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Napoléon : un bicentenaire nécessaire et utile

Par Thierry Lentz, Directeur de la Fondation Napoléon, Professeur à l’Institut catholique d’Etudes supérieures de Vendée*

L’année 2021 est celle du bicentenaire de la mort de Napoléon, survenue le 5 mai 1821, à Sainte-Hélène. Il sera marqué par des dizaines de manifestations, expositions, colloques, conférences et cérémonies dans la France entière et même dans plusieurs pays étrangers, dont la Russie, l’Italie, la Belgique et même… le Chili, où de nombreux soldats de la Grande Armée finirent leur carrière au service de l’indépendance.

Sans entrer ici dans les détails des polémiques qui ont éclaté le mois dernier, il me semble que cette commémoration, qui n’est pas une aveugle célébration, est indispensable. Pour les historiens et les passionnés d’histoire qui, après tout, ont bien le droit de prendre du plaisir et de l’intérêt à un tel événement, bien sûr, mais au-delà, pour ce que représente Napoléon pour les Français et pour la France.

Car Napoléon est en nous. Il l’est par nos souvenirs d’école, de lectures, par les monuments qu’il a laissés, par nos paysages urbains, certes, mais aussi parce qu’il a forgé depuis deux siècles des citoyens français, jusque dans leur intimité. On le doit, bien sûr, à son Code civil. Dans son discours introductif, Jean-Etienne Portalis le décrivait comme « la source des mœurs [et] la garantie de la paix publique et particulière » devant atteindre « chaque individu » et se mêler « aux principales actions de sa vie ». Même réformé, ce texte essentiel a conservé sa solide ossature et une bonne part de sa philosophie d’origine. Il proclame et met en œuvre, aujourd’hui comme hier, l’égalité devant la loi et la non-confessionnalité de l’Etat, les règles de l’état-civil, de la liberté contractuelle et de l’autonomie de la volonté, de l’étendue et des limites du droit de propriété, de la responsabilité civile, et j’en passe. Rien de tout cela n’est étranger à notre vie de chaque jour et même les changements apportés, par exemple, aux règles de fonctionnement de la famille, de la filiation ou des contrats n’ont pu avoir lieu qu’en préservant le moule préexistant… au moins jusqu’à présent.

De Napoléon, nous avons aussi hérité les principes généraux de l’Etat, de son administration, des finances publiques, de l’organisation judiciaire, du maillage des chambres de commerce et d’agriculture, de l’agrégation des enseignants en un seul corps, de la prééminence du droit du sol en matière de nationalité et même, entre mille autres choses, des premières vaccinations de masse (contre la variole), du numérotage des rues, de l’obligation de balayer devant sa porte ou d’enterrer nos morts à six pieds sous terre.

Peu de pays au monde ont eu dans leur histoire un dirigeant d’un tel calibre et aux travaux si utiles et pérennes, réalisés lorsqu’il fallait tout reconstruire au sortir de la Révolution et de la guerre civile.

Dans un discours au Conseil d’Etat, il expliqua que sa politique consistait à jeter sur le sol de France « des masses de granit » destinées à stabiliser une société composée de citoyens éparpillés comme des « grains de sable ». J’en ai fait avec quelques amis l’inventaire dans notre Dictionnaire des institutions du Consulat et de l’Empire (Tallandier, 2016) auquel je renvoie les lecteurs du présent texte. Cet inventaire n’est pas « à la Prévert ». Rien n’y est caprice ou de circonstance. Tout y est au contraire lié, s’emboîte et procède d’une même volonté de donner à la nation une solide colonne vertébrale.

Ces multiples créations constituèrent en quelques années ce que Napoléon appela « les nœuds indissolubles de nos institutions nationales ». Ils n’ont pas encore été dénoués. Ils ont en tout cas résisté aux gros temps, aux orages et aux tempêtes de notre histoire. Et si leur créateur ne reconnaîtrait pas nombre de ses enfants ou petits-enfants, l’essentiel est là : c’est d’après sa pensée et sous son impulsion qu’a été fondée, assise et préservée la France contemporaine.

Un tel homme mérite incontestablement que l’on s’intéresse à lui, qu’on continue à l’étudier, à comprendre aussi comment, à côté de telles réussites, il put prendre des décisions que nos sensibilités contemporaines réprouvent. Le bicentenaire de sa mort en sera une formidable occasion. Ne la laissons pas passer et, au lieu de nous déchirer, débattons pour en faire un socle commun. 


*Vient de publier Pour Napoléon aux éditions Perrin