Print this page

Energies renouvelables : Rêves et réalités

Par Rémy Prud’homme, Professeur des Universités*

En juin 2015 Corinne Lepage a remis à la ministre de l’Ecologie un rapport modestement intitulé L’Economie du Nouveau Monde. On y lit, page 25 : « En 2014, l’électricité solaire représente 10 % de l’électricité du monde ». En réalité la part du solaire dans l’électricité du globe est en 2014 de 0,8 %. Douze fois moins. Cette méga-bourde n’est pas anodine. Madame Lepage, qui a été ministre de l’Environnement, est considérée comme une autorité en matière de climat d’environnement. Il ne s’agit pas d’une erreur lâchée dans le feu d’une discussion, comme chacun peut en commettre, mais bien d’une phrase écrite, pensée, relue, contrôlée, qui exprime ce que pense vraiment son auteur. Enfin, cette contre-vérité grossière n’est pas le fait de la seule Madame Lepage, mais apparaît dans un rapport produit et approuvé par 27 spécialistes (ou soi-disant tels) assistés par les fonctionnaires du ministère de l’Ecologie. Elle est représentative du climat mythique (imprécision, fantasme, ignorance des faits, mépris des chiffres) qui caractérise la réflexion et les politiques relatives aux énergies nouvelles.

Pour l’essentiel « énergies renouvelables » égale « électricité solaire et éolienne ». Certes, il y a le bois, la géothermie, ou les biocarburants, qui produisent une énergie non-électrique ; et l’hydraulique qui produit de l’électricité et même qui en produit davantage que le solaire et l’éolien. Ces renouvelables-là sont les bienvenus. Mais dans la plupart des pays, et notamment en France, leurs possibilités de développement sont limitées. Restent les électricités solaire et éolienne dont le développement est techniquement infini. Dans le monde, les investissements dans les renouvelables se concentrent à 95 % sur ces deux formes.

Les renouvelables sont le débouché principal du discours dominant sur le réchauffement climatique. Si ce réchauffement est causé par les rejets de CO2 de l’homme, et si ses conséquences sont catastrophiques, alors la réduction de ces rejets est un impératif absolu. Elle impose la réduction à tout prix de notre consommation d’énergie, et le remplacement des énergies carbonées par des énergies décarbonées, c’est-à-dire (en faisant, Dieu sait pourquoi, l’impasse sur l’énergie nucléaire) par les énergies renouvelables. On a longtemps avancé une deuxième justification : l’épuisement rapide et prochain des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz) annoncé par tous les experts. On sait maintenant qu’il ne s’agissait que d’un sabre de bois.

Depuis une quinzaine d’années, un certain nombre de gouvernements ont donc subventionné sans compter le développement du solaire et de l’éolien. Le secteur relève du big business globalisé, avec multinationales, grandes banques d’affaires, fonds dédiés, et puissants lobbies : en investissements annuels, il pèse maintenant plus lourd que l’industrie automobile. La production d’électricité qui en résulte augmente rapidement mais reste modeste : un peu plus de 5 % de l’électricité consommée dans le monde en 2016, soit 2 % de l’énergie consommée dans le monde. La contribution actuelle des renouvelables à la diminution des rejets annuels de CO2 du globe reste donc faible : à peine 2 %.

Le 5 % de part des renouvelables dans la production d’électricité est une moyenne. On trouve des taux bien inférieurs dans la plupart des pays en développement ; des taux comparables pour la France, les Etats-Unis, la Chine, le Canada, et des taux nettement supérieurs (supérieurs à 15 %) en Italie, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne, au Danemark.

Le développement des renouvelables pose deux problèmes (liés) : un problème d’intermittence, et un problème de coût.

Un problème d’intermittence : un panneau solaire produit de l’électricité seulement environ 1200 heures par an (en France), et une éolienne environ 2200 heures (sur les 8760 heures de l’année). Surtout, ces heures sont à la fois peu prévisibles et ne correspondent pas forcément aux heures de forte demande. Le solaire, en particulier, a la mauvaise habitude de briller davantage les midis d’été (lorsqu’on n’en a guère besoin) que les soirées d’hiver (lorsque l’on veut s’éclairer et se chauffer). Si l’on savait stocker l’électricité, cela ne serait pas trop grave. Mais pour le moment, on ne sait pas, et cela pose un grave problème d’adéquation de la demande à l’offre. En pratique, on utilise l’électricité non-renouvelable - mais pilotable - comme un filet de sécurité. Bref, un KWh de renouvelable ne vaut pas un KWh de thermique ou de nucléaire.

