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Etre agricultrice en 2024

Par Gabrielle Dufour, Agridées*

Les manifestations agricoles de ces dernières semaines, d’une ampleur inédite, ont donné une tribune inespérée aux acteurs du monde agricole dans les médias. On a pu cependant observer une faible proportion de femmes sur le devant de la scène, alors même qu’elles étaient présentes en nombre sur les barrages.

Ce manque de visibilité des agricultrices dans l’espace public fait partie d’un long héritage dans l’histoire de la place des femmes dans le monde agricole. Autrefois sans statut, sans droits sociaux, considérées « sans profession » alors qu’elles travaillaient durement et cumulaient les tâches domestiques et professionnelles, les agricultrices ont toujours été présentes et contributrices, un pilier essentiel mais invisible de la ferme France.

Que reste-t-il de cet héritage ? Les agricultrices sont aujourd’hui cheffes d’entreprise agricole, salariées, ou conjointes collaboratrices, ces statuts qui ont été âprement obtenus par le combat de leurs aînées. Elles ont obtenu un congé maternité …en 2019 mais c’est seulement une cheffe d’entreprise sur deux qui l’utilise concrètement. Les femmes représentent 30 % des actifs agricoles, 26 % des chefs d’entreprise agricole (chiffres qui stagnent depuis 12 ans) et seulement 10 % dans les conseils d’administration des coopératives agricoles. Elles connaissent le phénomène du plafond de verre dans les gouvernances de la plupart des collectifs qui structurent le monde agricole, comme dans les autres secteurs de la société. Dans ce monde numériquement et symboliquement masculin, beaucoup d’entre elles doivent encore lutter contre les stéréotypes de genre issus des constructions sociales héritées du passé : que ce soit les jeunes filles dans les lycées agricoles, les femmes dans leur parcours d’installation, le pilotage de l’entreprise agricole, ou dans les structures collectives. Elles doivent prouver bien plus souvent que leurs homologues masculins leurs compétences et leur légitimité et conquérir un imaginaire qui représente l’« agriculteur » sous les traits d’un homme.

Qui sont les agricultrices en 2024 ? Plus âgées en moyenne que leurs homologues masculins, elles entrent plus tardivement dans le métier après des études et des expériences professionnelles variées qui contribuent à enrichir leur vision et le sens qu’elles donnent à leur métier. Elles sont plus nombreuses à choisir les pratiques agroécologiques et le circuit court, elles apportent des innovations matérielles, organisationnelles, une réflexion sur l’articulation des temps personnels et professionnels qui bénéficient à l’ensemble du monde agricole, quel que soit son genre…

La mutation d’une agriculture familiale, souvent fantasmée par la société et les politiques, vers une agriculture plus entrepreneuriale représente le nouvel espace à conquérir pour les femmes, dans lequel nombre d’entre elles prouvent déjà qu’elles sont compétentes et visionnaires face aux enjeux de demain. A cela s’ajoute la féminisation de la gouvernance des structures collectives.

Alors que près de la moitié des agriculteurs sera en âge de prendre leur retraite dans 5 ans et que le renouvellement des générations constitue une question stratégique pour notre souveraineté alimentaire, la question des freins que les femmes rencontrent dans leur parcours et leur résolution s’imposent et nous devons y répondre avec honnêteté et courage. Car l’agriculture de demain sera – également - féminine ou ne sera pas. 

*Think tank de l’entreprise agricole, Agridées est depuis sa création en 1867 un lieu unique de questionnements, de débats et d’expertises qui réunit les acteurs des secteurs agricoles, agroalimentaires et agro-industriels.

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