Il s’agit de l’une des principales préoccupations de nos concitoyens et d’un facteur puissant de mécontentement dans nos territoires.
Face à la hausse rapide des besoins de santé portée par l’augmentation de la population, son vieillissement et la prévalence croissante des maladies chroniques, l’offre de soins en ville apparaît gravement insuffisante. Le nombre de médecins généralistes et spécialistes libéraux de premier recours a même diminué depuis dix ans.
Cette offre déficiente est, par ailleurs, inéquitablement répartie à l’échelle nationale. Les inégalités territoriales d’accès aux soins continuent de se creuser et alimentent, dans de nombreux territoires, un sentiment d’abandon. Les zones rurales ou suburbaines concentrent, le plus souvent, les difficultés constatées.
Pour répondre à cette situation inacceptable, le Sénat a adopté, en mai dernier, la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires, issue d’un important travail de consultation.
Alors que les initiatives parlementaires visant à limiter la liberté d’installation des médecins se sont multipliées ces derniers mois et ont contribué à instaurer un climat de défiance au sein de la profession, le texte sénatorial s’efforce d’apporter une réponse plus complète à ces difficultés, fondée sur des mesures équilibrées formant, je crois, une voie efficace de compromis.
La proposition de loi mobilise, à cet effet, trois principaux leviers d’action pour répondre aux défis constatés : rapprocher la politique d’accès aux soins des territoires, renforcer l’offre de soins dans les zones les plus fragiles et augmenter le temps médical disponible.
Nous observons, d’abord, que la mise en œuvre des politiques d’accès aux soins reste trop souvent fondée sur une logique descendante, consistant à appliquer dans les territoires des politiques conçues loin d’eux, aux niveaux national ou régional. Le département, acteur majeur en santé publique et dans le domaine médico-social, est insuffisamment associé à la régulation de l’offre de soins sur son territoire.
La proposition de loi vise à évaluer les besoins de santé au plus près des territoires, en créant des comités départementaux chargés d’identifier les besoins en professions de santé et de valider les zonages proposés par l’agence régionale de santé (ARS). Elle permet aux départements d’agir en matière d’accès aux soins, en les dotant d’une compétence de coordination et en renforçant la participation des élus locaux à la définition de la stratégie nationale de santé.
La proposition de loi porte, par ailleurs, plusieurs mesures structurantes destinées à favoriser l’accès aux soins dans les territoires connaissant les plus fortes tensions.
Elle soumet, d’abord, l’installation des médecins dans les zones les mieux dotées à une autorisation préalable de l’ARS. Cette autorisation serait conditionnée à un engagement de leur part à exercer à temps partiel en zone sous-dense. Elle pourrait également être accordée, pour les seuls spécialistes, lorsqu’un confrère de la même spécialité cesse d’exercer dans la même zone.
Cette mesure est compatible avec la mission de solidarité territoriale souhaitée par le Premier ministre et insérée dans le texte à l’initiative du Gouvernement. Cette dernière conduira les médecins d’ores et déjà installés à réaliser, dans des zones identifiées comme prioritaires, des consultations avancées destinées à améliorer l’accès aux soins des patients. Elle ne s’imposera pas aux médecins nouvellement installés qui, par leur engagement d’exercice à temps partiel en zone sous-dense, contribuent déjà à la maîtrise des inégalités d’accès.
Alors que l’installation de nombreuses autres professions de santé fait déjà l’objet d’une régulation, le Sénat a jugé que l’ampleur et l’aggravation des inégalités d’accès aux médecins justifiaient ces mesures. Celles-ci préservent la liberté d’installation des médecins, en permettant à ces derniers d’exercer où ils le souhaitent. Elles portent des conditions pour ceux d’entre eux qui choisiraient d’exercer dans les territoires les mieux pourvus en contribuant activement à la maîtrise des inégalités d’accès, par des consultations avancées.
Le dispositif sénatorial me semble à la fois plus acceptable, plus équilibré et plus efficace que celui porté par la proposition de loi contre les déserts médicaux, récemment adoptée par l’Assemblée nationale.
Le texte sénatorial porte plusieurs autres mesures destinées à maîtriser les inégalités d’accès aux soins, en sécurisant l’exercice en cabinet secondaire, en améliorant la rémunération des médecins par la prise en charge de patients résidant en zone sous-dense, en facilitant le remplacement des professionnels de santé s’absentant ponctuellement de leur cabinet pour concourir à l’amélioration de l’accès aux soins et en favorisant l’autorisation d’exercice des praticiens à diplôme hors Union européenne.
Enfin, notre proposition de loi entend apporter des réponses structurelles aux difficultés d’accès aux soins observées, en augmentant le temps médical disponible.
Pour ce faire, plusieurs mesures visent à renforcer les partages de compétences entre professionnels de santé. La proposition de loi charge les structures d’exercice coordonné – équipes de soins, centres de santé, maisons de santé pluriprofessionnelles – de développer la coopération entre professions. Elle autorise les pharmaciens d’officine, qui demeurent dans beaucoup de territoires les derniers professionnels accessibles, à contribuer à la prise en charge de situations cliniques simples et à l’orientation du patient, en lien avec le médecin traitant. Elle favorise le développement de la pratique avancée infirmière, en protégeant les professionnels qui s’engagent dans la formation des pertes financières associées et en valorisant mieux l’activité des infirmiers en pratique avancée (IPA). Le texte permet également l’extension par décret des actes réalisés par les audioprothésistes et les préparateurs en pharmacie.
Enfin, nous souhaitons mieux allouer le temps d’activité des médecins. Alors que ces derniers perdent, en moyenne, six à huit consultations par semaine à établir des certificats souvent dispensables, la proposition de loi supprime deux types de certificats médicaux superflus : ceux exigés pour justifier le recours au congé pour enfant malade prévu en droit du travail et, lorsqu’aucun risque particulier ne les justifie, ceux autorisant la pratique sportive des majeurs. Pour favoriser la modernisation des cabinets, le texte prévoit également la création d’une aide conventionnelle à l’acquisition des équipements innovants.
La proposition de loi sénatoriale porte des réformes indispensables et attendues dans nos territoires. Elle a été soutenue par le Gouvernement, qui a repris plusieurs de ses mesures dans son pacte relatif aux déserts médicaux. Si le ministre de la santé a annoncé, au début du mois de septembre, le lancement prochain de la mission de solidarité territoriale, celle-ci ne pourra être fondée que sur le volontariat en l’absence de disposition législative précise.
C’est pourquoi je souhaite qu’indépendamment de l’instabilité politique ce texte puisse rapidement être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et poursuivre son cheminement législatif. Il apporte une réponse équilibrée et efficace aux inégalités d’accès aux soins dont l’aggravation mine jour après jour notre pacte républicain. ■