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Le rapport parlementaire qui veut dénoncer l’accord franco-algérien

Le député macroniste Charles Rodwell et son collègue Mathieu Lefèvre devenu entretemps ministre délégué ont rendu un rapport parlementaire mi-octobre qui a jeté un froid. Ce document dénonce le coût élevé pour les finances publiques de l’accord franco-algérien de 1968. Et dans leur conclusion, les élus plaident même pour sa dénonciation « au nom de la normalisation des relations entre Paris et Alger ».

Ce n’était pas gagné. Le rapport parlementaire des députés Rodwell et Lefèvre a bien failli ne pas voir le jour. Les élus ont dû affronter le climat politique et diplomatique instable de ces derniers mois sans oublier les obstacles administratifs pour enfin voir la publication de leur rapport. « Avec ce rapport, on aura été maudits jusqu’au bout » raconte, fatigué, Charles Rodwell à nos collègues du Point.

En 1968, six ans après la fin de la Guerre d’Algérie, l’accord franco-algérien, s’inscrit dans une volonté de la France de faire venir une main d’oeuvre algérienne pour soutenir son économie. L’accord relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles prévoit notamment un statut dérogatoire accordé aux travailleurs algériens mais dont les conditions ne sont pas entièrement respectées et peuvent poser souci. Ils dénoncent surtout un accord franco-algérien qui « ne comporte aucune disposition concernant la partie algérienne, ni aucune clause de réciprocité, si bien que sa qualification « d’accord bilatéral » peut poser question. Ce texte s’apparenterait davantage à un engagement unilatéral de la France ».

Autre interrogation des élus, le « droit particulier » en matière de protection sociale dont bénéficient les Algériens qui s’ajoute aux règles spécifiques en matière d’entrée, de circulation et de séjour en France qui leur sont aussi accordées. Enfin, ajoutent-ils, « la jurisprudence d’une part, et l’attitude des autorités algériennes d’autre part, achèvent de dessiner les contours d’un véritable « statut » de l’Algérien en France, très différent des règles prévalant pour les étrangers d’autres nationalités résidant sur le territoire national ». Or, tout cela n’est pas sans conséquences pour nos finances publiques. C’est ce sur quoi les parlementaires se sont notamment penchés.

Pour les rapporteurs, le statut dérogatoire dont bénéficient les Algériens s’inscrit en contradiction avec le principe d’égalité avec les autres populations étrangères en France. « Plus le droit commun évolue, plus celui-ci devient discriminatoire pour les autres étrangers par rapport à celui applicable aux ressortissants algériens. (...) Les discriminations entre étrangers devraient être contraires au principe d’égalité qui a valeur constitutionnelle et qui prévaut sur l’application des traités internationaux, selon l’article 43 de la Constitution » expliquent les élus. Et les dérogations sont nombreuses. Ils bénéficient ainsi d’une procédure simplifiée pour l’obtention d’un titre de séjour valable dix ans. En cas de regroupement familial, les membres de la famille admis au séjour en France reçoivent un titre de séjour de même durée que la personne qu’ils rejoignent, contrairement au droit commun qui prévoit un titre de séjour temporaire d’un an. Le fait qu’il y ait identité de titre favorise l’obtention d’un certificat de 10 ans dans le cadre du regroupement familial. Les conditions de ressources ne sont pas les mêmes pour les Algériens que pour les autres nationalités pour lesquelles il est demandé des conditions de ressources plus élevées. Les ressortissants algériens peuvent solliciter un regroupement familial dès douze mois de présence en France sauf cas de force majeure contre dix-huit mois pour les autres nationalités. En 2023, les demandes de regroupement familial de ressortissants algériens ont représenté 24,15 % du total national.

Le rapport montre encore que le retrait du certificat de résidence délivré à un ressortissant algérien dans les deux années qui suivent sa délivrance « pour rupture de la communauté de vie, polygamie, non-respect de la procédure de regroupement familial, non-respect des valeurs de la République ou trouble à l’ordre public » n’est pas possible, contrairement à ce qui est prévu pour les étrangers d’autres nationalités.

Les rapporteurs restent largement songeurs aussi face à l’article 4 de l’accord qui prévoit expressément le cas des enfants recueillis par le biais d’une procédure dite de « kafala ». Il s’agit d’un système de nature religieuse permettant, dans certains pays musulmans, de recueillir des enfants sans filiation pendant leur minorité de manière bénévole pour participer à leur protection, leur entretien et leur éducation. « Le caractère discriminatoire de cette disposition de l’accord est d’autant plus important qu’il convient de rappeler qu’en application du droit commun, même les grands-parents qui ont reçu délégation de l’autorité parentale sur leurs petits-enfants ne peuvent pas les faire venir en France au titre du regroupement familial » soulignent les rapporteurs.

À l’issue de l’examen attentif des dispositions de l’accord franco-algérien, Charles Rodwell n’a pu que constater l’étendue des mesures dérogatoires dont bénéficient les personnes de nationalité algérienne, notamment en matière de droit au séjour pour motif familial.

