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Cannabis : pourquoi dire NON

Par le Professeur Patrice Tran Ba Huy, et le Professeur Jean Costentin, Membres de l’Académie Nationale de Médecine

C’est presque traditionnellement qu’en période électorale on voit et entend des responsables politiques décliner à l’envi les arguments pour la légalisation ou la dépénalisation du cannabis. Cela priverait le crime organisé d’une source majeure de revenus, diminuerait significativement les coûts policiers, judiciaires et carcéraux liés à la politique de répression de cette drogue et assurerait des rentrées fiscales estimées à près d’un milliard d’euros si elle était taxée comme le tabac. Argument ultime, la prohibition du cannabis, légale depuis 1970, est un échec comme en témoigne la place qu’occupe la France au premier rang des nations européennes avec plus d’un million et demi d’usagers réguliers, 700 000 usagers quotidiens et 300 000 gamins l’ayant déjà expérimenté ! Alors pourquoi ne pas abroger une loi inefficace, inutile…bref en jachère à l’opposé de la culture de son objet, elle en véritable explosion et en constant progrès de rendement (la concentration moyenne du tétrahydrocannabinol (THC), son principe actif, a été multipliée par 5 dans la résine au cours des dernières années. Rappelons que, grâce à sa solubilité dans les graisses, le THC se fixe intensément sur les neurones dont il ne se libère que lentement, non sans en avoir altéré parfois de façon irréversible leur fonctionnement).

Pareille décision amplifierait sans nul doute les redoutables conséquences de sa consommation. Sa responsabilité est en effet avérée dans la mortalité routière, dans l’augmentation de la fréquence de suicide chez les adolescents, dans la survenue d’accidents vasculaires cérébraux du sujet jeune, dans différentes pathologies graves des voies respiratoires, dans la perturbation du cours de la grossesse, avec prématurité, hypotrophie foetale, retard du développement psychomoteur, dans le décrochage scolaire et dans l’apparition de différentes manifestations psychiatriques anxiété, dépression et, plus grave encore, la schizophrénie. Ajoutons que chez nombre d’amateurs de pétards initialement festifs il constitue la première marche vers les drogues encore plus dures.

Alors, légaliser le cannabis, c’est-à-dire légaliser une drogue qui dégrade et qui tue, comme le sont alcool et tabac avec leurs dizaines de milliers de morts par an ? Impensable et irresponsable. Notre société a besoin d’interdits et notre jeunesse de garde-fous barbelés. Le dépénaliser, avec pour corollaire sa « contraventionnalisation » ? Ce néologisme aura l’efficacité de l’amende du client sur la prostitution. L’argent, s’il est réellement récolté, ne couvrira jamais les dépenses engagées par les conséquences sanitaires de son utilisation. La levée de la prohibition n’affectera guère les réseaux mafieux en raison notamment de la porosité des filières d’approvisionnement de stupéfiants et de leur diabolique capacité à s’adapter aux nouvelles lois du marché. Quant à la gestion de l’industrie cannabique (prix du joint, sites de production, teneur en THC, réseau de distribution, etc.) elle requiert un savoir-faire dont l’Etat a peine à faire montre dans d’autres secteurs ô combien plus décisifs.

Certes, quelques individualités médicales respectables, militent pour une nouvelle législation afin, prétendent-ils, de mieux traiter leurs patients. Mais c’est bien avant qu’il convient d’agir car le cannabis est une drogue lente dont les méfaits sanitaires ne se manifestent qu’après des années de pratique. C’est donc sur le collégien et même dès l’enseignement primaire (1) que doivent porter les efforts de prévention avant que ne s’installent la dépendance, l’esclavage, la déchéance physique et psychique, en bref, le malheur. Il n’existe pas de tâche plus noble et urgente pour notre Education Nationale que d’accorder quelques heures dans ses programmes d’éducation citoyenne à l’information sur les dangers de cette drogue.

Pour nos gamins de France, résistons aux vertiges libertaires de la transgression. 


(1) « Désamorcer le cannabis dès l’école » – Rapport de l’Académie Nationale de Médecine sous la direction de Roger Nordmann, Editions Lavoisier, 2006, 107p

 

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