“Toute la filière est en difficulté. Pour autant la viticulture reste un atout majeur pour la France” souligne avec un peu d’optimisme Sandra Marsaud (EPR, Charente) en introduction de la présentation du rapport. Mais « face au contexte national et international complexe, la filière doit s’adapter » ajoute prudemment Sylvain Carrière (LFI-NUPES, Hérault). Créée fin 2023, la mission d’information sur les stratégies de marché de la filière vitivinicole avait été interrompue par la dissolution de l’Assemblée puis relancée. Ses conclusions ont été rendues le 9 avril dernier. La mission présente une quinzaine de propositions pour relancer un secteur confronté à de nombreuses difficultés endogènes et exogènes.
Depuis plusieurs décennies, la consommation de vin ne cesse de décroître en France. La consommation moyenne a ainsi baissé de 60 % depuis les années 60. Une tendance qui s’explique par de nouvelles habitudes de consommation chez les nouvelles générations : moins de vin et en moindre quantité qui s’inscrit dans une baisse globale de la consommation d’alcool avec une attention plus grande portée aux enjeux de santé publique notamment. Un constat partagé par l’ensemble des acteurs de la filière et qui devrait s’accentuer encore dans les années à venir. A ces difficultés et nouvelles habitudes (boire moins mais mieux, nouveaux modes de consommation…) s’ajoutent le changement climatique, les taxes chinoises et américaines.
Aussi, aujourd’hui, « il faut savoir ce que veulent les consommateurs, comment on produit et comment on oriente les ventes » recommande fermement Sandra Marsaud. Mais face à une gouvernance française de la filière « morcelée », il faut « jouer collectif pour avoir une vision nationale et vraiment peser, il y a urgence » confirme son collègue de l’Hérault. C’est d’ailleurs le sens de l’une des recommandations phares de ce rapport qui suggère de faire évoluer le rôle et les statuts du CNIV pour en faire une interprofession au niveau national. « Cela renforcerait sa capacité à animer les commissions « économie » des interprofessions régionales, à conduire des travaux de prospective et à bâtir une stratégie commune pour la filière vitivinicole française, sans que cela fasse obstacle aux stratégies des interprofessions régionales » notent les rapporteurs. Dans la même veine d’un meilleur pilotage de la filière, Sylvain Carrière et Sandra Marsaud plaident pour une amélioration de la capacité d’analyse des marchés notamment en ce qui concerne les données relatives à la consommation « trop rares pour alimenter une véritable stratégie de marché ». Ils appellent alors à concrétiser « rapidement » la mise en place de l’Observatoire national des tendances de marché et à mobiliser les moyens pour l’alimenter en données. Ils recommandent aussi de doter l’interprofession nationale d’un outil de prospective « réalisant des études d’anticipation des crises afin d’orienter les politiques de restructuration des vignobles ».
Pour sortir la filière de l’ornière, les députés proposent aussi de jouer la carte des vins d’entrée de gamme et des vins d’apéritif et effervescents en s’appuyant sur l’excellence reconnue des vins français. « On importe pour un milliard d’euros de vins d’Espagne et d’Italie, on a donc besoin de ces vins milieu de gamme en France, on peut réutiliser ce qui est produit sur nos vignobles » assure Sandra Marsaud.
Savoir-faire français déjà connu et reconnu, l’oenotourisme français (12 millions de touristes, dont 45 % venus de l’étranger) ne demande qu’à être encouragé et développé pensent les élus qui veulent doter la France d’une stratégie nationale « ambitieuse » pour accélérer son essor et « favoriser la coordination de l’ensemble des acteurs ».
La mission souhaite également s’appuyer sur la communication autour des vins français pour aider la filière à se développer « en utilisant son image de marque et sa réputation afin de prendre de nouvelles parts de marché ou du moins préserver les siennes ». « La promotion des vins et spiritueux français doit s’inscrire dans la mise en valeur de la gastronomie française à l’international » jugent-ils en souhaitant placer nos diplomates au coeur de cette promotion. « Ça marche pas mal dans d’autres pays comme en Italie » soutient d’ailleurs Sandra Marsaud.
Evidemment, la question des taxes et droits de douane a été aussi largement évoquée par la mission. « La situation était compliquée, elle est encore plus critique avec les taxes en Chine et maintenant les États-Unis » reconnaît Sylvain Carrière. Sur la réponse à apporter, les deux rapporteurs admettent ne pas être sur la même longueur d’ondes. Sandra Marsaud veut éviter le « risque d’une forme d’escalade » sur les droits de douane et plaide pour une réponse européenne en misant sur la négociation avec nos principaux partenaires commerciaux (Etats-Unis, Chine) pour abaisser les barrières douanières. Sylvain Carrière prône, pour sa part, pour un « protectionnisme solidaire, social et environnemental ». « Si on n’est pas pour le libre-échange, on n’est pas non plus pour la surenchère » insiste-t-il. Le député de l’Hérault propose donc un ajustement du niveau de nos tarifs douaniers et d’utiliser ensuite le produit de ces tarifs pour compenser le manque à gagner dans la filière vitivinicole lié à la hausse des tarifs douaniers imposés par les Etats-Unis et la Chine.
Enfin, prenant en compte les attentes sociétales en matière environnementale, les rapporteurs recommandent que l’on développe une filière de réemploi et de consigne des bouteilles de vins tranquilles. « Aujourd’hui, 3 % des vins font appel à la consigne ou au réemploi. Si on sait très bien que ce n’est pas applicable à tous et partout, notamment à l’export, entre 3 % et 100 %, il y a sans doute moyen de trouver un juste milieu et de répondre aux attentes de consommateurs sensibles aux enjeux de l’économie circulaire » imagine Sylvain Carrière. « Ça participe aussi d’une communication positive sur nos produits » enchérit Sandra Marsaud.
Quelles suites au rapport ? « Pas de proposition de loi pour le moment » lache tout sourire la député de Charente expliquant que le Parlement est « noyé » sous les textes. « Pas de ppl dans l’immédiat mais l’ensemble de la filière et le gouvernement peuvent très bien se saisir de ces recommandations qui ont valeur de feuille de route » conclut Sylvain Carrière. ■
*Rapport d’information, n° 1269 sur les stratégies de marché de la filière vitivinicole.
Chiffres clés
• 47 millions d’hectolitres produits en France en 2023 (17 % de la production mondiale)
• La France est le 2ème producteur mondial de vin en volume derrière l’Italie.
• En France, 750 000 ha sont cultivés en vignes de cuve (11 % de la surface mondiale)
• 26 % des vins produits en France sont exportés (3ème secteur exportateur derrière l’aéronautique et les cosmétiques, 2023)
• Les vins français représentent 12 % des exportations mondiales
• La valeur des exportations représente 12 Mds d’euros en 2023 pour les vins français contre 7,8 Mds d’euros pour les vins italiens et 3 Mds d’euros pour les vins espagnols
• 440 0000 emplois en équivalent temps plein dont 254 000 ETP recensés directement dans la filière.
• La France est le 1er marché européen avec une consommation de 24,4 millions d’hectolitres (Miohl), soit 11 % de la consommation mondiale. Les Etats-Unis sont les plus gros consommateurs avec 33,3 Miohl.
• Les Etats-Unis 1ère destination des vins et spiritueux français (3,3 Mds d’euros de chiffre d’affaires) dont 2,3 Mds d’euros pour le vin (2024).