Un problème de coût, ou pour mieux dire, de coûts. Les coûts directs, à la charge du producteur, ont longtemps été très élevés, bien plus élevés que les coûts directs des centrales thermiques ou nucléaires. C’est la raison pour laquelle les renouvelables ne se sont développés que grâce à des subventions considérables. Elles ont généralement pris la forme d’achats obligatoires à des prix élevés, bien plus élevés que les prix de gros de l’électricité. Ces subventions ne sont pas payées par les contribuables, mais par l’ensemble des consommateurs d’électricité : vous les trouverez sur votre facture d’électricité, à la rubrique CSPE (contribution au service public de l’électricité). En 2016, elles s’élèvent en France à environ 4 milliards d’euros, et augmentent chaque année ; et en Allemagne à plus de 20 milliards d’euros, chiffre également en augmentation. Les coûts directs ont beaucoup diminué au cours des années récentes. Ils restent élevés. Les résultats du dernier appel d’offre de la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) pour le solaire (6 septembre 2017), 88 et 98 €/MWh, sont la moitié de ce qu’ils étaient en 2011, mais plus du double des prix de gros actuels.

Cependant l’essentiel concerne les coûts indirects, les coûts causés à la société par les renouvelables, mais non supportés par leurs auteurs : les coûts de raccordement au réseau électrique, les coûts de transport supplémentaires rendus nécessaires par l’éparpillement des sources renouvelables, les coûts engendrés par la brutalité des variations de production, les coûts de stockage, les dommages aux paysages, et surtout sans doute les coûts d’éviction des autres modes. La priorité donnée aux renouvelables, combinée avec la nécessité de maintenir plus ou moins constant le parc de non-renouvelable, fait que la durée de fonctionnement de ce parc diminue, et diminue fortement. En Espagne et en Allemagne, les deux pays où la production de renouvelable a le plus progressée, entre 2005 et 2014 le parc thermique a nettement augmenté (de plus de 20 %), et le nombre d’heures de fonctionnement a fortement diminué (de près de 50 % en Espagne, de 30 % en Allemagne), ce qui augmente mécaniquement le coût de production des énergies non renouvelables. Loin de diminuer dans le temps, ces coûts indirects augmentent au contraire avec le taux de pénétration des renouvelables.

Il en résulte que les prix de vente de l’électricité augmentent rapidement avec l’importance des renouvelables. En Europe, avec une vingtaine de pays grossièrement comparables, la corrélation est presque parfaite : 110 €/MWh en Hongrie avec 3 % de renouvelables ; 170 € en France avec 5 % ; 300 € en Allemagne avec 18 %. Cette hausse de prix est d’autant plus déplorable qu’elle frappe plus durement les pauvres que les riches. La consommation d’électricité augmente en effet nettement moins vite que les revenus, ce qui fait de l’impôt affecté aux renouvelables une taxe fortement régressive.

Le cas de la France est assez particulier. La demande d’électricité y stagne ou décline (comme dans beaucoup d’autres pays européens). Plus de renouvelable, c’est donc moins de nucléaire. La comparaison ne doit pas porter sur le coût du nucléaire neuf et le coût du renouvelable neuf, qui tendent à se rapprocher. La France dispose en effet d’un parc nucléaire amorti, qui peut encore fonctionner une bonne quinzaine d’années, à un coût d’entretien et d’uranium assez faible. La comparaison doit porter sur ce coût de fonctionnement du nucléaire et le coût du renouvelable neuf. Le nucléaire est alors trois ou quatre fois moins coûteux que le renouvelable, pour une électricité également décarbonée, et surtout non intermittente. Le refus très répandu de comprendre cette évidence est sans doute à mettre sur le compte du caractère mythique des renouvelables. 


* Vient de publier : Renouvelables : Quand on aime, on ne compte pas - Editions L’Artilleur