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La fixation du prix du médicament, un système à la croisée des enjeux d’accès aux soins, d’innovation et de soutenabilité de la dépense publique

Par Cyrille Isaac-Sibille, Député du Rhône, Co-président de la MECSS

“La fixation du prix du médicament est l’un des mécanismes les plus complexes de notre système de protection sociale”.

C’est l’un des constats dressés par la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS), que je co-préside, à l’occasion d’une mission d’information conduite l’hiver dernier sur ce sujet. Cette mission cherchait à comprendre pourquoi, en 2024, les dépenses du médicament avaient dérapé de 1,2 milliard d’euros par rapport aux prévisions budgétaires.

Derrière ce dispositif de régulation se joue un équilibre délicat entre des objectifs parfois difficiles à concilier : garantir à chacun l’accès aux traitements, soutenir l’innovation pour renforcer l’attractivité et la souveraineté de notre pays, tout en maîtrisant la dépense du médicament, en forte croissance, afin d’assurer la soutenabilité de nos finances publiques.

Un système d’une grande complexité

Trois acteurs sont au cœur du jeu de négociation du prix du médicament : les industriels, le Comité économique des produits de santé (CEPS) et la Direction de la Sécurité sociale (DSS).

La Haute Autorité de Santé intervient en amont en évaluant le service médical rendu (SMR), qui conditionne le remboursement du médicament, et l’amélioration du service médical rendu (ASMR), un indicateur du degré d’innovation de ce médicament par rapport aux traitements existants.

Sur cette base, le CEPS ouvre la discussion avec les industriels. Plus l’ASMR est élevée, plus le laboratoire peut négocier un prix facial élevé, traduisant la reconnaissance de l’innovation de ce traitement. Ce prix est connu de tous. Mais le véritable coût pour la collectivité est le prix net, obtenu après déduction des remises confidentielles négociées par chaque laboratoire et pour chaque médicament avec le CEPS, qui varient selon le volume de ventes, l’efficacité constatée du traitement ou encore l’évolution du marché. Seuls l’industriel et le CEPS ont connaissance de la remise, et donc du prix net, celui-ci n’étant pas public. Ces remises, reversées à l’Assurance maladie, permettent en théorie de réduire la dépense publique.

À cela s’ajoute un mécanisme collectif de régulation des dépenses liées aux médicaments : la clause de sauvegarde. Ce dispositif fiscal, utilisé en dernier recours, a pour objectif de contenir la croissance de ces dépenses. Chaque année, la loi fixe un taux prévisionnel d’évolution du marché des médicaments pris en charge par l’Assurance maladie. Si les dépenses dépassent ce seuil, les industriels pharmaceutiques doivent reverser une contribution financière à l’Assurance maladie.

Ce système global de fixation des prix permet de conjuguer deux impératifs : valoriser l’innovation et préserver la soutenabilité de nos finances. Mais sa technicité nourrit un tel flou qu’il peut parfois fragiliser la maîtrise de la dépense publique.

Un secret des prix réels limite le contrôle budgétaire

D’abord, ce secret limite la responsabilisation des acteurs. In fine, ni les professionnels de santé, ni les industriels, ni les patients, ni même la plupart des décideurs publics ne connaissent réellement le coût supporté par la collectivité. Dans un contexte de tension budgétaire et de hausse de la consommation en soins, il est pourtant essentiel que chacun mesure l’impact de sa consommation.

Même le législateur se heurte à cette limite de l’information : les compromis issus des négociations prennent la forme d’articles de loi techniques, difficiles à saisir pour ceux qui doivent pourtant les voter, ce qui affaiblit la qualité du débat démocratique.

Ensuite, ce système rend les prévisions budgétaires particulièrement incertaines. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, un dérapage de 1,2 milliard d’euros sur les dépenses du médicament de 2024 a été découvert. Et ce, alors même que la croissance du marché s’était brutalement ralentie, passant de 30 % à moins de 10 % par an.

Si la dépense brute a diminué, la dépense nette a paradoxalement augmenté, en raison d’une moindre perception des remises. Or, ces remises représentent aujourd’hui près d’un quart de la dépense brute : leur sous-estimation, non anticipée, a donc eu des répercussions majeures. Concrètement, une erreur de prévision de 10 % sur 10 milliards d’euros se traduit par un écart d’1 milliard d’euros, suffisant pour fragiliser tout le pilotage budgétaire.

Cette erreur de prévision, bien qu’inédite, révèle une fragilité structurelle. La DSS, avec les informations dont elle dispose, ne peut que faire des prévisions. La perception tardive des remises sur les produits, versées en novembre de l’année de référence, complique encore davantage cet exercice.

Cependant, cette erreur de prévision ne saurait remettre en cause la sincérité du budget de la Sécurité sociale, construit sur la base des meilleures informations disponibles lors de son élaboration. Mais elle révèle les limites d’un système devenu trop complexe, où le législateur, appelé à adopter l’objectif de dépenses de l’Assurance maladie, n’a pas les moyens de comprendre ni d’anticiper précisément la dynamique des dépenses, ce qui nous interroge sur l’efficacité des outils actuels de pilotage.

Quelles pistes de réforme ?

Cette mission d’information n’avait pas pour objet de désigner un responsable, mais d’identifier des solutions pour sécuriser le dispositif. Parmi elles : un meilleur partage de l’information entre l’ensemble des acteurs, notamment au profit de la DSS, chargée de la prévision et du pilotage de la dépense de médicaments ; une révision trimestrielle des prévisions de la DSS et une rencontre deux à quatre fois par an avec les représentants des laboratoires ; et un versement anticipé des remises par les laboratoires. Ces ajustements renforceraient la qualité du pilotage de la dépense du médicament.

Préserver un modèle solidaire

La question du prix du médicament illustre les tensions auxquelles notre système de santé est confronté. Elle nous rappelle que, si nous voulons préserver notre modèle solidaire, nous devons apprendre à dépenser non seulement moins, mais surtout mieux. Notre responsabilité collective est de doter ce modèle social des moyens nécessaires à sa pérennité, en renforçant la souveraineté de la France sur l’innovation et la production, sans renoncer à l’égalité d’accès aux traitements. 

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