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La reconnaissance du Haut-Karabagh, un coup d’épée dans l’eau

Contre l’avis du Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat ont chacun voté à une large majorité une proposition de résolution pour la reconnaissance de la république du Haut-Karabagh. Une résolution sans portée législative.

Bien que non contraignante, cette proposition de résolution a une forte valeur symbolique. C’est même une première mondiale. Après une guerre éclair de six semaines remportée par les forces de l’Azerbaïdjan et au terme du cessez-le-feu signé entre Erevan et Bakou, la république autoproclamée du Haut-Karabagh (1994) - enclave à majorité arménienne située en Azerbaïdjan - a été amputée des trois quarts de son territoire. Par peur d’exactions, la population a fui vers l’Arménie à travers un minuscule corridor placé sous la protection de la Russie. En votant cette résolution, le Sénat et l’Assemblée ont voulu formaliser leur soutien à cette population, et aussi à l’Arménie, face à la menace permanente de l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie. Au Sénat qui a été la première chambre à se saisir du sujet, le texte était soutenu par 5 des 8 groupes politiques. Il a été adopté par 305 voix pour, une contre et 30 abstentions. Cette proposition de résolution « invite le gouvernement à reconnaître la république du Haut-Karabagh » et « et à faire de cette reconnaissance un instrument de négociations en vue de l’établissement d’une paix durable ». La résolution condamne aussi fermement « l’agression militaire de l’Azerbaïdjan, menée avec l’appui des autorités turques et de mercenaires étrangers ». Un appui turc que le texte accuse directement d’être « à l’origine de l’agression ». « Il ne faut pas se cacher derrière notre petit doigt diplomatique » n’a pas hésité à dire le président LR au Sénat, Bruno Retailleau. « Ils ne connaissent qu’une seule limite : le rapport de force ». Les sénateurs LREM n’ont pas pris part au vote estimant que cette reconnaissance unilatérale serait « porteuse de difficultés supplémentaires ». Le gouvernement par la voix de Jean-Baptiste Lemoyne a pour sa part estimé qu’elle ferait perdre « toute capacité d’influence ». Notre pays « ne serait plus d’aucun secours pour ceux-là même auxquels vous voulez porter secours » a-t-il ajouté.

A l’Assemblée, la proposition de résolution du groupe Les Républicains est de la même veine en demandant la « mise en œuvre d’un processus de reconnaissance du Haut-Karabagh ». Elle n’hésite pas non plus à aller plus loin en invitant le Gouvernement à « réexaminer, avec ses partenaires européens, la processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ». Comme au Sénat, la proposition de résolution a été largement adoptée par les députés (188 voix pour, 3 contre, 16 abstentions). Les élus LREM qui avaient la liberté de vote ont largement voté en faveur de la résolution (82 pour, un vote contre et 13 abstentions). Pourtant en nombre dans l’hémicycle, ils auraient pu faire échouer le texte. « Les Arméniens sont une partie de la France, ils ne peuvent pas être abandonnés. Nous défendons une cause universelle qui nous dépasse : celle de la justice et des droits humains » s’est ému Guy Teissier (LR, Bouches-du-Rhône) lors des explications de vote. Et « face au silence international assourdissant, nous nous devons d’être aux côtés de l’Arménie. Ce texte est attendu. Et nous sommes persuadés que la reconnaissance du Haut-Karabagh est indispensable au processus de paix » a pour sa part défendu la députée Brigitte Kuster. Pour le gouvernement, la ligne est simple : On ne reconnaît pas le Haut-Karabagh car, le « reconnaître reviendrait à, nous exclure nous-même de la co-présidence du groupe de Minsk ! [...] ce serait renoncer à notre rôle de médiateur et à notre ambition de bâtir une paix durable » a justifié le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian qui tout en reconnaissant que « les symboles comptent », « ce qui compte le plus encore c’est notre capacité à agir demain ». Agir demain, c’est probablement ce qui a poussé le député François Pupponi (Liberté et territoires) à voter le texte : « je suis convaincu que le vote d’aujourd’hui rendra service à l’Arménie, à l’Artsakh, mais aussi à la France. Ce sera un moyen de plus que vous aurez dans les négociations » a-t-il lancé au Gouvernement.

Dans un communiqué, le Quai d’Orsay rappelait une nouvelle fois la position du Gouvernement français : « La France ne reconnaît pas la république autoproclamée du Haut-Karabagh. Notre responsabilité en tant que co-présidence du groupe de Minsk de l’OSCE est de travailler à une solution négociée du conflit du Haut-Karabagh, notamment sur la question du statut futur du Haut-Karabagh et l’issue de cette négociation ne saurait être déterminée de manière préalable et unilatérale »

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