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Finances publiques de la France : à la recherche de l’équilibre perdu

Par Adrien Lehman, économiste, enseignant à Sciences Po*

La crise des finances publiques est le marronnier de l’histoire politique de notre pays. Le gouvernement Bayrou est tombé en ce début du mois de septembre 2025, sur une question de confiance, centrée sur la question de la dette publique. Cela alors que moins d’un an avant, en décembre 2024, le gouvernement Barnier avait trébuché, sur une motion de censure, après les débats sur le financement de la sécurité sociale. Pourtant, la stabilité de la Vème République nous avait permis d’oublier les crises que peuvent susciter les finances publiques.

Si les états généraux ont été convoqués par Louis XVI en août 1788, c’est précisément autour des questions budgétaires et fiscales, pour assurer la pérennité du régime. Plus proche de nous, sous les IIIème et IVème républiques, la question du budget a conservé sa place centrale dans leur équilibre politique. Ce vote est celui du consentement démocratique à l’impôt ; c’est le cœur du rôle du Parlement. En ces temps de crise politique, il est utile de se replonger dans la situation financière de notre pays. Toutefois, si l’analyse peut être technique, la décision procède ensuite de choix politiques : il appartient au gouvernement de présenter au Parlement et aux institutions européennes une trajectoire d’équilibre.

De la croissance d’hier aux tensions d’aujourd’hui

Durant les quarante dernières années, la croissance de l’économie française a permis d’absorber partiellement les besoins de financement des politiques publiques, qui ont eux aussi augmenté. Jusqu’aux années 1970, la croissance a ainsi atteint des pics autour de 8 % par an, sans jamais vraiment descendre en dessous de 3 %. Dans les années 1970 et 1980, la croissance a globalement évolué dans un couloir compris entre 6,2 % en 1970 et 2,9 % en 1990, avec une tendance baissière. Par la suite, la croissance évolue tendanciellement entre un niveau proche de zéro et un maximum de 4,1 % atteint à l’an 2000. Après la crise de 2008, la croissance n’a pas dépassé les 2,1 %. Cette situation entraîne une perte de bien-être collectif : moins de richesse créée, moins de recettes fiscales et donc moins de marges de manœuvre pour les politiques publiques.

La situation actuelle est caractérisée par un décalage entre une croissance qui ralentit durablement et des dépenses publiques qui n’ont pas cessé d’augmenter, alimentant la pression à l’augmentation des recettes. Celles-ci sont passées de 43,4 % du PIB en 1980 à un record de 53,7 % en 2022. Les gouvernements successifs se sont engagés à conduire une double politique visant à conduire des réformes pour rehausser les déterminants structurels d’une croissance de long terme et à stabiliser les dépenses publiques.

Cette tendance baissière de la croissance n’est pas une fatalité, comme en témoignent les niveaux atteints aux États-Unis. Elle y était ainsi de 2,8 % en 2024 contre 0,8 % en zone euro (vs. 2,5 % et 0,9 % en 2014). Pour parvenir à des niveaux équivalents en Europe, les investissements à conduire sont nombreux. Une baisse brutale de la dépense publique est illusoire et un monde sans croissance l’est tout autant, sauf à faire des concessions qui se traduiraient par une forte dégradation du bien-être collectif.

L’introuvable trajectoire de finances publiques

Dans ce climat, le recours à l’emprunt a été nettement mobilisé. Le pacte de stabilité et de croissance de 1997 prévoyait que les États membres de l’Union européenne maintiennent leur déficit public (flux) annuel sous la barre des 3 % du PIB et leur dette publique (stock) en dessous des 60 %. Pour autant, l’année 1997 est la dernière où la France respectera cette règle, laquelle vise à assurer la soutenabilité des dettes publiques, dans un contexte où l’introduction de l’euro s’est traduite par une amélioration des conditions de financement pour les États et donc par la tentation de s’endetter davantage sans en mesurer les risques.

