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Prison : le choix de la raison

Par Stéphane Jacquot, ancien Secrétaire national Les Républicains et Dominique Raimbourg, Député PS de Loire Atlantique,Vice-président de la Commission des Lois à l'Assemblée nationale*

Pourquoi écrire un livre à plusieurs mains ? Parce que c'est à l'image exacte de l'effort collectif que notre société doit faire pour sortir des polémiques stériles sur le sujet et se doter d'un service public de réponse efficace à la criminalité.

Notre travail part d'un constat, celui du dysfonctionnement de notre chaîne pénale : police-justice-pénitentiaire. Si les budgets de la justice ont connu une augmentation régulière, cette augmentation n'a jamais compensé l'augmentation de la charge de travail. En quelques années les policiers ont dû s'habituer à des nouvelles règles encadrant la garde à vue. Ils doivent prévoir l'appel téléphonique à un proche du gardé à vue, organiser une visite médicale, faire venir un avocat qui désormais participe aux auditions et peut poser des questions. Le tout doit se faire à l'intérieur du délai de garde à vue (24 ou 48 h). La justice a due s'adapter aux droits nouveaux octroyés à la victime et à la personne mise en examen qui peuvent demander des actes d'enquête ou des expertises au juge d'instruction. Ont été créés le juge des libertés de la détention (JLD), chargé du contrôle de la détention avant jugement puis la chambre d'application des peines (CHAP) chargé de juger en appel les décisions du juge d'application des peines (JAP). Les pouvoirs de ce dernier ont été considérablement étendus. De leur côté les agents pénitentiaires doivent faire face à une surpopulation des prisons dont certaines sont en plus vétustes. De 2002 à 2012 le nombre de détenus est passé de 48 000 à près de 67 000. Le taux de détention a augmenté de 75 détenus pour 100 000 habitants au début des années 2000 à 101,6 pour 100 000 au 1er janvier 2014. Jusqu'à la présidence de Nicolas Sarkozy, la promulgation annuelle d'un décret de grâce présidentielle chaque 14 juillet permettait de limiter la surpopulation en libérant plusieurs milliers de détenus (sans aucun suivi). Ce mécanisme a été supprimé avec l'assentiment général. Cependant aucun mécanisme de remplacement n'a été mis en place.

Nous avons donc affaire à un service public de la police, de la justice et de la pénitentiaire en permanente surchauffe. Il faut citer quelques chiffres pour comprendre l'immensité du travail fourni par tous les agents de ces services. En 2013 les Cours et tribunaux ont prononcé 3426 condamnations pour crime (principalement des viols, des homicides et des vols à main armée) et 637 838 condamnations pour des délits. Ils ont prononcé 128 177 peines d'emprisonnement ferme, en totalité ou en partie, et 169 282 peines d'emprisonnement avec sursis (sursis simple ou sursis avec mise à l'épreuve). Le 1er janvier 2015, 66 270 personnes étaient détenues dans 57 841 places de prison.

Une telle surchauffe interdit à l'appareil répressif de jouer correctement son rôle. Le délai qui s'écoule entre l'arrestation et le jugement est tel que les citoyens honnêtes ne perçoivent pas qu'il y ait une réponse à la commission des infractions. Seuls sont visibles tout d'abord les procès emblématiques pour les crimes. Sont visibles ensuite les procédures d'urgence qui consistent à condamner à l'issue de la garde à vue des délinquants souvent désinsérés socialement pour des faits simples mais assez graves. Les condamnations sont alors souvent élevées et des peines de prison sont fréquemment prononcées faute de trouver d'autres solutions précisément en raison de la désinsertion des condamnés.

Face à l'opacité du système, l'opinion publique a tendance à ne voir que la prison et en conséquence à réclamer toujours plus de sévérité. Cela explique les discours de certains responsables politiques appelant à toujours plus de sévérité et toujours plus de répression. Nous allons à l'encontre de ces tendances pour rappeler que depuis le philosophe italien du XVIIIème siècle, Cesare Beccaria, nous savons que ce n'est pas la sévérité de la sanction qui est dissuasive, mais la certitude de la sanction. Nous rappelons également que toute personne qui rentre en prison finit un jour par en sortir, C'est d'ailleurs un des mérites de la réforme de Christiane Taubira du 15 août 2014 d'avoir pensé le suivi et le contrôle à la sortie alors qu'avant 80 % des libérations se faisaient sans aucun suivi ni contrôle. En bref, nous essayons de sortir des polémiques stériles pour viser l'efficacité du système pénal.