Le système de visa pour les étudiants a aussi été passé au crible. Alors que fin septembre, Campus France et l’ambassade de France à Alger se félicitaient sur X du nombre en hausse d’étudiants algériens ayant obtenu en 2025 un visa, les conclusions du rapport parlementaire sont moins enthousiastes. Les élus y voient, pour un certain nombre d’entre eux, une façon plus ou moins déguisée de venir et rester en France. Au cours de l’année universitaire 2023-2024, 34 269 étudiants algériens étaient présents en France, soit 8 % du total des étudiants étrangers en France (+10 % en 5 ans).

L’accord franco-algérien ne prévoit rien non plus en ce qui concerne le retrait d’un certificat de résidence algérien en cours de validité. Par ailleurs, les Algériens ne sont soumis ni à la vérification d’une connaissance minimale de la langue française, ni à la signature du contrat d’intégration républicaine et au suivi de la formation civique qui lui est associée, ni à la vérification de l’adhésion aux principes républicains regroupés au sein du nouveau contrat d’engagement à respecter les principes de la République mis en place par la loi du 26 janvier 2024 constate Charles Rodwell après une lecture attentive de l’accord.

A ces multiples dérogations viennent s’ajouter les relations conflictuelles avec l’Algérie qui sont « une source de blocages récurrents ». L’exemple le plus frappant est celui des Algériens que la France souhaite expulser mais que l’Algérie refuse de reprendre.

Que dire encore du bénéfice des prestations de Sécurité sociale si ce n’est que « les ressortissants algériens bénéficient d’une différence de traitement qui leur est favorable ». Cette différence concerne pour l’essentiel le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité et l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Par ailleurs, poursuit le rapport, des conventions ont été signées en matière de sécurité sociale, qui offrent aux Algériens un dispositif inédit de soins dits « programmés » en France. Enfin, l’accord franco-algérien de 1968 ouvre aussi des voies dérogatoires d’accès à un titre de séjour pour raisons médicales.

« Les ressortissants algériens en France bénéficient d’un véritable statut qui découle d’accords dérogatoires, d’une série d’interprétations jurisprudentielles favorables et de difficultés diplomatiques récurrentes avec le gouvernement algérien » écrivent les rapporteurs qui jugent que ce statut dérogatoire représente « un surcoût massif pour nos finances publiques » notamment en raison du coût de traitement par l’administration mais aussi à cause du versement des prestations sociales. Ce surcoût est chiffré par les élus à 2 milliards d’euros par an. Ils regrettent toutefois de ne pas pouvoir être plus précis. Une manque de fiabilité qu’ils imputent à « l’absence, voire de la rétention de données » et à « l’extrême difficulté rencontrée à obtenir des données de la part des administrations » s’agace Charles Rodwell. Pour toutes ces raisons, les rapporteurs souhaitent l’abrogation de cet accord.

Et pourtant, le lendemain de la publication du rapport, le chef de l’État s’est empressé de rendre hommage aux Algériens tués à Paris le 17 octobre 1961. Le nouveau ministre de l’Intérieur expliquait dans la foulée et à rebours de son prédécesseur qu’une remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968 n’était pas « à l’ordre du jour » misant plutôt sur le retour au dialogue apaisé entre Paris et Alger. 


Dénonciation des accords de 1968 : Une proposition de résolution RN adoptée à l’Assemblée.
Grande première. Les députés ont adopté le jeudi 30 octobre une proposition de résolution du Rassemblement national visant à « dénoncer » l’accord franco-algérien de 1968. Le texte a été adopté à une voix près, 185 pour contre 184. Aux 122 députés du RN se sont agrégées les voix des 15 parlementaires ciottistes, de 26 Les Républicains (LR) et de 17 d’Horizons ainsi que trois non-inscrits et deux LIOT. La gauche, fermement opposée à ce texte « raciste » a dénoncé son adoption « par une alliance extrême droite, droite et les députés Horizon d’Édouard Philippe » et « grâce à l’absence des macronistes » s’est emportée Mathilde Panot. C’est la première fois que le Rassemblement national obtient le vote d’un texte lors d’une de ses « niches parlementaires ». Lors de deux précédentes niches, le RN avait toujours échoué à faire adopter une de ses propositions. Quant au député Macroniste auteur du rapport ciblant pourtant les accords de 1968 et demandant son abrogation, il explique ne pas avoir voté le texte – il n’était pas présent en séance – parce que le texte RN ne « prévoit aucun cadre juridique clair ». « Or, dit-il, ce texte nous fait prendre le risque de revenir à la situation d’avant 1968, à savoir… la libre circulation entre la France et l’Algérie ».
Reste que cette résolution n’a pas de valeur contraignante mais a sans conteste une valeur symbolique par le Rassemblement national qui a pour la première fois rompu le cordon sanitaire autour de lui.

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