Face aux défis climatiques et sociaux, de plus en plus de Français aspirent à quitter les métropoles saturées pour investir les territoires ruraux. Ce phénomène, étudié par Valérie Jousseaume dans Plouc Pride, s’accompagne de la revalorisation des filières agricoles, du commerce local et d’une gouvernance décentralisée. Il témoigne d’un besoin de rééquilibrage territorial et d’un nouveau rapport à la nature.
Cette transition s’exprime à travers quatre dynamiques majeures : l’innovation environnementale, la redéfinition des modes de production, le développement de nouvelles solidarités sociales et une meilleure interaction entre villes et campagnes. Agriculteurs, entrepreneurs, chercheurs, associations et artistes participent à cette transformation, expérimentant des modèles alternatifs de vie et de travail.
Cependant, cette mutation ne va pas sans tensions. La cohabitation entre ruraux de souche et néoruraux soulève des enjeux fonciers, culturels et économiques, nécessitant des politiques d’accueil adaptées. Si le retour à la terre constitue une opportunité de repenser les territoires, il implique aussi une gestion fine des conflits et des adaptations réciproques.
Si l’on ne peut parler d’exode urbain, ce phénomène étant plutôt de l’ordre du signal faible, ce mouvement questionne notre organisation territoriale et ouvre la voie à une nouvelle intelligence collective pour concilier tradition et innovation dans la construction du monde de demain.
Face à ces enjeux, une étude approfondie a été menée par l’association Back To Earth, avec le soutien du Réseau Rural National, du Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté Alimentaire, des Régions de France et de l’Union Européenne pour analyser les interactions entre néoruraux et habitants de souche, afin d’en dégager des enseignements et des pistes d’actions concrètes.
Choc des cultures ou convergence des dynamiques ? Une restitution de l’étude « Retour à la terre et choc des cultures ? »
L’étude menée sur cinq territoires (Beaujolais Vert, Aubrac, Couserans, Val d’Azun et Thessalie en Grèce) en partenariat avec l’Agence des Pyrénées, l’Institut d’Auvergne Rhône Alpes du Développement des Territoires, le Cube Consutlants et Terra Thessalia a permis d’identifier les dynamiques à l’œuvre dans ces espaces ruraux en mutation.
Premier enseignement : le « choc des cultures » entre nouveaux arrivants et populations locales est loin d’être une généralité. Si certaines tensions existent, elles restent minoritaires et sont souvent amplifiées par des représentations médiatiques ou des stéréotypes. La majorité des relations observées sont marquées par des dynamiques de coopération et d’apprentissage mutuel, nécessitant du temps et de la rencontre. Or, dans près de la moitié des cas,
Deuxième constat : les tensions sont avant tout foncières et économiques plutôt que culturelles. Les divergences concernent principalement l’accès à la terre, la gestion des ressources communes et les modèles agricoles pratiqués. De nombreux néoruraux reconvertis à l’agriculture adoptent des pratiques agroécologiques qui peuvent contraster avec des méthodes plus conventionnelles, mais ces différences ne conduisent que rarement à des conflits ouverts. En contrepoint des convergences liées au souhait de valoriser le territoire, au respect de l’environnement et des cadres naturels, à l’entraide sont autant de levier à activer par les acteurs locaux pour favoriser le vivre ensemble.
Troisième enseignement : la présence des néoruraux apporte une vitalité nouvelle aux territoires. En créant de nouvelles activités économiques, en réintroduisant des savoir-faire oubliés et en développant des circuits courts, ils favorisent la résilience et l’attractivité des campagnes. Ces apports sont généralement bien perçus par les populations locales lorsque des espaces de dialogue sont instaurés.
Quatrième enseignement : les lieux de rencontre et les interfaces jouent un rôle clé dans l’intégration des néoruraux. Les marchés locaux, les associations villageoises, les tiers-lieux et les événements culturels sont autant d’espaces où anciens et nouveaux habitants peuvent échanger et construire ensemble. Les élus et acteurs territoriaux ont un rôle central dans la mise en place de ces lieux de dialogue, qui permettent de dissiper les préjugés et d’encourager la coopération autour de projets communs.
Enfin, l’étude souligne l’importance des dispositifs d’accompagnement. Les territoires qui parviennent à encadrer et structurer ces arrivées – via des politiques d’accueil, des réseaux d’entraide et des dispositifs de formation – connaissent un impact positif bien plus marqué. La mise en place d’espaces de dialogue et d’intégration est donc un levier essentiel pour atténuer les tensions et favoriser les synergies.
10 propositions d’actions politiques concrètes
Pour assurer une cohabitation harmonieuse et tirer parti du potentiel offert par le retour à la terre, voici dix propositions d’actions politiques concrètes :
1. Inscrire le développement équilibré des territoires dans la Constitution, en reconnaissant l’importance des ruralités et en les intégrant aux stratégies nationales.
2. Garantir un accès universel au très haut débit dans toutes les zones rurales, condition essentielle pour attirer de nouveaux habitants et encourager le télétravail.
3. Renforcer les politiques d’accueil et d’accompagnement des néoruraux, en créant des « maisons de l’installation rurale » dans chaque région.
4. Faciliter l’accès au foncier agricole pour les nouveaux entrants, via la mise en place de dispositifs de portage foncier et de banques de terres.
5. Encourager la création de tiers-lieux en zone rurale, en soutenant les initiatives locales qui permettent aux nouveaux arrivants de s’intégrer plus rapidement.
6. Promouvoir l’éducation à la nature et à l’agriculture dans les programmes scolaires, afin de sensibiliser les jeunes générations aux enjeux de la ruralité.
7. Assurer une fiscalité territoriale plus équitable, en répartissant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en fonction du lieu de travail effectif.
8. Développer des politiques d’attractivité des métiers agricoles et ruraux, en facilitant les reconversions et en valorisant ces professions essentielles.
9. Mettre en place des espaces de dialogue entre habitants et nouveaux arrivants, via des comités de concertation locaux animés par des médiateurs neutres.
10. Favoriser les innovations sociales et environnementales en milieu rural, en soutenant les projets locaux qui contribuent à la transition écologique et économique.
La renaissance rurale, un enjeu stratégique pour l’avenir de la France
Le retour à la terre n’est pas qu’un phénomène passager, il s’imposera au gré des crises comme une transformation profonde de notre modèle de société. En redonnant aux territoires ruraux leur rôle central dans la production alimentaire, la transition écologique et la cohésion sociale, ce mouvement ouvre des perspectives nouvelles pour un développement plus équilibré et résilient de la France.
Les campagnes ne sont plus seulement des espaces de repli, mais des laboratoires d’innovation où s’inventent de nouveaux modes de vie, de travail et de production. À condition d’être accompagnée par des politiques publiques adaptées, cette dynamique peut contribuer à rééquilibrer l’aménagement du territoire et à répondre aux défis écologiques et sociaux du XXIème siècle.
Assurer l’avenir de la France passe donc par une reconnaissance accrue du rôle des ruralités. En valorisant leurs atouts et en facilitant l’intégration des nouveaux habitants, ces territoires peuvent devenir des moteurs de transition et de renouveau, au bénéfice de l’ensemble du pays. ■
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