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L’URSSAF : un cancer français

Par François Taquet, avocat, Membre du Cercle Lafay* et Nicolas Delecourt, écrivain**

Les livres sur les l’URSSAF ne sont pas légions. Et pourtant, ce sont les Unions de Recouvrement de cotisations de Sécurité sociale et d’Allocations Familiales qui financent les différentes branches de la Sécurité sociale et permettent de pérenniser notre modèle social.

A croire que ces organismes se veulent discrets ou mieux encore qu’ils soient irréprochables… ! Sans doute n’est-il pas inutile de s’arrêter quelque temps sur ces entités afin d’analyser leur fonctionnement et de décortiquer leurs pratiques.

Un fonctionnement atypique

Administrativement, le recouvrement des cotisations est organisé autour de 22 URSSAF régionales. Autonomes (ce sont des organismes privés qui gèrent un service public), elles comptent toutes un Conseil d’Administration de 20 membres. Et, pour piloter ces 22 régions, une Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale, (ACOSS rebaptisé depuis peu : URSSAF Caisse Nationale) assure la tutelle budgétaire des unions régionales. Outre le recouvrement des cotisations et contributions sociales, la loi a prévu que les cotisations recouvrées par le RSI (15,8 milliards d’euros encaissés) le seraient par les URSSAF, qui seront aussi chargés de la récolte des fonds de formation (10 milliards d’euros), la Sécurité sociale des artistes auteurs. Idem pour la Contribution Sociale de Solidarité des Sociétés (C3S), qui était perçue par la Caisse Nationale Déléguée pour la Sécurité Sociale des Travailleurs Indépendants. L’URSSAF est aussi là pour récupérer l’argent de l’Assurance chômage, du Fonds National d’Aide au Logement, du Fonds de Solidarité Vieillesse, de la PUMA (Protection Universelle MAladie, qui a succédé au CMU), bientôt des caisses de retraite complémentaires… Dès qu’une nouvelle contribution est créée, il semble que l’Etat, satisfait de l’efficacité de ces organismes lui en confie la perception. C’est dire l’importance de ces entités qui chaque année récoltent plus de 500 milliards d’euros, soit 150 % du budget de l’Etat français.

Outre le recouvrement, les URSSAF ont pour mission de vérifier que les entreprises versent bien leurs cotisations (cotisations sociales, contributions, assurance chômage … et bientôt les retraites complémentaires …). Pour cela, les URSSAF disposent d’une armada de quelque 1 550 inspectrices et inspecteurs. Le discours bien rodé est que « les URSSAF sont au service de l’entreprise et de l’emploi ». Mais, dans la réalité, ces 1 550 agents ont un objectif : faire du chiffre. Chaque année, au printemps, l’ACOSS présente les résultats de l’année passée. Et, à chaque fois, l’ACOSS se réjouit de la bonne moisson. En une décennie, avec presque trois fois plus de contrôles URSSAF que de contrôles fiscaux, les URSSAF ont multiplié par 9 le nombre de redressements… avec un chiffre redoutable : sur 10 contrôles menés par l’URSSAF dans les entreprises de plus de 250 salariés, 9 donnent lieu à un redressement. C’est-à-dire que 90 % des PME inspectées doivent payer. A cette lecture, difficile de ne pas éprouver un sentiment de malaise : les URSSAF semblent se livrer à une course éperdue au résultat. Légitimement, on peut s’interroger : si 90 % des personnes ne respectent pas les règles, est-ce que cela revient à dire que 9 sur 10 sont des escrocs patentés. Ou cela ne signifie-t-il pas que les règles sont incompréhensibles, voire inapplicables ? Ne pas se poser la question, c’est faire preuve d’aveuglement, voire de mépris. On comprend mieux le discours de Patrick Schuster, secrétaire FO de la commission permanente des agents des corps extérieurs de recouvrement et de contrôle (ACERC) qui disait, en juillet 2018 : « les inspecteurs font du rendement, ils sont soumis à des objectifs quantifiés aberrants ». Et cette folie va se poursuivre puisque les Conventions d’Objectifs et de Gestion qui engagent les URSSAF demandent toujours plus de résultats. Quant à la Cour des Comptes, dans un rapport de 2018, elle incite les URSSAF à utiliser « les méthodes les plus modernes en termes de ciblage des contrôles » qui, pour l’instant, « sont restées pour l’essentiel au stade de l’expérimentation ». Traduction : le tir aux pigeons va s’amplifier … Et c’est surtout sur les méthodes mises en œuvre par les URSSAF que notre livre s’est arrêté

Des méthodes de contrôle pour le moins contestables

Si notre livre ne conteste ni notre système de protection sociale, ni l’existence des URSSAF, il dénonce en revanche les méthodes mises en œuvre par ces entités lors des vérifications. Certes, les contrôles sont nécessaires dans un système déclaratif. Mais, la fin ne justifie pas tous les moyens…

