“Aujourd’hui, le fonctionnement de nos prisons coûte 10 millions d’euros par jour, quasiment quatre milliards d’euros par an. Les détenus doivent contribuer aux frais d’incarcération”. Pour le ministre de la Justice, l’idée n’est pas incongrue, elle est légitime au regard du coût d’un détenu supporté par la collectivité (en moyenne 128 euros par jour, soit 10 millions d’euros pour l’ensemble des détenus en France). Gérald Darmanin imagine une participation aux frais de détention de l’ordre de 5 euros par jour. « Jusqu’à 2003, les détenus participaient aux frais d’incarcération. Comme il y a un forfait hospitalier, il y avait un forfait de présence dans la prison » a rappelé le garde des sceaux. Jusqu’à cette date le forfait s’élevait à 45 euros pour les détenus qui travaillaient pour le secteur privé. Environ 15 % des détenus étaient concernés. Par mesure d’équité, députés et sénateurs ont mis fin à ce forfait en 2003. A plusieurs reprises, en 2015, 2018, 2021, l’idée de restaurer le forfait a été évoquée au Parlement. Sans succès. Or, le 11 mars dernier, le député Christophe Naegelen déposait à son tour une proposition de loi visant à instaurer une contribution forfaitaire obligatoire des détenus condamnés et incarcérés « afin d’alléger le coût de fonctionnement des prisons pour le contribuable et l’État, mais également de responsabiliser et réinsérer les détenus ». Pour leur permettre d’acquitter cette contribution, le député des Vosges envisage trois formules : le prélèvement sur les ressources personnelles du détenu condamné ou son patrimoine, à défaut sur les ressources financières ou le patrimoine de ses descendants et ascendants, ou enfin par le travail en prison. En 2024, selon les chiffres du ministère de la justice, seulement 31 % des personnes incarcérées travaillaient en prison.
Reste que l’idée de cette contribution est loin de faire l’unanimité. « Je trouve ça profondément choquant quand on voit l’état des cellules de faire payer les gens pour ça. Il faut voir ce que c’est que trois hommes enfermés dans six mètres carrés avec des vermines qui grouillent » a notamment déclaré la contrôleuse générale des lieux de privation, Dominique Simonnet. Interrogé par nos confrères de BFMTV, l’ancien procureur général de la cour de cassation, François Molens estime pour sa part que faire payer les détenus « n’est pas le problème prioritaire dans les prisons ». La priorité « est d’avoir suffisamment de places pour héberger les gens, de leur offrir des conditions [d’incarcération] acceptables » a-t-il ajouté. « Envisager une telle mesure avant d’avoir totalement réglé la question du parc pénitentiaire, ça me paraît une hérésie » a vivement réagi l’ancien garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti. Et l’avocat d’enfoncer le clou : « Il faut un moment que ça s’arrête. Je ne sais pas qui court contre qui. Tout cela me paraît ubuesque. On ne va pas faire payer à des détenus l’indignité. Qu’est-ce qu’on va leur faire payer ? Les rats ? Les matelas qui sont au sol ? ». ■
Des prisons en préfabriqué
Pour lutter contre la surpopulation carcérale, le ministre de la justice cherche des solutions. Et pourquoi pas des « prisons en kit » ? Le premier appel d’offre relatif à la construction de places de prison « modulaires » a été publié le 19 mai 2025 et un second en juin. Gérald Darmanin avait annoncé mi-avril la construction de 3000 places de prisons en préfabriqué. Ce premier appel d’offres concerne 1500 places de semi-liberté, « où les détenus passent la nuit et sortent la journée pour travailler, suivre une formation ou un enseignement ». Elle devraient être livrables en 2027. Le premier site à accueillir une telle structure « sera à Troyes dans l’Aube », avec une prison de 50 places a indiqué Gérald Darmanin. L’un des arguments avancé pour ces prisons en kit est le délai de construction : 18 mois contre 7 ans pour des établissements classiques souligne le ministère. Les « prisons » seront construites dans des usines avant d’être transportées en pièces détachées et assemblées dans l’enceinte des établissements pénitentiaires. L’autre argument est évidement le coût qui sera « divisé par deux (200 000 euros par place construite) ». Une quinzaine de sites « seront dédiés aux prisons de semi-liberté, et une dizaine d’autres pour les prisons de courtes peines » poursuit le communiqué.
Louer des places de prison ?
Le 13 mai dernier sur TF1, Emmanuel Macron a jugé « pertinente » la proposition du ministre de la justice de louer des places de prison « là où elles sont disponibles » à l’étranger. « Il n’y a pas de tabou là-dessus ». Une solution déjà mise en œuvre dans plusieurs pays européens comme le Danemark et la Belgique qui louent des cellules au Kosovo. Des discussions seraient déjà engagées avec des pays d’Europe de l’Est.
Par Joaquim Pueyo, Maire-Président de la Communauté Urbaine d’Alençon, Ancien député de l’Orne, Ancien directeur de prisons
Des frais d’incarcération qui interrogent
Le Ministre de la Justice a récemment relancé le sujet des frais d’incarcération pour les détenus écroués en France mais le principe n’est pas nouveau puisque jusqu’en 2003, les détenus participaient aux frais d’incarcération avec une ponction sur leur compte nominatif au titre de dépenses alors appelées « frais d’entretien ».
Des frais d’incarcération qui interrogent sur la forme
Le travail en prison, obligatoire jusqu’en 1987, ne l’est plus et on dénombre aujourd’hui environ 25 à 30 % de détenus qui travaillent. Le reste de la population carcérale n’est pas en capacité de travailler ou à fait le choix de ne pas travailler notamment parce qu’ils ont des ressources suffisantes par ailleurs.
Aussi, l’article 717-3 du Code de procédure pénale indique que « le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire ».
Il est donc évident que, s’il y a une volonté que les prisonniers contribuent aux frais liés aux investissements nécessaires dans le système carcéral, il va falloir changer la loi mais également être très attentifs aux modalités d’application afin de respecter un principe d’égalité.
Des frais d’incarcération qui interrogent sur le fond
Des systèmes existants en Suisse, au Danemark, en Suède ou en Norvège sont régulièrement pris comme exemple pour justifier la faisabilité de la mise en place de frais d’incarcération. Cependant, il est essentiel de regarder la configuration actuellement en France avant de vouloir calquer les usages de nos voisins.
Si nous pouvons aisément imaginer de demander une contribution au détenus des prisons centrales ou des centres de détention qui sont dans des conditions décentes de logements, il devient compliqué d’imaginer une telle mise en place en maison d’arrêt où la densité carcérale à hauteur de 161,8 % au 1er avril 2025 atteste des conditions compliquées en terme de logement et de salubrité.
Avant de se pencher sur la question des frais d’entretien, il semble prioritaire de régler les problèmes liés au parc pénitentiaire. Il est essentiel de créer de nouvelles places de prison mais également de revoir le principe d’incarcération avec écrou pour des personnes condamnées qui ne sont pas dangereuses ou qui ne représentent aucune menace pour la population.
Quand nous aurons réglé les problèmes de surpopulation carcérale qui impactent fortement le sens que nous souhaitons donner à la peine, nous pourrons alors nous pencher sur la mise en place de frais d’incarcération afin que les personnes encellulées individuellement participent aux coûts de fonctionnement.