En France, si l’usage de méthodes statistiques, qui sont les fondations historiques de l’IA, est largement répandu dans les pratiques médicales, les évolutions récentes de ces technologies, leur accessibilité accrue et leur puissance inédite ouvrent des perspectives nouvelles, prometteuses tant pour les patients que pour les professionnels de santé et l’ensemble de notre système de soin.
Où en est-on en France dans l’usage de l’IA en santé ?
Depuis plusieurs décennies, la santé utilise des méthodes quantitatives pour affiner diagnostics, prédictions et choix thérapeutiques. Par exemple, en imagerie médicale, les algorithmes de traitement d’image et de segmentation sont employés depuis longtemps pour assister l’interprétation des radiographies, scanners ou IRM.
Cependant, ce qui change aujourd’hui, avec les nouvelles formes d’IA, notamment générative, c’est la capacité à l’utiliser dans tous les champs de la santé : de l’exploitation de volumes massifs de données pour accélérer la recherche médicale à l’usage d’assistants à la consultation capable de réaliser une anamnèse en balayant l’historique médical patient, de résumer une consultation et de préparer les prescriptions recommandées au professionnel de santé.
L’explosion des données numériques de santé, qu’elles proviennent des dossiers médicaux électroniques, des dispositifs connectés ou des biobanques, combinée à l’augmentation des capacités de calcul, rend possibles des analyses plus fines, des diagnostics plus précoces et personnalisés, ainsi que des suivis thérapeutiques adaptatifs. En l’intégrant utilement dans le parcours de soin des personnes, l’IA peut faire gagner du temps aux soignants et renforcer l’efficience de notre système de santé.
Les freins à lever pour accélérer les usages de l’IA en santé
Malgré ces avancées prometteuses, plusieurs obstacles ralentissent encore l’adoption à grande échelle de l’IA dans notre système de santé.
D’abord, la question de l’évaluation clinique des outils d’IA est cruciale. Il est indispensable de s’assurer que ces technologies apportent un bénéfice réel et tangible, sans risques nouveaux pour les patients. Les méthodes classiques et leurs délais ne sauraient être adaptées à ces technologies apprenantes et évolutives, par définition. Les travaux lancés par la HAS depuis 2020 permettent de faire évoluer les pratiques d’évaluation et les mécanismes d’accès au marché dérogatoire comme la prise en charge anticipée des dispositifs médicaux numériques doit nous permettre de tester en conditions réelles des solutions innovantes prometteuses, qui ne présentent pas de risques pour le patient, avant d’entériner leur prise en charge par la sécurité sociale en cas de valeur médicale démontrée.
Ensuite, la formation des professionnels de santé constitue un enjeu majeur. Médecins, infirmiers, techniciens, mais aussi gestionnaires hospitaliers doivent acquérir une culture suffisante en sciences des données et en IA pour comprendre les opportunités mais aussi les limites des outils proposés. Cette compétence est nécessaire non seulement pour une utilisation optimale et un usage critique de ces solutions. Ces technologies impactent aussi les organisations, c’est pourquoi il est important que les établissements de santé disposent de moyens de tester, d’évaluer et de développer leurs usages pour en appréhender les impacts et diffuser leurs apprentissages. C’est tout l’esprit du réseau de Tiers lieux d’expérimentation financés dans le cadre de France 2030 qui accueillent des projets d’évaluation de solutions numériques innovantes testées en condition réelle dans les structures de santé. Si nous ne voulons pas subir l’arrivée sur le marché de solutions génériques conçues par d’autres, nous devons poursuivre nos investissements dans la capacité des établissements à porter ces projets.
Enfin, la question de la souveraineté de ces solutions est essentielle. Nous devons pouvoir mettre à disposition les données nécessaires aux développements de solutions IA en santé européennes. Les travaux mis en œuvre dans le cadre de la stratégie pour l’usage secondaire des données de santé et l’IA doivent nous permettre d’accompagner l’émergence d’algorithmes et de solutions européennes, afin de limiter notre dépendance technologique.
Les propositions de la stratégie IA en santé pour accélérer l’adoption
La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle et les données de santé, est le fruit d’une large concertation associant professionnels, industriels, chercheurs et représentants des usagers. Ce plan doit nous permettre d’accélérer la recherche et l’innovation en santé grâce à :
• La mise en place de dispositifs d’évaluation clinique dédiés aux outils d’IA, avec un renforcement des collaborations entre agences sanitaires, centres hospitaliers et laboratoires, pour accélérer la validation scientifique et la diffusion des innovations.
• Le déploiement de formations ciblées pour les professionnels de santé, intégrant l’IA dans les cursus universitaires et les formations continues, ainsi que la création de ressources pédagogiques accessibles et actualisées.
• Le soutien à des projets pilotes et expérimentations territoriales permettant d’ancrer l’IA dans les pratiques de terrain, en tenant compte des spécificités locales et des besoins des populations.
• Le développement d’un cadre économique adapté, incluant des mécanismes de financement innovants, des incitations pour les établissements de santé et les industriels, et la promotion de partenariats public-privé équilibrés.
• La mise en œuvre de standards ouverts et de plateformes nationales pour faciliter le partage sécurisé des données, en respectant les exigences éthiques et réglementaires, afin d’assurer une interopérabilité efficace et une gouvernance transparente.
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. L’IA porte son lot de promesses et de menaces, il s’agit d’adopter une stratégie ambitieuse et responsable pour rester dans la course de l’innovation et garantir notre capacité à innover. Pour saisir cette opportunité, nous devons poursuivre nos investissements dans l’innovation, lever les freins à l’usage des données de santé, accélérer la formation des professionnels et oser tester des modèles économiques nouveaux. ■