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Crise agricole, l’Ukraine pointée du doigt

A quelques mois des élections européennes, la question ukrainienne ne cesse d’alimenter les débats, notamment celui sur l’agriculture.

Poulets, œufs, blé ukrainiens… les agriculteurs européens n’en peuvent plus. En pleine crise agricole, ils ne veulent plus de ces produits ukrainiens importés en masse. Récemment les images d’un train en provenance du pays en guerre et transportant du blé déversé sur les rails par des agriculteurs polonais a fait le tour du monde et en a choqué quelques-uns. Mais cet épisode pénible en pleine guerre n’est que l’expression d’une sourde colère qui gagne le monde agricole européen depuis que l’Union européenne a suspendu en mai 2022 les droits de douane pour les produits agricoles en provenance d’Ukraine. Un choix qui répondait à la volonté de soutenir économiquement le pays en guerre contre la Russie de Poutine. Il s’imposait aussi face à une possible menace pesant sur la sécurité alimentaire du continent et au-delà. Avant-guerre, l’Ukraine revendiquait une surface agricole utile de 42 millions d’hectares, soit une fois et demi celle de la France et trois fois celle de la Pologne. 70 % de ses productions végétales sont exportés. Et 95 % de sa production de blé, soit 6 millions de tonnes étaient alors exportés par voies maritimes. Or, l’offensive russe a stoppé net ce mode d’exportation faisant chuter le nombre de tonnes à moins d’un million. Une catastrophe à laquelle il a vite fallu remédier en empruntant les voies ferrées traversant la Pologne et la Roumanie. Au passage, les industriels locaux alléchés par des prix en baisse se sont servis faisant chuter dans la foulée ceux de leurs céréaliers. Une concurrence déloyale dénoncée par les agriculteurs polonais, mais aussi roumains et bulgares qui exigent un embargo total sur les céréales ukrainiennes, et que le blé ukrainien ne s’arrête pas sur le continent.

Partout en Europe, la colère gronde. Après deux ans de guerre le soutien à l’Ukraine n’est plus infaillible et des voix se font entendre. En Lituanie et en Lettonie, on ne veut plus du lait ukrainien, les Pays-Bas s’opposent aux exportations massives d’œufs tandis que l’Italie redoute maintenant l’arrivée du blé ukrainien. Les chiffres livrés par Eurostat sont éloquents : entre 2021 et 2023, les exportations agricoles en provenance d’Ukraine vers l’UE ont augmenté de 176 %. Avant-guerre, l’UE importait 20 000 tonnes de sucre ukrainien contre 400 000 tonnes aujourd’hui. Les importations de céréales ont également bondi passant de 7,9 millions de tonnes en 2021 à 18 millions en 2023… Et ne parlons pas du poulet ukrainien, sujet de discorde en Europe. Les exportations de poulets ukrainiens sont passées de « 90 000 tonnes avant le déclenchement de la guerre à 200 000 puis 300 000 tonnes » s’est félicité Emmanuel Macron lors d’un sommet européen à Bruxelles le 1er février dernier. Les exportations de volailles ukrainiennes ont bondi en France de 78 % au premier semestre 2023 sur un an. Au-delà des normes sanitaires qui ne sont pas identiques en Europe et en Ukraine, ce poulet ukrainien se retrouve aussi dans les produits transformés avec des prix d’achat 2 à 4 fois moins chers que ceux produits en France. Une autre concurrence déloyale dénoncée par les éleveurs. Et comment pourraient-ils résister face aux mastodontes ukrainiens avec des bâtiments qui comptent 1 à 2 millions de poulets contre pas plus de 20 000 autorisés en France.

Alors pour se rassurer on préfère rappeler que la situation est imputable à la Russie qui a déclaré la guerre et qui empêche les exportations ukrainiennes. Coincés sur le contient européen, les produits ukrainiens n’ont alors pas d’autres débouchés que l’Europe.

Quoiqu’il en soit, la situation n’est peut-être que les prémices d’une autre histoire qui sera celle de l’adhésion de cette superpuissance agricole à l’Union européenne. En adhérant à l’UE, l’Ukraine deviendrait alors et de loin le premier bénéficiaire de la politique agricole commune (PAC). De quoi susciter quelques remous. 


Accord trouvé sur les importations agricoles ukrainiennes
Face à la grogne agricole, les 27 Etats membres de l’UE et le Parlement européen ont trouvé le 19 mars dernier un accord pour limiter certaines importations agricoles ukrainiennes exemptées de droit de douane - œufs, volailles, sucre, avoine, maïs et miel. Mis en place comme mesure de soutien à l’Ukraine en guerre, l’assouplissement des règles d’importation avaient été perçu par les agriculteurs européens comme une concurrence « déloyale ». Désormais avec cet accord, les volumes d’importations de ces produits seront plafonnés aux niveaux moyens importés par l’UE en 2022 et 2023. Au-delà des droits de douane seront appliqués. Exclu de l’accord, le blé ukrainien n’est pas totalement absent puisque « les eurodéputés ont obtenu de la Commission l’engagement ferme d’intervenir en cas d’augmentation des importations ukrainiennes de blé » précise le Parlement. « En parallèle, indique une source gouvernementale, le travail est engagé pour permettre aux produits agricoles ukrainiens de retrouver leurs marchés d’origine auxquels le conflit avait un peu fermé l’accès » comme l’Afrique et le Moyen-Orient, pour éviter qu’ils ne restent bloqués en Europe.

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