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Calcul de l’impôt sur le revenu : comment sortir du royaume d’Ubu ?

Par François-Xavier Martin, Ingénieur, Diplômé de Sciences Po Paris

Les débats actuels montrent que le système d’imposition français est généralement considéré comme injuste, en particulier parce que le pourcentage total de prélèvements fiscaux et sociaux diminuerait lorsqu’on atteint les hauts revenus.

Or curieusement l’impôt sur le revenu cristallise la plupart des critiques alors que cette dégressivité provient essentiellement du plafonnement de certaines retenues sociales sur les salaires et des taxes indirectes (dont la TVA).

Une discussion sérieuse sur le caractère juste ou injuste de l’impôt sur le revenu est donc nécessaire, mais est en fait réservée aux spécialistes de la fiscalité en raison de l’inutile complexité du calcul actuel de cet impôt.

Or il serait possible de remplacer ce système par un calcul extrêmement simple, politiquement neutre, où l’impôt sur le revenu ne dépendrait que de trois paramètres dont les valeurs seraient déterminées tous les ans dans la loi de finances. Partant d’un choix initial de paramètres évitant toute transition trop brutale avec le système actuel, il serait ensuite possible de faire varier chacun d’entre eux de façon transparente, rendant ainsi compréhensible par tous les évolutions vers des objectifs de justice fiscale bien identifiés.

Pourquoi le système actuel fait-il payer aux contribuables les plus modestes un impôt de 20 % sur la part de leurs revenus qui dépasse le seuil d’imposition ?

Pour d’évidentes raisons électorales les réformes antérieures de l’imposition sur le revenu ont eu pour but essentiel d’augmenter le nombre de foyers y échappant. Comme l’Administration fiscale n’utilise que des méthodes de calcul archaïques (tranches d’imposition, décotes, majorations, réductions …) on arrive actuellement à cet incroyable paradoxe : dès que le revenu d’un contribuable dépasse le seuil d’imposition (environ 15 000 e par part) il est soumis non pas au taux marginal de la première tranche (14 %), mais à un taux d’environ 20 % !

En effet, afin de diminuer le nombre de foyers imposables a été mis en place un système de décote qui consiste à soustraire de l’impôt avant décote une somme de « 1 196 e moins 75 % de l’impôt avant décote », ce qui revient donc à instaurer pour les contribuables entrant après décote dans la zone imposable une sous-tranche au taux de : 14 % x 1,75 = 24,5 % (ramené à 19,6 % dans sa partie inférieure car, soyons simples, a été superposée à la décote une « réduction de 20 % pour les foyers modestes » !).

Lorsque notre contribuable atteint un revenu d’un peu plus de 21 000 e par part, il voit son taux d’imposition marginal tomber à 14 % et entre enfin dans un système d’impôt progressif cohérent (mais perfectible) où le taux marginal augmente par paliers de 14 % jusqu’à 45 %.

Les autres inconvénients de l’actuel système de tranches

L’exemple précédent n’illustre qu’un des multiples inconvénients du calcul actuel de l’impôt sur le revenu basé sur un système de tranches :

• du fait de la complexité de ce système, beaucoup de contribuables n’ont pas une perception bien nette de son fonctionnement. Souvent ils ne font pas clairement la distinction entre taux d’imposition moyen et taux d’imposition marginal auxquels ils sont soumis. D’où des déclarations aberrantes du type : « Je fais très attention à ne pas faire trop augmenter mon revenu sinon je vais “sauter de tranche” »

• la confusion permanente entre le taux d’imposition marginal et le taux moyen (ou effectif) peut avoir de graves conséquences sur l’attractivité du pays (cf le 75 % de François Hollande, abondamment utilisé comme repoussoir à l’implantation en France par les pays concurrents. Repris récemment par un politicien tête de liste aux élections européennes qui, poussé dans ses retranchements lors d’une interview à la télévision, proposait une tranche à 80 %, cette proposition s’attirait immédiatement la réponse de son interlocuteur, pourtant journaliste français ultra-connu : « Ah bon ! à quelqu’un qui gagne 10 000 e par mois, vous ne laissez que 2 000 e ? »),

• la croissance du taux d’imposition avec le revenu n’est pas régulière, ce que montrent les creux et bosses de la courbe représentant le taux moyen en fonction du revenu,

• un récent sondage a montré qu’une bonne partie de l’opinion – population vraisemblablement composée essentiellement de citoyens qui ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu - réclame plus de progressivité sans comprendre ce que ce mot veut dire. Quand on abandonne les mots pour parler chiffres, ils pensent que le système n’est pas progressif parce que celui qui gagne trois fois plus qu’un autre paierait moins de trois fois plus d’impôts… ce qui signifie implicitement que la simple proportionnalité d’une « flat tax » leur semblerait logique ! Peut-être faut-il voir à cette demande de progressivité l’influence des courbes abondamment diffusées par Thomas Piketty qui est obligé de regrouper impôts directs, indirects et charges sociales pour montrer qu’existe une diminution de taux global de prélèvements au niveau de très hauts revenus – dont il exagère par ailleurs la population apparente en dilatant discrètement l’échelle des abscisses pour les derniers centiles.

La méthode proposée

Au lieu de l’actuelle batterie de nombres nécessaire à la définition de tranches, de la décote, de la réduction pour « foyers modestes », il suffit de faire voter tous les ans dans la loi de finances trois paramètres :

• Seuil d’imposition : Rmin

• Taux maximum d’imposition : Tmax

• Coefficient de progressivité de l’impôt : Prog

Chaque contribuable peut ensuite calculer très simplement le montant de son impôt. Il lui suffit de :

• Diviser son revenu imposable (après déductions telles que les 10 % pour frais professionnels) par le nombre de parts du foyer

• Déduire de son revenu imposable par part R le seuil d’imposition Rmin

• Diviser le montant obtenu par : Prog + (R / Tmax) : il obtient son taux d’imposition effectif (moyen) avant réduction et crédit d’impôt (c’est celui qui est utilisé depuis le 1er janvier 2019 pour la retenue à la source).

• Eventuellement refaire le même calcul avec un nombre de parts réduit pour tenir compte du plafonnement des effets du quotient familial (mesure dont la pertinence mériterait un débat de fond tant elle va à l’encontre de l’objectif d’équilibre de la future grande retraite par répartition)

Le diagramme qui suit montre la compatibilité avec le système d’imposition actuel (barème 2019) si on utilise les paramètres :

• Seuil d’imposition Rmin = 15 000 e

• Taux maximum d’imposition Tmax = 43 %

• Coefficient de progressivité Prog = 82 000

Il faut bien remarquer que le système de calcul proposé est politiquement neutre. Ce sont les valeurs retenues pour les 3 paramètres indiqués plus haut qui incarnent la volonté politique de faire participer plus ou moins à l’effort fiscal telle ou telle tranche de revenus.

Le choix de valeurs correspondant au graphique montre qu’il est possible d’assurer une transition sans heurts avec le système actuel. Ne portant que sur 3 paramètres, la discussion pendant les années suivantes permettra de faire varier chacun de ces paramètres de façon totalement transparente tout en rendant les objectifs recherchés compréhensibles par tous.