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Ouvrages hydroélectriques : comment faire barrage à la commission européenne ?

Depuis plus de vingt ans, la France est enlisée dans un différend avec la commission européenne qui lui demande d’ouvrir à la concurrence ses concessions hydroélectriques, ce que notre pays refuse de faire. Deux procédures précontentieuses, l’une datant de 2015, l’autre de 2019, sont toujours en cours. Pour sortir de ces procédures, le rapport parlementaire des députés Marie-Noëlle Battistel (SOC, Isère) et Philippe Bolo (Dem, Maine-et-Loire) plaide pour des solutions alternatives*. Avec en ligne de mire une proposition de loi.

Que les choses soient claires : « Nous sommes totalement unanimes pour dire que la mise en concurrence n’est pas la solution et la France ne choisira pas cette option » a martelé en commission des affaires économiques et devant les journalistes Marie-Noëlle Battistel. Un refus partagé par les responsables politiques et les Français. Les enjeux apparaissent en effet comme trop importants pour le pays et nos territoires pour imaginer pouvoir livrer nos ouvrages à la « prédation » de groupes étrangers alerte la députée de l’Isère. La mission parlementaire rappelle à juste titre qu’au-delà du seul enjeu de la production d’électricité, les grands ouvrages hydroélectriques jouent « un rôle essentiel dans le partage de la ressource entre les différents usagers de l’eau, mais aussi dans la gestion des crues et la régulation des étiages. Les volumes retenus par les installations représentent souvent l’essentiel des réserves d’eau potable superficielles d’un bassin versant. Leur bonne gestion et leur disponibilité sont donc d’importance vitale pour ces bassins et pour les populations qui y vivent ». Il ne faut pas non plus oublier « les enjeux de souveraineté, l’environnement géopolitique actuel et les différentes crises énergétiques que nous avons connues » ajoute la députée de l’Isère. « Nous avons été finalement assez surpris de tous ces services rendus et non rémunérés par EDF, la Shem (Société hydroélectrique du midi) et la CNR (Compagnie nationale du Rhône). Demain si nous avions des entreprises étrangères installées, nous pourrions nous interroger sur leurs capacités à rendre des services non rémunérés ».

Pour sortir des deux procédures précontentieuses - la première, de 2015, dénonce la position dominante d’EDF dans le secteur et la seconde, de 2019, est relative à l’absence de remise en concurrence des concessions hydroélectriques -, qui empêchent tout investissement dans le parc hydroélectrique, le rapport plaide pour une voie intermédiaire qui se résume, après examen d’autres solutions, à deux pistes « eurocompatibles » : la révision de la directive « concessions » ou le passage du régime concessif à un régime d’autorisation. « Toutefois, admettent les deux corapporteurs, ces deux solutions ne sont pas exemptes de tout inconvénient et ne permettent pas de lever à coup sûr, à elles seules, les deux précontentieux européens ». En ce qui concerne la révision de la directive, les députés estiment que cela pourrait prendre en cinq et six années. « La multiplicité des enjeux que soulève l’exploitation d’un barrage, ainsi que ses conséquences directes sur la gestion de l’eau et la sécurité des biens et des personnes situées en aval, justifient un régime spécifique » expliquent les élus. Quant à la seconde piste, celle du passage à l’autorisation qui « recueille la plus forte adhésion parmi toutes les personnes auditionnées et s’avère « très commune » en Europe pour la production d’électricité renouvelable ou nucléaire » souligne le rapport, elle n’a pas non plus que des avantages. Avec le passage à l’autorisation se poserait la question de la propriété et du « risque de privatisation » des ouvrages. Il faudrait aussi veiller à la mise en place de mesures complémentaires, « telle que la livraison de volumes d’électricité à des tiers sur une durée déterminée ». Pour autant, et les parlementaires ont été là aussi très clairs, il n’est pas question de mettre en place une « Arenh-hydro », « afin de ne pas reproduire les travers de la solution mise en œuvre pour l’électricité d’origine nucléaire ». « Ce régime (d’autorisation) n’est pas parfait mais c’est la solution la plus robuste » lache rapidement Marie-Noëlle Battistel. Le rapport évoque également les pistes écartées « car n’offrant à l’évidence que des réponses incomplètes ou fragiles aux problématiques posées » : la création d’un établissement public industriel et commercial ; la qualification de service d’intérêt économique général ; et la prolongation contre travaux. La quasi régie a aussi été finalement écartée « en raison des multiples pertes opérationnelles qu’elle entraînerait, et parce qu’elle a été unanimement rejetée par les exploitants et leurs organisations syndicales représentatives, ainsi que par une large majorité des membres de la mission d’information ».

Au regard des délais nécessaires à l’aboutissement du processus de révision et e l’urgence de relancer les investissements stratégiques, les élus suggèrent prudemment de mener de front les démarches d’exemption de la direction « concessions » et la bascule vers le régime de l’autorisation. « Selon le résultat des négociations avec la Commission européenne, ce changement de régime pourrait permettre de lever plus vite les précontentieux et pourrait débloquer la situation de nombreuses concessions » écrivent les corapporteurs qui, en fonction de l’évolution du dossier, souhaitent déposer rapidement une proposition de loi « précise » sur le sujet au plus vite. 


*Conclusions de la Mission d’information consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques - Marie-Noëlle Battistel (SOC, Isère) et Philippe Bolo (Dem, Maine-et-Loire), co-rapporteurs,


L’Hydroélectricité
• Deuxième source de production d’électricité en France après le nucléaire.
• Première source d’électricité renouvelable en France.
• Un parc de 26,2 gigawatts (GW) installés en France, dont environ 25,7 GW dans l’hexagone.
• En 2024, 14 % de la production électrique totale et plus de la moitié de l’énergie renouvelable française ont été produites par des installations hydroélectriques.
• 2 640 ouvrages hydroélectriques installés en France.
• Les 340 ouvrages concédés représentent 99 % de la puissance installée.

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