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Un meilleur sommeil pour tous

Par Dalibor Frioux, Jean-Pierre Giordanella, Antoine Hardy, Damien Léger, co-auteurs du rapport Terra Nova « Retrouver le sommeil, une affaire publique »

Le sommeil a beau être une expérience intime, les conditions qui le permettent concernent la société toute entière. En effet, le besoin simple et vital de bien dormir est influencé par des choses aussi diverses que les horaires de travail et de transports, la taille du logement, le bruit de l’environnement, la vie communautaire, la situation économique…

Le sommeil dépendrait-il de tant de facteurs privés qu’il serait interdit aux pouvoirs publics de s’en emparer ?

Au contraire ! La première action consiste à « casser la solitude » qui entoure le sommeil, cette idée que le mauvais sommeil, les insomnies, les nuits trop courtes, relèveraient de la stricte responsabilité personnelle - et le besoin de dormir de la paresse. Un important effort de sensibilisation doit être mené auprès du grand public. Et les acteurs politiques ont là un rôle essentiel à jouer. Intégrer une communication sur le sommeil dans le Plan national nutrition santé (7 heures de sommeil sont nécessaires en moyenne) ; « Manger mieux, bouger plus, bien dormir », diffuser le slogan « Les hypnotiques, c’est pas automatique », pour lutter contre la facilité pharmacologique du sommeil artificiel, et renforcer la visibilité de la journée internationale du sommeil du 19 mars en partenariat avec l’Éducation nationale, agiront en ce sens.

Mais au-delà de ce qui peut prendre les contours d’une bataille culturelle, des mesures très concrètes sont avancées dans le rapport de Terra Nova.

A l’école, d’abord. Il s’agit par exemple d’encourager à la fois l’éducation au sommeil, au même titre que d’autres thématiques d’éducation sanitaire, et la pratique de la sieste au-delà de la moyenne section. Décaler l’heure de début des enseignements permettrait de diminuer la fatigue des enfants ; introduire dans le carnet de santé des repères de sommeil en fonction de l’âge et aborder cette problématique pendant la grossesse aideraient les parents.

Dans la santé, ensuite. L’enseignement scientifique sur le sommeil doit avoir sa place dans les facultés de médecine, avec la mise en place d’un parcours pluridisciplinaire permettant aux étudiants de comprendre les mécanismes, les pathologies et la prise en charge des troubles du sommeil et de l’éveil. Les personnels paramédicaux, acteurs d’éducation thérapeutique, doivent prendre en compte le sommeil des patients hospitalisés, notamment en réanimation ou en post-chirurgical, car il contribue à leur bon rétablissement malgré les conditions défavorables (douleur, bruit, appareils de réanimation). Plus largement, l’horizon est celui de l’intégration, dans le droit à la dignité reconnu aux patients hospitalisés, du respect du sommeil ainsi qu’une mobilisation des associations de patients souffrant de troubles du sommeil autour du concept de « patient expert » et d’« éducation thérapeutique ».

Au travail, enfin. De façon très pratique, l’idée de la sieste au travail doit progresser. D’abord, en comprenant bien qu’il ne s’agit pas d’une prime aux fainéants mais d’un temps de récupération au sujet duquel il faut favoriser la discussion au sein de l’entreprise, en particulier pour les travailleurs de nuit/postés. Tout ce qui améliore également la vie d’un collectif de travail est précieux : adaptation des horaires des réunions du soir et du matin en fonction des temps de trajet des salariés, éviter les réunions après 18h, etc. C’est ainsi que les formations en ressources humaines, tant initiale que continue, gagneraient à bénéficier de modules dédiés aux questions de sommeil et de fatigue, assurés par des personnels médicaux. La médecine du travail a bien sûr un rôle crucial à jouer dans la détection et le diagnostic des troubles du sommeil. Elle peut particulièrement observer si les troubles du sommeil sont liés à la situation de travail (stress, nature des tâches, difficulté ou impossibilité à faire des pauses, etc.) ou des facteurs externes à celle-ci.

Ecole, santé, travail : ce sont-là quelques axes d’action. Finalement, la complexité d’une problématique comme le sommeil est une chance pour l’action publique : il existe de multiples leviers, et de nombreux autres domaines pour agir. La lutte contre la pollution sonore et lumineuse en est un. Ou encore le renforcement de la sécurité routière, en mettant en place au niveau des statistiques annuelles une meilleure identification des accidents liés à la somnolence. Autrement dit, l’inaction ne serait pas acceptable. 

 

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