Le Premier ministre a lancé ses consultations sur la proportionnelle. Les groupes parlementaires et les partis politiques sont très divisés sur le sujet. La réforme s’annonce comme délicate pour l’exécutif. Pourquoi maintenant ?
D’abord opposé publiquement à la proportionnelle au milieu des années 1990, François Bayrou a ensuite évolué sur la question. Il en défend le principe depuis plusieurs années et il annonce désormais son intention d’obtenir une modification de la loi électorale. La conjoncture lui est doublement favorable : d’une part, les responsables de l’exécutif cherchent une réponse au sentiment de crise politique qui se diffuse depuis un an ; d’autre part, l’exercice des fonctions de Premier ministre lui permet aujourd’hui de déposer des projets de loi, pour une durée qui pourrait être brève si le président de la République décidait de dissoudre de nouveau l’Assemblée nationale.
En absence de majorité parlementaire claire, la proportionnelle serait-elle le remède à l’immobilisme et la meilleure piste pour résoudre la crise de confiance dans la politique ? Une crise politique et institutionnelle peut-elle être résolue par une réforme du scrutin ?
Il est permis d’en douter. Il serait naïf d’assimiler une telle réforme à la thérapeutique susceptible de réconcilier les Français avec leurs institutions. D’une part, le résultat susceptible d’être produit, demain, au terme d’élections législatives organisées à la proportionnelle pourrait bien ne pas être très différent de celui des élections de l’été dernier, pourtant organisé au scrutin majoritaire. D’autre part, ceux qui vantent la représentation proportionnelle adoptent bien souvent une approche candide, dans l’oubli des défauts nombreux de ce type de mode de scrutin.
Quels sont les arguments des partisans de l’introduction de la proportionnelle ?
Le principal tient à l’intuition selon laquelle une Assemblée nationale qui représenterait plus fidèlement la diversité des opinions politiques du pays, perçues à une échelle fine, serait à la fois plus juste et plus attractive pour les électeurs, lorsque vient le moment de choisir les députés de la nation. On prête à ce mode de scrutin une capacité à répondre à la défiance éprouvée par les Français à l’égard de leurs représentants. On imagine aussi parfois que ce mode de scrutin aurait la vertu de pousser les députés à mieux travailler ensemble.
Et d’ailleurs de quelle(s) proportionnelle(s) parle-t-on ?
La question est cruciale. Bon nombre de scrutin présentés comme proportionnels sont à la vérité assez peu proportionnels. Les variables, en la matière, sont nombreuses. Si les circonscriptions électorales sont petites, la portée proportionnelle du scrutin est moindre. Si le seuil de voix qu’il convient d’atteindre pour obtenir son premier député est élevé, la portée proportionnelle du scrutin s’en trouve réduite. La tendance s’accroît encore si l’on recourt aux tempéraments parfois apportés aux modes de scrutin proportionnels, à l’instar de la prime majoritaire ou des apparentements. L’histoire de France est riche d’expériences décevantes à cet égard : notamment parce que les scrutins présentés comme proportionnels l’ont toujours été à l’échelle du département, on a connu les inconvénients de la proportionnelle sans en percevoir les avantages supposés. Par quoi se comprend notre tendance, depuis l’entre-deux-guerres, à revenir promptement au mode de scrutin majoritaire après chaque expérience proportionnelle.
Une meilleure représentativité de l’assemblée ne ferait-elle pas une meilleure représentation ?
On peut le croire intuitivement. Dans le détail, pourtant, ce n’est pas évident. Les étalons de mesure, d’abord, ne sont pas toujours très clairs. Qu’est-ce qui fait un bon député ? Les avis sur ce point divergent certainement. Ensuite, l’ambition attachée aux assemblées parlementaires est traditionnellement ramenée à leurs fonctions constitutionnelles – voter la loi et contrôler l’action du gouvernement, au premier chef – ainsi qu’à d’autres missions non moins décisives. Le but d’une assemblée parlementaire n’est pas de porter témoignage des divisions idéologiques qui fracturent le pays, d’être la chambre d’enregistrement de ces dernières, mais de créer les conditions permettant de les résorber, au service de l’intérêt général. Le vieux mythe du Parlement « miroir de la nation », qui n’a jamais correspondu à aucune réalité, est utilisé pour promouvoir une configuration institutionnelle qui poserait de nombreux problèmes. L’efficacité démocratique repose aussi sur la capacité à trancher et à gouverner, pas uniquement à refléter.
