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Le Plan anti-radicalisation de Manuel Valls

Manuel Valls a présenté le 9 mai dernier son Plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme. Ce plan qui compte 80 mesures dont 50 nouvelles se revendique une « approche la plus transversale possible » et pas seulement sécuritaire. Revue de détail.

Il ne s’agit pas de se voiler la face, « notre pays – il n’est pas le seul – est confronté à un phénomène massif : la radicalisation islamiste » reconnaît le Premier ministre dès la première phrase de son discours. « Cette radicalisation, poursuit-il soutient, exalte le terrorisme. Bien souvent, elle en est l’antichambre ». Et parce que cette « idéologie du chaos » qui « nous a déclaré la guerre » « glorifie la mort, répand une vision paranoïaque du monde dans laquelle les prétendus « oppresseurs » ou « mécréants » doivent payer le prix du sang » et qu’elle « corrompt les esprits au coeur même de nos sociétés, transforme des individus qui ont grandi ici, ont fréquenté nos écoles, en ennemis prêts à frapper, à retourner les armes contre leurs propres concitoyens », le Chef du gouvernement entend lutter pied à pied contre cette radicalisation lancinante et menaçante avec 80 mesures dont 50 nouvelles – certaines de ces mesures sont déjà inscrites dans le projet de réforme pénale en cours d’examen au Parlement.

Ce plan, précise Manuel Valls établit une « stratégie globale », à la fois en amont, « pour prévenir et détecter, traquer la radicalisation », et en aval « pour la combattre ».

« Il faut prévenir la radicalisation… et la détecter le plus précocement possible » insiste le Premier ministre qui rappelle combien l’Education nationale est en matière de prévention « en première ligne ». L’une des mesures concerne la poursuite et l’intensification du contrôle des établissements hors-contrat et de l’enseignement à domicile, « parce que la lutte contre la radicalisation c’est avant tout une lutte contre l’obscurantisme, la manipulation des esprits ».

Les empêcher d’agir

Pour Manuel Valls, la radicalisation en prison doit aussi faire l’objet d’un traitement spécifique avec le renforcement des mesures déjà prises en janvier 2015 et notamment le regroupement des détenus radicalisés. Dans ce cadre-là justement, 4 unités spécialisées ont été créées à Fleury-Mérogis, Osny, Lille-Annoeuville, Fresnes. Chacune regroupant les détenus poursuivis ou condamnés pour terrorisme. Si 260 personnes sont en prison pour faits de terrorisme, 1000 détenus de droit commun sont considérés à l’heure actuelle comme radicalisés. En France, on estime que 15 % des personnes radicalisées l’ont été en prison.

Chaque départ donne lieu à un signalement aux caisses de Sécurité sociale

Après la détection des individus dangereux, des terroristes dangereux, « il faut les empêcher d’agir ». Combattre la radicalisation c’est avant tout poursuivre notre action militaire souligne le Chef du gouvernement qui assure que sous les coups des frappes de la coalition, « l’Etat islamique recule » en Afrique et au Levant. Une action à l’extérieur menée en parallèle avec une lutte opérationnelle contre les filières sur notre sol (renforcement du renseignement, poursuite par le parquet des terroristes, outils de police administrative plus efficaces, lutte contre le financement…). Le Premier ministre a par ailleurs indiqué que dans la lutte contre les filières, chaque départ donne lieu à un signalement de la DGSI aux caisses de Sécurité sociale qui mènent alors une enquête approfondie. « Au mois de mars dernier, sur plus de 500 dossiers en cours de traitement, 350 ont déjà abouti à une situation de constat de fin de droits ou à une décision de suspension de versement des droits ».

Le plus gros volet de ce plan concerne la prise en charge des personnes radicalisées qu’il s’agisse de ces jeunes qui reviennent en France après être partis faire le djihad ou de ces « repentis » dont il est difficile de mesurer la sincérité. Alors que 1600 jeunes et 800 familles confrontés par le radicalisme font déjà l’objet d’un accompagnement adapté par les cellules de suivi des préfectures de leur département, l’Etat, annonce le Premier ministre, s’est donné pour « objectif de doubler d’ici à deux ans les capacités de prise en charge des personnes radicalisées ». Pour cela, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation bénéficiera d’effectifs renforcés et son budget passera de 60 à 100 millions d’euros en trois ans.

