est qu’aussitôt renommé le locataire de l’Elysée lui a donné « carte blanche » pour former le gouvernement. Même en cohabitation, on n’a jamais entendu un président donner un tel blanc-seing. L’art. 8 ne prévoit pas cela non plus. « Un gouvernement, on le fait à deux » nous confia en son temps Raymond Barre. « Je suis le premier ministre le plus faible de la Vème » a clamé Sébastien Lecornu. Quoi dire de plus attentatoire à sa fonction ? Il a cependant constitué, assez adroitement il faut l’avouer, son gouvernement.
Et puis on est passé aux négociations sur les retraites, le budget,… On en a commencé, pour avoir la « paix » par sacrifier la seule réforme structurelle des mandats Macron, les retraites. La censure n’est pas passée loin ! Sébastien Lecornu a su manœuvrer. Alors oui, comme il le voulait, tout se passe au Parlement désormais. Mais il n’a plus guère de prise sur lui. Tant à l’Assemblée que bien sûr au Sénat. Cela ressemble de plus en plus à la IVème République….
Il semble que le locataire de l’Elysée ne sache plus trop à quel saint se vouer. Par son comportement inédit depuis 1958, il met à mal la fonction. Il risque même de la marquer du sceau de l’impuissance pour longtemps. S’il est dans cette situation inédite c’est exclusivement de sa faute et pas celle des autres contrairement à ce qu’il proclame. Rappelons que c’est le président qui, seul, a procédé à une dissolution inopportune ne serait-ce qu’au niveau du timing. Même si, selon l’art 12 C, c’est là encore un pouvoir propre, il s’est plus ou moins dispensé de la « consultation » des autorités ad hoc (premier ministre et présidents du Parlement). Chacun en a plus ou moins directement témoigné. La rupture avec son « frère » Gabriel Attal vient même de là !
Quant aux législatives, elles ont donné le résultat que l’on sait : pour la première fois depuis 1958, une absence de majorité et deux groupes qui prédominent (RN et LFI). C’est le peuple souverain qui a tranché. Et il n’y a aucun représentant de ceux-ci au gouvernement alors que la logique même des institutions le commandait. Oui le président a choisi qui il voulait selon l’art. 8. Mais il a ignoré la volonté populaire. A présent avec trois premiers minsitres en à peine plus d’un an, un pays au ralenti qui s’enfonce dans la dette, des agences de notations qui sévissent, un FMI aux aguets et un budget à trouver, cela fait beaucoup. Notamment pour un président de la République en principe en charge, selon l’art 5 C, du fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que (de) la continuité de l’État. A quoi assiste-t-on ? Au délitement politique au niveau interieur et au déclassement au niveau exterieur.
Pas étonnant du tout que la cote de confiance du président Emmanuel Macron chute lourdement en un mois, à 14 %, dans le baromètre politique Elabe pour « Les Echos » (https://www.lesechos.fr, 8 octobre 2025). Il bat ainsi son propre record d’impopularité et égale celui atteint par François Hollande à l’Elysée. Et il est certain que si rien ne change, il finira c’est sûr plus bas que lui.
Ce qui doit changer ? Le gouvernement Lecornu 2 a sauvé temporairement sa peau en « gelant » la réforme Borne. Mais, sur le budget, il pourrait bien subir une censure. Dans ce cas, Emmanuel Macron n’aura qu’une seule et unique solution : dissoudre. Cela voudra dire de nouvelles législatives. En l’état actuel c’est le RN qui sortirait grand vainqueur (36 % des voix selon sondage LCI, 9 octobre 2025). Il ne pourrait pas bénéficier en principe d’une majorité absolue. Donc la gouvernance serait à nouveau très compliquée. Dès lors, au pied d’un mur infranchissable, le président n’aura qu’une seule issue : se démettre. Édouard Philippe, lui-même, l’a énoncé à deux reprises.
Ce droit à démission est certainement celui que le chef de l’Etat peut le mieux employer à sa guise. Personne ne peut lui contester. Il n’est d’ailleurs pas prévu par la Constitution. Il est presque inhérent à la fonction. De Gaulle en fit usage en 1969. Alors qu’Emmanuel Macron s’interroge certainement beaucoup sur sa sortie de l’histoire en fin de mandat (tous les présidents le font), démissionner face à une crise qu’il a provoquée et qui ruine le pays, serait selon nous le meilleur remède. Il rendrait un fier service au pays et à la fonction qu’il a déprécié plus qu’aucun autre de ses prédécesseurs. ■