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Pourquoi la France ne doit pas rater la “révolution blockchain” ?

Par Jonas Haddad, Avocat, Vice Président de la Fondation Concorde et Milan Orban, Consultant chez Havas Paris

Après avoir publié le rapport « Blockchain : une opportunité pour l’Europe », la Fondation Concorde et Havas Blockchain appellent les décisionnaires politiques français et européens à prendre acte d’une révolution technologique qui transformera tous les secteurs, de la finance à l’assurance en passant par l’industrie et la sphère publique.

La pandémie du COVID-19 précipite l’avènement d’un « monde nouveau » dont la sphère numérique gagnera sans cesse en importance. Dans ce monde, la blockchain est annoncée comme une révolution économique, politique et sociétale aussi puissante que celle d’Internet. Pour reprendre les mots de Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, c’est une « invention géniale » que la France ne doit pas rater.

Nous appelons l’État français à adopter des mesures ambitieuses pour exploiter une technologie capable de favoriser notre souveraineté économique, notre compétitivité industrielle et nos modèles administratifs. Le secteur de la blockchain et des crypto-actifs doit bénéficier d’une stratégie long-termiste plaçant cette technologie au cœur des priorités économiques avec l’Intelligence Artificielle.

La blockchain, une « seconde révolution d’internet » :

En France, le secteur de la blockchain est trop souvent mal compris. Son potentiel est, à tort, restreint aux cryptomonnaies comme le bitcoin, aussi révolutionnaire soit-il. De plus, les crypto-monnaies sont considérées comme des instruments financiers opaques, uniquement dédiés à la spéculation alors que les « jetons numériques » constituent l’un des socles de l’économie digitale de demain.

Si la blockchain a été popularisée grâce au bitcoin, la portée de cette nouvelle technologie est bien plus large et doit s’appréhender à travers le protocole internet. Alors que les informations que nous envoyons sur internet (e-mails, vidéos...) sont des copies dupliquées, la blockchain conserve la rareté numérique d’une donnée. Là où internet permet l’échange d’informations, la blockchain, elle, permet l’échange de valeur. Cette technologie marque une nouvelle étape dans la jeune histoire du web. C’est un « internet de la valeur » que les décisionnaires politiques doivent encourager pour ne pas répéter les erreurs du passé qui nous ont amenées à passer à côté d’internet.

Loin des fantasmes qu’elle ait pu susciter, la blockchain dévoile désormais ses vastes champs d’applications concrètes :

Ce nouvel internet ouvre des possibilités jusqu’à maintenant hors d’atteinte comme le transfert d’actifs numériques en pair-à-pair (monnaies, votes, actions, obligations...), les « contrats intelligents » automatisés ou la traçabilité totale des flux industriels.

Tous les secteurs sont concernés. Dans l’industrie, la blockchain permet de tracer les flux, d’automatiser les transactions financières, de simplifier les modalités contractuelles et d’uniformiser les registres comptables des entreprises. Dans la sphère publique, la blockchain promet de réinventer le fonctionnement de l’État à travers une identité numérique citoyenne et de simplifier l’ensemble des procédures à travers l’automatisation des rouages administratifs. Cette technologie arrive à point nommé pour décomplexifier nos systèmes administratifs et bâtir l’e-administration de demain. Sur le plan financier, la blockchain fait entrevoir un « euro numérique » émis par la BCE avec des effets potentiellement bénéfiques sur l’économie française et la souveraineté monétaire européenne. Quant aux crypto-actifs, ils ouvrent de nouveaux business models pour nos entreprises, nos start-ups et nos PME grâce à l’émission de « jetons numériques » accessibles au grand public. Ils sont le socle de l’économie numérique de demain.

Quelles politiques mettre en place pour pleinement exploiter cette nouvelle technologie ?

Si la France a raté le virage d’internet en prenant celui du minitel, elle ne doit pas passer à côté de la « révolution blockchain ». Dans l’Hexagone, le potentiel des crypto-actifs et de la blockchain est mal compris et trop souvent décrié, avec une réglementation contradictoire, parfois incitative et parfois paralysante, qui risque de ralentir l’innovation et de favoriser une concurrence étrangère. Or, les crypto-monnaies ne financent pas davantage le terrorisme que d’autres monnaies.

La régulation actuelle, par les maintes étapes d’identification des usagers qu’elle exige (appelées KYC : Know Your Customer), n’incite pas au développement des plateformes d’échanges souveraines, ces rouages essentiels du monde crypto. Nous courrons le risque qu’à l’avenir, les start-ups ou PME françaises se financent exclusivement à l’aide de plateformes étrangères. L’État doit autoriser une solution d’identification numérique unique, simple et réglementée qui remplacerait à terme le double KYC qui empêche les acteurs européens d’avoir des liquidités et une base de clients digne de ce nom.

D’un point de vue économique, la blockchain, comme les crypto-monnaies, doit être inscrite comme priorité stratégique dans le plan « France Relance » initié par le gouvernement. Si l’Intelligence Artificielle est mentionnée, la blockchain n’y figure pas. L’État français pourrait également montrer l’exemple en simplifiant ses procédures administratives grâce à cette technologie, à l’image de l’initiative de la Gendarmerie nationale fin 2019.

Ajoutons que l’échelle française n’est pas suffisante : il faut agir au niveau européen. Un marché de près de 500 millions d’habitants peut davantage concurrencer les États-Unis et la Chine que la France seule. Une start-up blockchain enregistrée dans un pays de l’UE doit pouvoir commercialiser ses activités à l’échelle européenne dans un cadre fiscal et juridique commun et attractif. À cette fin, la France doit rapidement entamer des discussions avec ses partenaires continentaux.

En France comme en Europe, il est aussi essentiel de combler l’écart de financement des fonds d’investissements français et européens avec les États-Unis et la Chine. Les fonds de capital-risque blockchain ont vingt fois moins d’actifs en Europe qu’aux États-Unis, tandis que les start-ups blockchain européennes reçoivent en moyenne quatre fois moins de capital en Europe qu’outre Atlantique.

Le gouvernement français doit adopter des mesures efficaces et pragmatiques pour ne pas passer à côté de la « seconde révolution d’internet ». La France et l’Europe ont toutes les capacités technologiques et humaines pour devenir leader de la blockchain. Ne répétons pas les erreurs du passé !