Un centre de déradicalisation dans chaque région

Le premier centre de prise en charge des personnes radicalisées avec hébergement de longue durée en Centre de citoyenneté et de réinsertion sera en outre mis en place cet été. « Les premiers accueillis pourront être des repentis, dont nous éprouverons la sincérité et la volonté de réinsertion dans la durée » précise Manuel Valls. Et parce que la radicalisation concerne l’ensemble du territoire national, il est également prévu que d’ici la fin 2017, chaque région soit dotée d’un tel établissement. « Au moins la moitié des centre accueilleront, à la demande de l’autorité judiciaire, des personnes qui ne peuvent être placées en détention »

Enfin, combattre la radicalisation, c’est aussi « construire de puissants contre-discours, contrecarrer la propagande djihadiste et salafiste, casser cette entreprise d’embrigadement à grande échelle » explique le Premier ministre qui préconise le renforcement des partenariats entre pouvoirs publics, associations, acteurs privés et même avec les géants du Net « pour qu’ils nous aident à stopper la diffusion de la propagande filmée ». Le Chef du gouvernement en appelle aussi « aux voix de l’Islam de France qui doivent se faire entendre, parler encore plus fort qu’elles ne le font aujourd’hui »

 

Portrait-robot des individus radicalisés
Ils sont pour la plupart jeunes – deux tiers ont moins de 25 ans. 40 % sont des femmes.
Près du quart des individus présents en Syrie sont des convertis à « un islam revisité et rudimentaire, qui s’expose sur les réseaux sociaux » décrit le Premier ministre.
Toutes les catégories sociales, toutes les régions sont touchées, zones urbaines comme villes moyennes même s’il existe « une réalité très lourde dans nos quartiers frappés par la ghettoïsation, la communautarisation, la désespérance sociale ». « Là, des logiques d’enfermement, sur fond de délinquance, d’un antisémitisme virulent, d’essor du salafisme, ont offert un boulevard aux prédicateurs de la haine » constate Manuel Valls qui tient toutefois à mettre en garde contre un risque de stigmatisation qui « voudrait que, parce que l’on habite dans un quartier avec des difficultés sociales, alors on devrait mécaniquement basculer dans la radicalisation ! C’est un prêt à penser insupportable ». « La réalité, c’est que la radicalisation, l’embrigadement frappent partout ».

 

En 2015, on dénombrait 15 000 combattants étrangers en Syrie ou en Irak ; un chiffre tombé à 12 000 « parce que la guerre que nous menons là-bas produit ses effets, parce que les mesures que nous prenons ici pour empêcher les départs portent leurs fruits ».
Sur ces 12 000 individus, plus de la moitié proviennent des pays du Moyen-Orient ou du Maghreb, 4 000 sont russophones (Caucase et Asie centrale). 5 000 sont Européens dont 627 Français – soit le contingent le plus important parmi les combattants européens.
L’enrôlement direct dans ces filières djihadistes, incluant une arrivée sur zone, concerne ou a concerné plus d’un millier de personnes pour le seul territoire français. Parmi elles, 171 personnes au moins sont présumées y avoir trouvé la mort, et 244 personnes sont revenues sur le territoire national.
Il faut ajouter à ce chiffre un millier de personnes ayant manifesté des velléités de départ, dont 216 ayant quitté probablement le territoire national, sans que leur présence ne soit attestée en Syrie ou en Irak.
A ce décompte, s’ajoute ou se recoupe le signalement de près de 9 300 personnes pour radicalisation violente, dont 4 600 via la plateforme nationale de signalement et 4 900 via les états-majors de sécurité départementaux (dont 200 doubles signalements). 7 % des signalements ont trait à des départs effectifs, 30 % à des femmes, 20 % à des mineurs.
La DGSI estime que, depuis 2013, trois tentatives d’attentat ont échoué, et 15 projets d’attentat ont été déjoués. Sur ces 15, six étaient portés par des individus de retour de la zone syro-irakienne.

 

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