Pèle mêle, plusieurs critiques sont formulées :

Ainsi, lors des contrôles, le dialogue et la procédure contradictoire sont réduits à la portion congrue. Ainsi, à titre d’exemple et suite procédure de vérification, l’URSSAF doit envoyer au cotisant un courrier d’observations auquel il a la faculté de répondre. C’est ce que l’on appelle la procédure contradictoire. Or, le cotisant va adresser sa réponse au même inspecteur qui l’a redressé et qui ne changera donc pas d’avis. Le système ne connaît pas en la matière, d’interlocuteur régional, comme en matière fiscale. Qui plus est la commission de recours amiable (qui n’a d’amiable que le nom), première étape du contentieux, relève du scandale. D’ailleurs, le rapport Fouquet de 2008 avait relevé que « la procédure suivie était imparfaite et respectait peu les exigences du contradictoire ». Déjà en 1986, le Directeur adjoint de l’URSSAF de Lyon, Gérard Pigalio, avait relevé dans un article de Droit social que les administrateurs composant ces commissions n’avaient ni ne temps, ni les compétences pour statuer sereinement. Le rapport parlementaire Bernard Gérard et Marc Goua de 2015 avait proposé que les cotisants puissent venir assurer leur défense devant la commission, comme cela se pratique en matière fiscale… Non seulement ces propositions sont restées lettre morte, mais la loi ESSOC a mis en œuvre une usine à gaz avec la Médiation qui complique encore les rapports URSSAF/Entreprise alors qu’il aurait suffi de revoir le fonctionnement de ces commissions...

Une deuxième critique vise le rôle des syndicats. En effet, ces organismes sont administrés par les partenaires sociaux, les présidents étant bien souvent issus du MEDEF ou de la CPME. Le problème est que ces représentants syndicaux sont dans un rôle honorifique (qu’ils acceptent), le véritable pouvoir étant détenu par le directeur de l’organisme et les salariés ! Pratiquement donc, les représentants MEDEF et CPME opinent à presque tout ce que propose le directeur… Beaucoup de chefs d’entreprise ont du mal à comprendre, lors d’une vérification, qu’ils sont maltraités par des organismes qu’ils financent. Mais quand on leur dit en plus que ces organismes sont administrés par des représentants des entreprises, l’incompréhension est totale !

Une autre critique vise l’utilisation abusive de la procédure relative au travail dissimulé. Comme aiment à le dire les URSSAF, leur mission est de « contribuer à une concurrence saine et loyale entre les entreprises, et en sécurisant le financement de système de protection sociale ». D’ailleurs, la moitié des redressements opérés concerne le travail dissimulé…On serait donc tenté d’approuver les actions de l’URSSAF dans ce domaine… Mais le problème est plus compliqué qu’il n’y paraît au premier abord ! En effet, notre législation a banalisé la notion de travail dissimulé, devenue au gré des années, une notion « attrape tout ». Et de même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, la plupart des citoyens et des entreprises pratiquent le travail dissimulé sans même s’en rendre compte. Ainsi pour les URSSAF constitue du travail dissimulé le cas de Mamie bistro qui aide bénévolement son conjoint dans son café, le client du bar qui vient rapporter son verre au comptoir, l’entraide entre voisins, la personne qui vient aider son frère sur un marché, les laissés-pour-compte qui reçoivent un modeste pécule, l’entraide familiale, le fait de payer des heures supplémentaires en primes exceptionnelles, même si l’URSSAF ne subit aucun préjudice …. Faut-il continuer ? Certes, il convient de lutter contre le travail dissimulé ! Mais pas de cette manière ! Comment peut-on accepter de mettre dans le même sac la multinationale qui fait travailler des salariés sur des chantiers sans les déclarer et le cas de Mamie bistro ? Aurions-nous perdu la raison ? Et gare aux entreprises qui tomberaient dans les filets de l’URSSAF ! Quels que soient les arguments invoqués, les sanctions sont impitoyables. Comme l’ont indiqué certains auteurs, il s’agit d’« un arsenal d’une violence juridique et économique inouïe », et souvent disproportionnée à l’infraction commise !

Sans nul doute notre système de protection sociale, financé majoritairement par les entreprises, mérite mieux que des procédures à la hussarde avec des garanties limitées pour les cotisants…Ce livre plaide au contraire pour un dialogue pendant le contrôle, l’amélioration les garanties des cotisants pendant et après la phase de vérification, une nouvelle définition du travail dissimulé...Finalement, tout le monde aurait intérêt à ces transformations, y compris et surtout les URSSAF... 


*Le cercle Lafay est un think tank qui œuvre pour améliorer les relations entre l’URSSAF et les entreprises


** auteurs de : « URSSAF : un cancer français » - Editions du Rocher