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Les enjeux planétaires de la PMA

Par Jean-François Bouvet, Docteur d’État des sciences - Biologiste et essayiste*

Le 12 septembre dernier, la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, confirmait l’intention du gouvernement de proposer une extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples lesbiens et aux femmes célibataires. Cette déclaration d’intention, tirant en particulier argument de l’avis favorable émis le 15 juin 2017 par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), n’a pas manqué de relancer le débat sur les enjeux éthiques de la PMA. Reste qu’en France, la révolution procréative qui se dessine s’inscrit essentiellement dans le champ sociétal. Ailleurs dans le monde se font jour des applications de la PMA interrogeant l’éthique de manière plus radicale : rien de moins que la sélection des embryons pour des raisons non médicales, ou leur manipulation génétique.

Depuis la naissance en 1978 du premier « bébé-éprouvette », la Britannique Louise Brown, la fécondation in vitro (FIV) a croisé sur sa trajectoire des révolutions biotechnologiques majeures. Dès les années 1990, c’est le diagnostic préimplantatoire (DPI) qui prend son essor. Il vise à détecter la présence d’anomalies génétiques chez les embryons conçus par FIV. En pratique, une ou deux cellules de l’embryon sont prélevées au troisième jour de développement lorsque cet embryon comporte huit cellules. Et ce, en vue d’une analyse génétique permettant de sélectionner les embryons « sains », susceptibles d’être transférés dans l’utérus de la future mère.

En France, le DPI est très encadré. Seuls cinq établissements de santé sont autorisés à le pratiquer. Et la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique le limite strictement à des cas, médicalement attestés, où « le couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». À l’échelle mondiale, l’encadrement du DPI n’est pas toujours strict, laissant prospérer les dérives. Déjà, plusieurs pays — tels la Thaïlande ou les États-Unis dans la plupart des États — offrent la possibilité de choisir, grâce au DPI, le sexe d’un enfant conçu par FIV. Plus près de nous, c’est le cas de l’Ukraine ou de la République turque de Chypre du Nord. Israël se singularise en ne rendant accessible le DPI en vue du choix garçon/fille qu’aux parents ayant déjà mis au monde quatre enfants de même sexe. Quant à l’Australie, elle envisageait récemment, avant de finalement y renoncer, d’autoriser dès le troisième enfant le DPI visant au rééquilibrage de la balance familiale. L’idée était d’éviter à de futurs parents désireux de choisir entre fille et garçon le recours au « tourisme procréatif »… et d’accompagner une évolution de la société considérée comme inéluctable. Une évolution vers le « bébé à la carte » ? Car, après le sexe, pourquoi ne pas choisir aussi la couleur des yeux, voire plus tard le potentiel intellectuel ?

Trier un jour les embryons par DPI en fonction de leurs supposés « gènes de l’intelligence » ? La chose est moins inenvisageable qu’il n’y paraît. Le 22 mai dernier, la revue Nature Genetics publiait une analyse génétique portant sur 78 308 personnes ayant été soumises à des tests d’intelligence, mesurant en particulier le QI. Cosignée par une trentaine de chercheurs de laboratoires néerlandais, suédois, britanniques et américains, cette étude a permis d’identifier quarante nouveaux gènes pouvant être corrélés aux résultats des individus à des tests de ce type. Et le travail de ces scientifiques n’est pas le seul sur la question : pour débusquer les gènes des capacités intellectuelles, la Chine aussi est à la manœuvre. En première ligne, le Cognitive Genomics Lab, un laboratoire lié à l’un des plus grands centres mondiaux de séquençage de l’ADN : le Beijing Genomics Institute (BGI), désormais implanté à Shenzhen, aux portes de Hong Kong. Créé en 2011, ce laboratoire veut explorer la génétique de la cognition humaine. Il s’agit pour les chercheurs de collecter des échantillons d’ADN chez des individus parmi les plus intelligents au monde… Du moins considérés comme tels parce que dotés d’un fort QI. Et ce, en vue de comparer leur génome à celui d’individus à QI plus modeste, dans l’espoir d’identifier les allèles — les variants des gènes — qui déterminent « l’intelligence »… Comme si cette dernière revêtait une forme unique et ne dépendait que de facteurs génétiques. Toujours est-il que les recherches effectuées au Cognitive Genomics Lab ne laissent pas d’inquiéter en raison de possibles visées eugénistes, non clairement démenties par les scientifiques de ce laboratoire.

Si le DPI — ce check-up génétique permettant une sélection des embryons — apparaît légitime lorsqu’il a pour but d’écarter un risque de maladie incurable, au nom de quoi le justifier lorsqu’il prétend sélectionner les individus en fonction de critères, tels la couleur des yeux ou le QI potentiel, qui n’ont plus rien à voir avec la pathologie ? Trier les humains, fut-ce au stade embryonnaire, n’est-ce pas déjà considérer que certains d’entre eux sont par essence supérieurs à d’autres ? Faire fi du principe d’égalité de la Déclaration universelle des droits de l’homme ?

Autre sujet majeur interrogeant l’éthique : la modification génétique d’embryons humains par les « ciseaux moléculaires » CRISPR/Cas9 récemment mis au point. La première annonce scientifique sur le sujet remonte à avril 2015 ; depuis, d’autres expérimentations génétiques sur l’embryon, ou sur l’œuf dont il est issu, ont été conduites en Chine, en Suède et aux États-Unis. Exemple parmi d’autres : une équipe chinoise est parvenue à doter des embryons humains d’un gène de résistance au virus du sida. Nous assistons bel et bien aux premières intrusions, avant la naissance, dans le patrimoine génétique de l’espèce humaine… Lesquelles sont loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique.

Imaginons ce à quoi aboutirait la modification génétique d’un embryon humain si celui-ci venait à être implanté in utero pour développement jusqu’à terme : dans la mesure où ses futures cellules reproductrices seraient aussi affectées, cela reviendrait à impacter non seulement le génome d’un individu, mais aussi celui de sa descendance. Et les conséquences seraient du même type si la modification ciblait en amont les gamètes ou l’œuf à l’origine de l’embryon. En mars-avril 2015, des scientifiques américains, et non des moindres, mettaient en garde, dans les prestigieuses revues Science et Nature, contre l’usage incontrôlé de telles manipulations génétiques. Ils s’inquiétaient en particulier du risque d’altérations parasites de la séquence de l’ADN en des points non spécifiquement visés. Postuler qu’une technique de manipulation génétique puisse être d’une fiabilité parfaite serait effectivement faire preuve d’un aveuglement d’autant plus coupable que les enjeux sont vertigineux. Conscients de leur ampleur, ces scientifiques américains en appelaient à un moratoire — sans grand effet pour l’instant.

Les décennies futures seront-elles celles du bébé OGM ? Oui, si l’on en croit la « loi de Gabor » énoncée par ce prix Nobel de physique et disant en substance que tout ce qui est techniquement réalisable se fera. Dernière prouesse technique : le 23 septembre dernier paraissait, dans la revue Protein&Cell, une étude d’une équipe scientifique de l’université Sun Yat-sen de Guangzhou ayant ciblé sur des embryons humains un gène impliqué dans une maladie génétique affectant le sang, la bêta-thalassémie… La nouveauté est qu’il s’agissait d’embryons formés par clonage.

Vu la vitesse ahurissante à laquelle s’enchaînent les « avancées » biotechnologiques en matière de reproduction humaine, on peut craindre que le questionnement éthique ait beaucoup de mal à suivre. 


*Auteur de Bébés à la carte (Équateurs, 2017)