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Risques et impacts industriels en France

Par Paul Poulain, spécialiste des risques industriels et auteur de « Tout peut exploser »*

En France, nous avons 500 000 usines, entrepôts logistiques et exploitations agricoles dont 1 300 sites SEVESO. Sur tout le territoire national, 9 000 sites sont inspectés chaque année sur les 500 000 installations dangereuses sur l’environnement soit moins de 2 %. En moyenne, 10 % des sites ne respectent pas la réglementation lorsqu’il y a des visites de l’inspection. L’amende maximale est de 15 000 e pour un non-respect de la réglementation alors que les systèmes de protection peuvent coûter des centaines de milliers d’euros voir des millions pour les sites les plus dangereux.

Les ports, les routes et le fret transportent des matières dangereuses. Les ports ne sont pas équipés de systèmes de sécurité incendie comme aux USA permettant d’éviter des explosions liées au stockage d’ammonitrates. Une explosion comme à Beyrouth pourrait donc se produire sur un port français en particulier à cause du risque de rupture de barrage alors même que les plus petits de moins de 2 mètres ne simulent jamais les risques liés à leur rupture.

Le ministère de la Transition écologique répertorie 3 accidents industriels par jour pour notre si petit pays. Les pompiers interviennent 187 fois chaque jour lors d’accidents technologiques dont 20 fois pour cause d’incendie. Chaque incendie dégage en moyenne 200 substances chimiques. Il y a eu une augmentation de 21 % du nombre d’accidents industriels entre 2018 et 2019 !

Le vieillissement des stations d’épuration et les impacts du dérèglement climatique font partie des préoccupations majeures méconnues du grand public. Avec le dérèglement climatique, les fortes pluies vont faire déborder nos stations d’épuration si nous n’investissons pas suffisamment. Dans des agglomérations comme Lannion, près de la moitié des systèmes d’assainissement ne sont déjà pas conformes à la réglementation. En 2015, la France possédait 21 079 stations de traitement des eaux usées. Mais la pollution est concentrée dans certaines zones à forte activité industrielle et agricole. 18 % des stations traitent 94 % de la charge polluante.

Le premier élément à analyser pour améliorer le niveau de sécurité est le principe de substitution, c’est-à-dire, remplacer un produit par un autre aux propriétés tout aussi efficaces en diminuant les dangers. Prenons l’exemple du nitrate d’ammonium (NA). Le fait de passer à l’agriculture biologique en supprimant l’utilisation d’engrais à base de nitrate d’ammonium permettrait de supprimer le risque à la source. On constate que certains de nos voisins européens interdisent l’usage de nitrate d’ammonium en tant qu’engrais comme l’Irlande ou le réglementent beaucoup plus comme la Belgique.

Le problème de l’application de la réglementation est lié en premier lieu au manque d’inspections des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). En 2000, avant AZF, il y avait seulement 13 000 inspections. Suite à cet accident nous sommes passés à 30 000 inspections en 2005, ce qui était à l’époque une avancée considérable mais néanmoins pas suffisante. Cette augmentation du nombre d’inspections fût de courte durée : de 2005 à 2018, le nombre total de visites des ICPE menées par les inspecteurs a baissé de 39 % tombant à 18 000 visites en 2018. Lors de sa prise de parole après Lubrizol, le directeur de la DGPR (Direction générale de la Prévention des risques) évoquait une situation encore plus inquiétante avec certains sites qui sont contrôlés plusieurs fois, entraînant le chiffre de 9 000 sites inspectés chaque année. Il existe 500 000 installations classées dont 25 000 soumises à autorisation et 1 300 sites SEVESO.