Depuis lors, le stock de dette publique accumulé n’a cessé de croître, connaissant deux bonds majeurs – la crise de 2008 et la pandémie de Covid-19 en 2020. Depuis 2020, la dette publique française se stabilise autour de 110 % du PIB ; elle était ainsi de 114 % du PIB à la fin du premier trimestre 2025. Cette dette n’est pas mauvaise en elle-même, mais elle couvre chaque année nos besoins de financement généraux, plutôt que des investissements ciblés de long terme, et elle connaît une inertie à la hausse. Ce qui fait qu’à court terme la priorité des gouvernements successifs est plutôt de ralentir sa hausse que d’engager sa baisse.

Cette difficulté à stabiliser la dette publique génère des inquiétudes. Cela se traduit par des évaluations des agences de notation qui, si elles restent assez positives, se dégradent. Si cette dégradation s’accélérait, cela pourrait entraîner des difficultés de financement de la dette française, c’est-à-dire une augmentation du coût des intérêts, voire une baisse de la demande. Cela signifie qu’une part plus importante du budget de l’État devrait être consacrée à du remboursement d’intérêts plutôt qu’au financement des politiques publiques.

Or, le coût de la dette publique est déjà significatif. En 2024, la charge d’intérêts de la dette atteignait en France 50,9 milliards d’euros, soit quasiment le budget de l’Éducation nationale (55,1 Mds d’euros). Beaucoup d’argent public a ainsi été rendu aux investisseurs, alors qu’il aurait pu financer des missions d’intérêt général. Pour autant, il paraît difficile de ne pas rembourser une dette : c’est une question de confiance. Depuis 1797 et la banqueroute des deux tiers pendant la période révolutionnaire, la France a toujours remboursé jusqu’au dernier centime l’argent qui lui avait été prêté. Ainsi, malgré les difficultés que nous pouvons rencontrer, la France est toujours perçue comme émettrice d’une dette de qualité et la demande ne tarit pas. Cela reste vrai aussi longtemps que nous respectons nos engagements vis-à-vis de nos créanciers. Un pilotage fin est donc nécessaire.

Jusqu’à récemment, du fait des conditions de financement exceptionnelles permises par les taux bas, voire négatifs, en Europe, nous avons regardé ailleurs. Pour autant, face au retour de l’inflation à la fin de l’année 2021, la remontée des taux d’intérêt a dégradé les conditions de financement. Au demeurant, la France compte un problème supplémentaire : elle n’a pas su maîtriser suffisamment ses comptes publics quand les autres ont engagé davantage d’efforts.

Vers des dépenses publiques plus sélectives

Des pistes d’action existent. La priorité est de mieux maîtriser les dépenses de fonctionnement des administrations, qui représentent 475 Mds d’euros par an, soit 18 % du PIB. C’est moins que les dépenses de protection sociale, qui représentent une somme de l’ordre de 900 Mds d’euros, soit 34 % du PIB en 2022, mais elles constituent un gisement d’économies significatif, compte tenu des marges de progrès organisationnelles et liées au numérique. Des efforts doivent être engagés pour mieux responsabiliser les dirigeants publics sur les moyens qu’ils mobilisent, renforcer la culture managériale et identifier les simplifications qui amélioreront la qualité du service à moindre coût.

Cette recherche de l’équilibre perdu n’est assurément pas aisée. Elle nécessite un travail en pleine lumière, et non dans des couloirs feutrés, pour être expliquée et, souhaitons-le, comprise. Pierre Rosanvallon, dans son Bon Gouvernement, estimait dès 2015 que la colère d’une partie de nos concitoyens était due au fait que le vote ne suffit plus à légitimer démocratiquement une décision. En d’autres termes, nos élections sont démocratiques, mais notre mode de gouvernance ne l’est peut-être pas encore suffisamment. 

*Adrien Lehman est inspecteur dans une institution publique. Il enseigne l’économie à l’Ecole d’affaires publiques de Sciences Po. Il est l’auteur de Services publics, l’urgence d’agir (De Boeck Supérieur, à paraitre le 16 octobre 2025).