Viser l'efficacité du système pénal, c'est d'abord diminuer sa charge de travail notamment en traitant autrement une partie du contentieux routier (hors accident) qui représente entre 40 et 45% des condamnations. C'est ensuite construire à côté de l'enfermement, une culture du contrôle. Il faut revaloriser les différentes peines autres que la prison. Les revaloriser cela veut dire tout d'abord les rendre les plus effectives possible. Les moyens des services de probation (SPIP, service pénitentiaire d'insertion et de probation) ont d'ores et déjà été renforcés et le personnel y est passé de 4000 à 5000 agents. Cet effort est important mais il n'est pas suffisant. Il faut le poursuivre. Par ailleurs il faut associer au contrôle les forces de police et de gendarmerie, comme il faut y associer les élus locaux, pour faire de la réinsertion l'affaire de tous ! La participation de ces derniers rendra les peines, en dehors de la prison, visibles. Cette effectivité et cette visibilité de la peine hors les murs leur conféreront la même valeur symbolique que l'emprisonnement et la feront accepter par nos concitoyens comme une véritable peine.

Viser l'efficacité c'est clore l'interminable polémique sur le nombre de places de prison et avoir à ce sujet une approche pragmatique. Avec un taux de l'ordre de 100 détenus pour 100 000 habitants la France est dans la moyenne des pays de l'Ouest européen. Elle est au-dessus des Pays-Bas (62,9 / 100 000), du Danemark (73 / 100 000), de l'Allemagne (84,1 / 100 000). Elle est en dessous de la Belgique (113,8 / 100 000), de l'Angleterre et du pays de Galles (147,2 / 100 000). Considérons donc que ce taux de 100 / 100 000 est un maximum à ne pas dépasser. Construisons les 66 000 places correspondantes et, dans le même temps, diminuons le nombre de détenus (un taux d'occupation à 100 % est impossible en raison des travaux périodiques). Diminuer le nombre de détenus consiste à faire effectuer la fin de peine, pour certains, en dehors des murs. Cela permet le suivi et le contrôle, plus efficaces contre la récidive. Dans ces pays, le taux de récidive semble plus bas, car ils développent une réelle culture de réhabilitation de l'auteur d'une infraction.

Viser l'efficacité du système répressif implique également d'autres efforts. Il faut accroître les possibilités de travail en prison. La création d'une agence nationale des personnes placées sous main de justice pourrait y contribuer, pour encadrer le travail en détention et développer le TIG en partenariat avec les collectivités et les entreprises. Par ailleurs la création d'un contrat de travail de droit administratif, à la fois dérogeant au droit commun et encadrant néanmoins les pratiques permettrait peut-être de clore les discussions sur ce sujet. En outre une réforme de l'organisation de la vie dans les maisons d'arrêt s'impose. Aujourd'hui est en place un système dit portes fermées. Le détenu peut rester enfermé 21h par jour dans sa cellule, s'il n'a ni travail ni formation ni sport ni parloir avec sa famille ou son avocat…

À l'occasion de la mise en place de la contrainte pénale une rénovation des méthodes de la probation est en cours. Il faut la poursuivre. De la même façon augmentons le nombre de sanctions autres que la prison. Les 16 966 condamnations à du travail d'intérêt général prononcées en 2013 ne sont pas suffisantes. Pour en terminer sur ce sujet il faut expérimenter des réponses nouvelles comme la justice réparatrice, qui consiste à mettre en lien (si la demande s'exprime et après préparation des deux parties) un détenu et sa victime directement ou avec des victimes du même type de crime délits. Il faut poursuivre les expériences de tutorat par des bénévoles des sortants de prison avec une supervision assurée par un professionnel du SPIP.

Enfin, et peut-être surtout il faut se pencher sur le statut du personnel pénitentiaire. Tous sont classés à des indices inférieurs aux responsabilités qu'ils effectuent. Cela est vrai du surveillant au directeur en passant par les officiers. L'efficacité de la prison passe par la revalorisation de ce statut.

Tels sont certains des thèmes traités dans cet essai ! 

*Viennent de publier : Prison : le choix de la raison aux Éditions ECONOMICA.