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Réconcilier agriculture, nourriture et santé

Par Dominique Potier, Député de Meurthe-et-Moselle*

Nourrir tous les Français avec une alimentation de qualité ; contribuer par un juste échange à nourrir 10 milliards d’êtres humains à l’horizon 2050. Prendre soin de notre santé et, par là même, de celle de l’eau, de l’air, du sol et de la biodiversité. Prendre soin de notre terre afin qu’elle demeure nourricière. Une seule terre, une seule santé !

Une immense majorité de nos concitoyens partage cette visée. Et c’est dans cet état d’esprit que nous avons écarté dans notre approche, à l’occasion des travaux de la commission d’enquête sur les pesticides (1), le double écueil d’une dictature du marché et celle de l’opinion. Nous avons refusé la polarisation d’un débat public qui essentialiserait les « pesticides ». Nous avons choisi de placer nos pas dans ceux de la science et de la démocratie. C’est, nous en sommes convaincus, le seul chemin pour réconcilier agriculture, nourriture et santé.

Le plan Ecophyto a été conçu dans la dynamique du Grenelle de l’Environnement qui, en 2007, ambitionne une baisse de 50 % de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à l’horizon 2018. Le « si possible » ajouté à l’époque par le Président de la République introduit une ambiguïté qui demeure aujourd’hui.

Trois grandes étapes peuvent être identifiées dans le fil politique de cette promesse non tenue.

En 2014, un bilan d’étape de ce plan prend la forme d’un rapport de mission parlementaire au Gouvernement. Il acte l’absence de résultats et dessine les axes d’un nouveau plan Ecophyto 2. L’ensemble du mandat présidentiel est guidé par le choix de l’agroécologie, dont la définition est inscrite à l’article premier de la loi d’orientation agricole de 2014. Au-delà de l’inflexion de la PAC en 2013, un faisceau de dispositions législatives iront dans ce sens : loi Labbé (2014) avec l’interdiction des produits phytopharmaceutiques dans les jardins et espaces publics ; création de nouveaux outils (GIEE, CEPP, biocontrôle) et lancement de programmes de recherche.

Dans le même esprit, est actée la décision de confier à l’Anses l’autorisation de mise sur le marché des produits, inscrite à l’article L. 1313-1 du code de la santé publique, ainsi que le déploiement d’une innovation majeure : la phytopharmacovigilance.

Cette période s’achève par deux épisodes qui illustrent le rapport de forces qui structure encore aujourd’hui le débat : la trajectoire de redistribution des aides européennes en fonction des actifs est stoppée sous la pression professionnelle et un recours des distributeurs de produits phytopharmaceutiques devant le Conseil d’Etat retarde la mise en œuvre de l’expérimentation des CEPP.

L’année 2017 a marqué un nouveau temps fort avec le discours du Président de la République à Rungis, qui annonce la tenue des Etats généraux de l’alimentation (EGA). Ce processus réunissant l’ensemble des parties prenantes est fécond. Il contraste avec les conclusions politiques qui en seront tirées. Un plan Ecophyto 2 + est institué alors même que le déploiement du précédent a été « empêché ». Le catalogue des propositions retenues à l’issue des EGA se traduit dans la loi Egalim en 2018. En dehors du volet « partage de la valeur », les dispositions propres à la transition écologique apparaissent faibles à l’ensemble des observateurs.

Plus grave, la décision de séparer la vente et le conseil est l’archétype de la « fausse bonne idée ». Accomplissement d’une promesse de la campagne présidentielle, cette disposition législative produit l’effet d’un accident industriel. Non seulement la mesure n’est pas effective, mais elle réduit à néant la tentative de remobiliser le conseil agricole, un des impensés majeurs du plan Ecophyto depuis son origine.

En 2023, la Première ministre prend l’initiative d’une stratégie Ecophyto 2030, dans la dynamique de la planification écologique. Par sa temporalité, le rapport de notre commission d’enquête parlementaire se positionne donc idéalement, comme une contribution utile au débat public.

