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Raviver le service public de santé

Par Christophe Naegelen, Député des Vosges*

La France connaît aujourd’hui une désertification médicale entraînant des difficultés d’accès aux soins, en particulier dans les départements ruraux.

Cette année a été ouverte une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins, dont j’étais le rapporteur. Le rapport d’enquête parlementaire que j’ai rendu au mois de juillet dresse un constat sans appel : le système de santé français est au bord de la rupture. Manque de médecins, gouvernance opaque, désarticulation des parcours… Ce rapport revient sur les différents symptômes de cette crise structurelle en tentant d’y apporter des solutions.

Les travaux de ma commission se sont déroulés sur cinq mois, impliquant près de 60 heures d’auditions au cours desquelles 87 personnes ont été entendues. Afin de centrer au mieux les enjeux et comprendre les attentes de chacun, ces auditions ont couvert un large éventail d’acteurs du système de santé, y compris des professionnels de santé, des responsables d’établissements, des représentants de patients et des étudiants. J’ai aussi effectué un contrôle de pièces, ainsi qu’une mission sur le terrain dans la région du Grand Est pour appréhender les réalités locales. En comparant la situation de la France avec celle d’autres Etats européens, nous avons remarqué que notre pays possède une faible densité médicale de 340 médecins pour 100 000 habitants, la plaçant parmi les derniers pays européens en la matière. Et ce, malgré un budget de plus de 250 milliards d’euros, soit 11,9 % du PIB. À titre de comparaison, l’Autriche compte 491 médecins pour 100 000 habitants et l’Allemagne 544. Je tire de ce rapport un constat alarmant. En effet, la pénurie généralisée du personnel soignant entraîne une série de dysfonctionnements dans le service public de santé. Cette situation est due à la somme de difficultés multiples que nous nous devons de résoudre.

Un système à bout de souffle

Le système de santé français souffre d’une crise importante. Tout d’abord, l’offre de soins diminue en raison du numerus clausus mis en place en 1971 dans une logique de réduction des dépenses publiques. Cette politique a durablement appauvri la démographie médicale, avec des conséquences majeures sur les territoires ruraux et populaires. Si le numerus clausus a laissé place au numerus apertus en 2021, la réforme des études médicales est encore trop timide. Le rapport de la Cour des comptes estime que la hausse du nombre d’étudiants en formation de santé s’élève à seulement 11 % contre une estimation de 15 % par l’ONDPS. Pourtant, les doyens d’universités insistent sur le fait que l’objectif de former 16 000 médecins par an à partir de 2027 n’est pas envisageable, la capacité d’accueil étant limitée. Il est nécessaire de fournir des moyens et des locaux supplémentaires, au risque d’une dégradation significative des conditions d’études.

De plus, la précarisation des conditions d’études est une réalité majeure, marquée par un taux d’épuisement professionnel (« burnout ») de 66 % chez les externes et les internes, qui travaillent en moyenne 59 heures par semaine. S’ajoute à cela, les violences sexistes et sexuelles qui touchent 29 % des médecins en exercice, majoritairement pendant leurs études.

Le système perd ainsi de nombreux étudiants, tandis que d’autres partent se former à l’étranger, en moyenne 1 200 étudiants par an.

Des professionnels en perte de repères

La profession médicale connaît une mutation profonde, en résonance avec une aspiration plus globale et interprofessionnelle. Les jeunes praticiens ne souhaitent plus travailler seuls, en zones isolées et avec des horaires étendus. Ils recherchent des formes d’exercice plus collectives et coordonnées, avec un équilibre entre leurs vies professionnelle et personnelle. Mais les structures de coordination telles que les maisons ou les centres de santé peinent encore à répondre à cette aspiration.