Dans le rapport sénatorial de la commission Lubrizol du 02 Juin 2020, Patrick Berg, directeur de la DREAL Normandie, nous donne les chiffres très faibles des inspections des ICPE non Seveso “seuil haut”. Il rappelle que son équipe inspecte une fois par an les établissements Seveso “seuil haut”, tous les trois ans les Seveso “seuil bas” puis cela descend jusqu’à une fois tous les sept ans pour les autres sites. Pour une ICPE soumise à une simple déclaration, ils n’y vont que lorsqu’il y a un signalement de la part d’un riverain ou d’un élu. Nous pourrions inspecter les sites soumis à autorisation et à enregistrement tous les ans et les 459 000 installations soumises à déclaration tous les 5 ans.

Concernant les poursuites judiciaires, un récent rapport inter-inspections sur les relations entre justice et environnement relève un taux de classement sans suite plus élevé pour les infractions environnementales que pour la moyenne. Les amendes et les astreintes prononcées doivent être proportionnées à la gravité des manquements constatés et tenir compte notamment de l’importance du trouble causé à l’environnement. Je propose à la place de mettre en oeuvre un régime de sanctions inspiré de la Finlande. Ainsi, les montants des amendes seraient calculés suivant les revenus du contrevenant (entreprise ou particulier). Par exemple, pour un excès de vitesse de 23 km/h, le PDG de Nokia, qui déclare des revenus annuels de plus de 6 millions d’euros, a dû payer 54 000 euros d’amendes.

En France, il y a 320 000 anciens sites industriels et de services potentiellement pollués. Seulement 7 200 ont été diagnostiqués comme pollués ! Nous avons donc des personnes qui mangent des légumes de leurs potagers pollués aux métaux lourds sans le savoir et des enfants qui jouent sur ces mêmes terres qui n’ont jamais été diagnostiqués ni dépollués.

Avec tous ces éléments, pas étonnant que les chiffres des cancers ne sont pas disponibles dans la majorité des départements. La surmortalité liée aux activités industrielles est fortement suspectée et que nous sommes passés de 150 000 cancers déclarés en France en 1985 à 400 000 en 2020.

L’autorité des installations classées pour la protection de l’environnement repose sur le préfet. Ce dernier doit donc systématiquement arbitrer entre le développement économique de son territoire et la protection de la population. Pour éviter que la logique économique prime sur la logique sanitaire, il faut créer une autorité indépendante des ICPE comme dans le nucléaire. Elle ne doit pas concerner uniquement les sites SEVESO car certaines installations non SEVESO sont très dangereuses comme les stockages de nitrate d’ammonium ou les stockages de combustibles.

Il y a en France un vrai problème de compétences dans la maîtrise des risques technologiques, notamment en sécurité incendie. Il y a beaucoup moins d’effectifs au sein des ministères que dans les pays nordiques, pas de formations universitaires sur la conception des systèmes de sécurité incendie comme en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, pas suffisamment de cours dans la formation de nos techniciens, de nos ingénieurs et de nos architectes.

Le grand public n’est absolument pas informé sur ces sujets. Dès le plus jeune âge, les entraînements d’évacuation incendie réalisés dans le milieu scolaire sont pris avec dérision contrairement à d’autres pays dans le monde. Il est donc urgent d’augmenter considérablement la formation sur ces sujets et c’est aux services de l’Etat de s’en charger.

Pour certains secteurs d’activités dont l’automobile et l’aéronautique, une trop forte répression amènera potentiellement des délocalisations. Les décisions devront être prises au cas par cas par l’autorité de sûreté en fonction du contexte social et économique comme le font aujourd’hui les préfets. Pour faire des arbitrages, une formation de l’administration plus poussée sur les risques industriels sera nécessaire pour ne pas choisir le développement économique au détriment de la santé de la population comme c’est le cas actuellement.

En attendant la mise en place de mes conseils, il est temps de lancer un travail de transition professionnelle pour tous les sites que l’Etat souhaite fermer (exemple des sites produisant des engrais à base de nitrate d’ammonium, nucléaire...) pour construire les emplois de demain. 

* Référence bibliographique : “Risques industriels : prévenir et prévoir pour ne plus subir”, Rapport de commission d’enquête sénatoriale