Print this page

“Face à la crise du logement, une proposition de loi pour reconstruire les fondations d’une politique à moyen terme”

Par Dominique Estrosi-Sassone, Sénateur des Alpes-Maritimes, présidente de la commission des affaires économiques

La crise du logement, une crise structurelle et durable qui résiste aux rustines.

Depuis trois ans, la France s’enfonce dans la crise du logement. Malgré un léger rebond début 2025, nous ne voyons pas l’issue. Et n’en déplaise à ceux qui verraient dans la baisse des taux la réponse à tous nos maux, elle tire bien ses racines de causes structurelles. Depuis une vingtaine d’années, la détérioration de la rentabilité locative et du pouvoir d’achat des ménages face à la flambée des prix immobiliers a grevé l’accès à la propriété et contribué à l’attrition et à la saturation du parc locatif, tandis que la construction, décriée au nom de principes écologiques ou individualistes, peinait à suivre le rythme de la démographie.

Face à cela, je déplore que nous légiférions toujours par petite touche, à coups de propositions de loi sectorielles. Régulation de la location meublée touristique, transformation des bureaux en logements ou encore encadrement des loyers dans les territoires ultramarins : ces textes adoptés depuis un an sont utiles, mais ils ne donnent ni un cap ni un souffle à notre politique du logement !

Ne laissons pas le logement être la victime de la valse des gouvernements

La crise du logement est un sujet trop grave pour faire les frais de l’instabilité gouvernementale. Gardons à l’esprit que plus d’un Français sur deux déclare avoir des difficultés à se loger, que 2,8 millions de demandeurs restent en attente d’un logement social correspondant à leurs besoins et que la construction neuve est loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire.

La dernière « grande » loi sur le logement adoptée par le Parlement date ainsi de… 2018 ! À l’époque, une conférence de consensus sur le logement, souhaitée par le Président du Sénat, avait permis de débattre avec l’ensemble des professionnels de l’acte de bâtir. Et encore, la copie initiale du Gouvernement faisait abstraction de sujets cruciaux comme les relations déséquilibrées entre propriétaires et locataires ou la révision des objectifs issus de la loi SRU. Le Sénat l’avait considérablement enrichie.

Poser les fondations d’une politique du logement grâce à une loi de programmation

Il est urgent de refonder notre politique du logement autour d’une vision à moyen terme. C’est ce que la proposition de loi que je déposerai cet automne s’attachera à faire.

La première pierre à poser à l’édifice de la refondation est un diagnostic sur l’ampleur du besoin. Comment mener une politique du logement dans la durée sans se fonder sur une vision partagée de l’ampleur de la tâche ? Cessons de naviguer à vue et d’avancer sans boussole ! Les élus locaux et les acteurs économiques ont plus que jamais besoin de visibilité.

Penser une politique du logement à moyen terme, c’est aussi anticiper les échéances de notre calendrier de rénovation énergétique ainsi que les effets du vieillissement de la population et de la vétusté des logements. Nous devons soutenir les propriétaires qui sont volontaires pour réaliser de coûteux travaux, notamment en copropriété. Surtout, il nous faut offrir de la lisibilité et des perspectives aux acteurs de la rénovation, en prévenant les atermoiements dont a souffert Ma Prime Rénov’ récemment.

Pour refonder la politique du logement, il faut ensuite se baser sur un pacte renouvelé avec les collectivités. Parce que la planification se fait avant tout à l’échelle locale, nous devons leur faire confiance et enrichir certaines de leurs compétences. En matière de logement social, nous avons déjà assoupli le cadre posé par l’article 55 de la loi SRU en 2022 : nous pouvons encore aller plus loin, pour prendre davantage en compte les contraintes de nos territoires et mieux accompagner les élus, notamment en supprimant des sanctions contreproductives. Il s’agit enfin de répondre au sentiment de dépossession des maires dans l’attribution des logements sociaux et les replacer au centre des décisions.

Une fois ces principes posés, il existe des solutions pour relancer la construction, favoriser l’accession à la propriété et relancer l’investissement locatif pour pallier l’attrition du parc locatif privé.

Relancer la construction

La maîtrise du foncier est la pierre angulaire de la relance de la construction de logements. Plusieurs avancées récentes sont à saluer, comme la loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements ou les adaptations à la trajectoire « zéro artificialisation nette » en faveur du logement votées au Sénat. Mais nous devons aller plus loin, en renforçant nos stratégies ainsi que la mobilisation des réserves foncières.

En matière de logement social, il faut aussi redonner des marges de manœuvre aux bailleurs, alors que les Gouvernements depuis 2017 ont augmenté la TVA dans le parc social et introduit la réduction de loyer de solidarité (RLS), source d’économies budgétaires au détriment des capacités d’investissement du secteur ! Des leviers complémentaires aux mains des organismes sont nécessaires, notamment pour réussir le défi de la rénovation et de la réhabilitation du parc social.

Encourager l’investissement locatif

L’extinction du « Pinel » n’a été contrebalancée par aucun autre dispositif de soutien à l’investissement locatif, malgré l’attrition du parc locatif depuis trois ans. L’examen du prochain budget sera, je l’espère, l’occasion de définir les contours d’un véritable « statut du bailleur privé », pour ne plus voir les propriétaires comme des profiteurs d’une rente mais comme des contributeurs à la vie économique et sociale du pays. Nous devons alléger certaines de leurs contraintes pour « dé-risquer » l’investissement dans la location longue durée, dont l’intérêt socio-économique est réel.

Favoriser l’accès à la propriété, rêve des classes moyennes

Relancer l’accès à la propriété est une urgence politique. Ne pas parvenir à sortir du parc locatif à un âge où leurs parents étaient propriétaires est source de frustration pour les jeunes générations. Cela alimente un sentiment de déclassement et d’assignation à résidence qui nourrit le ressentiment, dont nous voyons malheureusement les répercussions sur l’échiquier politique. Outre le maintien de la généralisation du prêt à taux zéro, il nous faut encourager l’accession sociale à la propriété et consolider le bail réel solidaire (BRS). Il est aussi nécessaire d’ouvrir le prêt à taux zéro aux logements ayant fait l’objet d’une première acquisition en BRS, pour ne pas gripper les parcours résidentiels des classes moyennes à qui ce produit est destiné.

Face à cette crise durable et multifactorielle, aucun segment du logement ne doit être négligé, aucune solution écartée. Mais surtout, il nous faut rompre avec les réponses par à-coups : traçons un cap clair et construisons une politique pensée pour le moyen-terme.