Vous êtes opposé à cette introduction de la proportionnelle. Pourquoi ? Quels sont, selon vous, les défauts de la proportionnelle ?
Sous couvert de mieux représenter les opinions, la proportionnelle rend en réalité la vie parlementaire plus instable et moins lisible. Elle favorise une fragmentation des forces politiques qui complique la constitution de majorités cohérentes. Elle donne un poids encore plus important qu’aujourd’hui aux états-majors de parti dans le choix des futurs députés. Elle éloigne, à différents égards, les électeurs de leurs députés. Elle donne un poids démesuré à de petits partis qui se trouvent bien souvent en position de faire ou de défaire une coalition gouvernementale.
Vous estimez que, paradoxalement, la proportionnelle ne permettrait pas l’émergence d’un nouveau personnel politique mais aurait tendance à favoriser les apparatchiks et les personnes proches des états-majors des partis. Comment cela ?
C’est l’un des paradoxes d’un tel mode de scrutin. En instaurant des listes fixes où l’ordre détermine l’éligibilité, la proportionnelle donne un pouvoir accru aux états-majors partisans. Ce sont eux qui choisissent qui figure en tête de liste, et donc qui est élu. Le lien entre l’électeur et l’élu s’en trouve affaibli. À l’inverse, dans un scrutin majoritaire, le candidat doit convaincre les électeurs d’une circonscription précise. Cela laisse davantage de place à des profils indépendants, implantés localement ou capables de se démarquer.
On présente la proportionnelle comme un élément favorisant la culture du compromis. Cela vous semble-t-il juste ?
Souvent avancé, l’argument mérite d’être pris avec des pincettes. Dans certains pays, la proportionnelle s’accompagne effectivement d’une culture politique de la coalition. Mais cette dernière n’est pas avant tout le fruit d’un mode de scrutin. Ce serait ignorer le poids des habitudes, des traditions, des mœurs, d’une histoire politique : toutes déterminent les comportements des responsables politiques. Imaginer qu’un simple changement institutionnel ferait subitement naître, en France, un esprit de compromis me paraît une dangereuse illusion. Il ne suffit pas d’instaurer ici le mode de scrutin prévu pour l’élection des députés au Bundestag pour nous transformer en Allemands. La IVème République nous en a donné l’expérience : la proportionnelle produit moins un consensus durable qu’une instabilité chronique.
Selon vous, le scrutin majoritaire serait donc le meilleur mode de scrutin ou le moins pire ?
Disons que c’est aujourd’hui, pour la France, le moins imparfait des modes de scrutin. Aucun système n’est certes idéal. Celui-ci présente un double mérite : il pousse les partis à conclure des alliances avant le vote et il permet aux électeurs de sanctionner ou de soutenir clairement un candidat. Ainsi clarifie-t-il les enjeux électoraux. À l’inverse, la proportionnelle favorise l’intervention de compromis après le scrutin, au gré de tractations souvent opaques pour les électeurs.
Finalement, quelles seraient les conséquences sur le plan institutionnel d’une adoption de la proportionnelle ?
Elles seraient lourdes. Le Parlement serait certainement plus éclaté encore qu’il ne l’est déjà. Il serait plus difficile d’y organiser un travail parlementaire efficace. Devenues habituelles, les coalitions, construites après le scrutin, sans mandat clair, seraient également plus fragiles. Paradoxalement, cette mesure souvent présentée comme propre à « revaloriser le Parlement » l’affaiblirait certainement, en le rendant beaucoup plus dépendant de combinaisons partisanes instables. Quant à l’arme de la dissolution, pourtant essentielle dans l’équilibre des pouvoirs, elle serait largement neutralisée. Si les caciques des partis savent que, placés en haut des listes, ils seront réélus même si le président convoque des élections législatives anticipée, la dissuasion ne fonctionne plus. Souvent présentée comme un médicament susceptible de résoudre notre crise démocratique, la représentation proportionnelle risque bien de produire l’effet inverse. Pour ces différentes raisons, il est urgent d’abandonner un tel projet, aux effets pervers nombreux. ■
*Auteur de « Contre la proportionnelle » - Tracts – Gallimard – 60 pages