Cette commission d’enquête a enquéter sur une décennie de politiques publiques, en prenant comme point de départ la publication de l’expertise collective de l’Inserm de 2013. Ses alertes majeures en termes de santé publique ont été confirmées par son actualisation en 2021. Deux autres points d’alerte ont motivé ces travaux :

Le premier concerne divers rapports et publications qui ont récemment alerté sur la dégradation de la qualité des eaux superficielles et des nappes phréatiques, dans un contexte d’accélération du dérèglement climatique.

Le second fait écho à l’étude du Proceedings of the National Academy of Sciences qui a été publiée le 15 mai 2023. Elle révèle la disparition de 60 % des oiseaux des milieux agricoles depuis quarante ans.

Evoquer une décennie « presque » perdue, c’est une façon de saluer les avancées très positives qui sont autant de points d’appui pour Ecophyto 2030 :

• Le retrait de la grande majorité des molécules les plus toxiques (CMR 1 et 2), grâce à la mission dévolue à l’ANSES et au processus continu de phytopharmacovigilance ;

• Le déploiement des solutions dites de biocontrôle et un effort de recherche inédit en réponse à un retard signalé dans le rapport susmentionné de 2014.

• La réussite du réseau des fermes Dephy, un laboratoire vivant qui a démontré la possibilité de diminuer la pression pesticide de 26 %.

• La mise en œuvre, à travers le programme Certiphyto, d’un effort de formation et de prévention massif pour protéger les utilisateurs, ainsi que la création du Fonds PhytoVictimes en 2019.

En faisant le constat que, malgré ces avancées, les résultats obtenus demeurent très éloignés des objectifs fixés : Ecophyto est comme un véhicule avec un tableau de bord défectueux, qui roulerait sur une route sans radar. Un véhicule sans pilote dont les passagers feraient de la destination même un sujet de controverse.

La résolution à l’origine de cette commission d’enquête alertait par ailleurs sur le fait que plusieurs dynamiques à l’œuvre constituaient une forme de revirement :

Faute d’instruments de mesure partagés scientifiquement et démocratiquement, notre société est régulièrement minée par des controverses récurrentes ;

La révolution culturelle qui semblait s’être opérée quant à la nécessité de s’affranchir de notre dépendance aux produits phytosanitaires est remise en cause dans le contexte des tensions consécutives à la guerre en Ukraine et des concurrences déloyales sur le marché mondial ;

Le choix politique majeur du système d’autorisation de mise sur le marché confié à l’Anses est aujourd’hui publiquement remis en cause et nous discernons une tonalité “illibérale” de cette offensive.

Il y a eu des engagements et des réussites enthousiasmantes, des agriculteurs, des techniciens, des fonctionnaires, des chercheurs des filières et des territoires qui ont tenu la lumière allumée. Nous pressentions ici, comme pour d’autres politiques publiques, le besoin d’un récit politique qui ferait ici de l’agroécologie une odyssée partagée.

Las, tout s’est passé autrement début 2024. Il faudrait le talent d’un politologue aguerri pour décrypter par quels méandres un mouvement né de la colère d’éleveurs de l’Ariège s’achève par l’obtention de mesures de dérégulation, jusqu’alors inespérées, au bénéfice des filières économiques les plus puissantes. Un épisode riche d’enseignements sur l’état d’esprit de l’exécutif qui – au-delà de la nature des mesures concédées – a basculé dans un récit politique qui s’apparente à une contre-révolution culturelle

Jusqu’au bout, nous avons cru que le gouvernement tiendrait bon sur les dossiers liés aux enjeux sanitaires. Il n’en fut rien. Le changement opportuniste d’indicateur, l’abandon sans solution alternative du Conseil stratégique Phyto, la remise en cause lancinante de l’ANSES sont, de fait, une entreprise minutieuse de destruction de l’esprit comme de la lettre d’une politique que nous nous proposions de réarmer.

Nous espérons simplement aujourd’hui que nos 26 propositions seront, dans cette tempête, des balises utiles pour reconstruire une ambition agroécologique et une législation européenne qui prenne avec réalisme la mesure du péril. 

*Auteur d’un rapport d’évaluation et de révision du plan Ecophyto.

1. Rapport de la commission d’enquête pesticides : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cepestici/l16b2000-t1_rapport-enquete.pdf

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