En parallèle, le temps médical utile diminue. La charge administrative, les temps de coordination et la réduction du temps de travail global participent à une réelle déperdition des heures de soins disponibles. Le système ne parvient pas à compenser cette baisse par des délégations de tâches efficaces. Le déploiement des infirmiers en pratique avancée est insuffisant, ces infirmiers étant encore trop peu nombreux et mal intégrés.

Un accès aux soins miné par les inégalités

Le tableau dressé est alarmant : plus de huit millions de Français vivent dans une zone sous-dotée en professionnels de santé. L’accès aux généralistes, spécialistes, paramédicaux et même aux pharmacies devient inégalitaire. Le zonage des aides à l’installation, censé corriger ces déséquilibres, s’avère rigide, mal ciblé, mal adapté aux besoins locaux et parfois contre-productif. En effet, les « zones d’actions complémentaires » cumulées aux « zones d’intervention prioritaire » couvrent près de 75 % de la population alors que seule une minorité a un problème caractérisé d’accès. Les territoires ultra-marins connaissent des disparités extrêmes, Mayotte par exemple ne compte que 9 médecins pour 100 000 habitants et est entièrement classée en « zone d’intervention prioritaire ». Nous préconisons donc une actualisation annuelle des zonages par les Agences Régionales de Santé, et un dialogue étroit avec les associations départementales des maires.

Aux inégalités géographiques s’ajoutent les inégalités sociales. Les dépassements d’honoraires, le ticket modérateur ou la complexité des remboursements découragent les plus précaires. Même si le taux moyen de prise en charge par l’Assurance Maladie a atteint 79,6 % en 2023, le reste à charge moyen des ménages s’établit à 250 euros par an et par habitant. Une réforme du financement des soins est nécessaire pour garantir une participation plus lisible et plus juste des patients et nous préconisons d’étudier la création d’une « Grande Sécurité sociale » pour une meilleure couverture des publics précaires et pour soulager les finances de la branche maladie.

Vers un service public de santé repensé

Face à cette situation, nous voulons réaffirmer le rôle structurant du service public de santé, en restaurant une continuité entre la formation, l’exercice et la prise en charge. Cela passe par une territorialisation ambitieuse de la formation médicale, en créant des antennes universitaires en zones rurales, en multipliant les stages sur le terrain, et en articulant la formation aux besoins concrets. Nous proposons de créer une voie de formation en alternance dès la deuxième année de médecine, afin de renforcer la formation pratique des étudiants et de libérer du temps médical. Nous envisageons aussi de réduire la durée des études de médecine à 8 ans, en compressant la durée du premier cycle et en ajournant la quatrième année de médecine générale, face aux « vives inquiétudes » des étudiants. Il est aussi envisagé de permettre aux étudiants de redoubler une fois leur première année d’études en santé.

L’offre de soins de proximité doit également être repensée. Un maillage est nécessaire pour permettre une égalité d’accès aux soins. C’est pourquoi hôpitaux de proximité, maisons de santé pluridisciplinaires et centres municipaux de santé doivent former un socle public solide, coordonné et financé à long terme.

Une gouvernance à reconstruire

La gouvernance actuelle est trop centralisée et opaque. Les Agences Régionales de Santé, bien que conçues comme des instances de régulation territoriale, cumulent les missions sans en avoir les moyens, et peinent à dialoguer avec les élus locaux.

Les collectivités territoriales, pourtant de plus en plus impliquées, sont exclues de la gestion. Il serait donc judicieux de créer des instances de concertation sanitaire locales, réunissant représentants de l’État, élus, professionnels et usagers. Il s’agit de passer d’un pilotage vertical à une administration partagée, fondée sur la confiance.

Il nous faut reconstruire un service public de santé lisible, cohérent et accessible, capable de répondre aux défis actuels. Cette reconstruction exige une vision à long terme, une volonté politique ferme et une mobilisation collective. Dans ce rapport j’expose des pistes de réflexion et de potentielles réforme, afin de parvenir à raviver le service public de santé. 


*Auteur du rapport sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins.

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