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Impact de la crise du coronavirus sur la transition écologique

Par Philippe Charlez, Expert en Questions Energétiques à l’Institut Sapiens

La pandémie du COVID-19 a mis sous confinement la moitié de la planète et instantanément arrêté toutes les activités économiques non immédiatement indispensables. Elle nous a aussi demandé de renoncer temporairement aux libertés les plus élémentaires.

Cette expérience surréaliste aura des externalités dramatiques pour l’économie. Selon les premières estimations de l’INSEE (1), le confinement entraînera une récession comprise entre 8 % et 10 % du jamais vu depuis un siècle. Les conséquences en termes de faillites d’entreprises et de chômage seront terribles. Quant à la dette de la France, déjà vertigineuse, elle devrait s’accroitre de 15 %.

Un essai en vraie grandeur de la société de décroissance

Mais, cette pandémie aura aussi des externalités positives. Par rapport à 2019, la consommation d’énergies fossiles et les émissions de Gaz à Effet de Serre se contracteront de façon significative. Bien qu’il soit difficile aujourd’hui d’en estimer la portée, la réduction des GES pourrait atteindre 10 % sur l’année. L’effet serait toutefois assez rapidement gommé par la reprise.

La situation que nous vivons temporairement « contraints et forcés » constitue un essai en « vraie grandeur » de la société de décroissance prônée par certains mouvements écologistes et collapsionistes. Si la solution s’avère efficace en termes de réduction des GES, elle implique d’une part une forte restriction des libertés et de l’autre un glissement progressif vers la pauvreté. Car dans notre société de croissance c’est bien le superflu qui soutient le nécessaire. Autrement dit sans les revenus du tourisme, du luxe, des restaurants, du cinéma et du football, on ne pourrait financer ni la santé, ni l’éducation ni la préservation de l’environnement. Restriction des libertés et pauvreté telles sont les inévitables conséquences de la décroissance économique. Le citoyen est-il prêt à se confiner à nouveau non plus pour raisons pandémiques mais pour raisons climatiques ?

Effets collatéraux de la pandémie

Le pétrole représentant 92 % de l’énergie utilisée dans les transports, la demande pétrolière s’est effondrée de 30 % depuis le début de l’année. Conjuguée à une réduction insuffisante de l’offre, cet effondrement de la demande a conduit à une chute des cours et rempli le stockage mondial en stand-by « cuves remplies » dans le port de Rotterdam.

La suroffre et les énormes stocks disponibles ne devraient pas faire remonter les cours dans l’immédiat. Mais, à plus long terme, la crise provoquera une multiplication de faillites aux Etats-Unis ainsi que le gel ou le report de nouveaux projets par les grands majors pétroliers et les pays producteurs. La situation pourrait alors s’inverser avec une offre déclinante face à une reprise de la demande. D’un choc de demande on assisterait à un choc d’offre avec une remontée incontrôlée des cours.

Parallèlement, la reprise sera un vrai test économique pour les énergies renouvelables intermittentes (solaire et éolien) aujourd’hui fortement subventionnée. Pour relancer leur tissu économique, les Etats devront y injecter des sommes considérables de l’ordre de cinq mille milliards de dollars selon les chiffres du dernier G20 (2). Si le recours à l’emprunt et l’accroissement de l’impôt sont les premiers leviers envisagés, les Etats devront aussi différer dans le temps certains investissements. Les énergies renouvelables pourraient en payer le prix fort. Selon Bloomberg New Energy and Finance (3) les nouvelles capacités solaires et éoliennes devraient fortement reculer en 2020. Et que dire des transports, premiers à souffrir du confinement. Les budgets de R&D dédiés à la transition énergétique (voitures électrique et à hydrogène, bateaux au gaz naturel liquéfié) seront au mieux différés au pire supprimés. Le recours aux hydrocarbures bon marché pourrait mettre un coup d’arrêt à la transition énergétique et refaire partir les émissions à la hausse dès 2022. Quant au « Green Deal » d’Ursula Von der Leyen, déjà irréalise dans une économie normale, il risque d’être renvoyé aux « calendes grecques ».

Récupération politique

La percée écologiste aux européennes n’était pas un épiphénomène. Elle s’inscrit dans une dynamique qui s’est largement confirmée au premier tour des Municipales. Boostés par cette dynamique, les écologistes ne manqueront pas d’instrumentaliser la crise sanitaire pour étayer leurs thèses décroissantistes. L’ancien ministre Nicolas Hulot a d’ailleurs annoncé la couleur lors d’une intervention télévisée en annonçant « que la nature nous avait envoyé un ultimatum » (4). Les mouvements populistes nationalistes en feront également une récupération politique en nous expliquant que la meilleure façon de combattre les pandémies est de fermer les frontières. L’Europe et la Mondialisation seront leurs boucs émissaires habituels.

Recommandations

Si elle possède certains vices, la société de croissance a aussi d’innombrables vertus. Elle a permis à l’être humain de se développer à pas de géants depuis le milieu du XIXe siècle. Elle a éradiqué les grandes maladies infectieuses du XIXe siècle, la mortalité infantile et porté l’espérance de vie à plus de 80 ans aujourd’hui. C’est elle qui a autorisé le développement de nos systèmes sanitaires et éducatifs. C’est elle qui permet aux pays possédant le revenu le plus élevé d’être les plus avancés sur le plan environnemental.

Les politiques de transition énergétique suivies jusqu’à présent ne se sont pas toujours montrées à la hauteur des attentes La récession peut être saisie comme une opportunité pour redéfinir les priorités. Il faudrait notamment revoir à la baisse le financement des énergies renouvelables et investir davantage dans l’habitat, les transports et l’industrie.

Ce n’est ni en fermant les frontières ni en dé-mondialisant l’économie que l’on résoudra mieux ni les futures pandémies ni la transition énergétique. La société actuelle est devenue trop complexe pour rester généraliste. La spécialisation et l’échange sont indispensables dans une société avancée comme la nôtre. Re-féodaliser la société ne pourra se faire que dans l’appauvrissement. Imaginons ce qu’aurait été la crise sans l’Euro mais avec le FF, nouvelle monnaie de singe de la planète ! Qu’on le veuille ou non, « démondialiser » c’est quelque part « confiner ».

Pour autant, la crise sanitaire a mis en évidence certaines lacunes. S’il est impensable de relocaliser en masse tout ce qui a été délocalisé au cours des 30 dernières années, il faudra sûrement relocaliser au périmètre Européen certaines activités stratégiques. Mais, avant de relocaliser évitons pour raisons idéologiques de délocaliser des activités qui nous rendraient encore davantage dépendants. Si la France manque aujourd’hui de médicaments, de masques (dont la composition est 100 % pétrolière !), de gel hydro alcoolique, de matériel de dépistage et de respirateurs, elle peut au moins compter sur son électricité nucléaire. Imaginons des services de réanimation dépendant des caprices du soleil et du vent ! Quand on sait que 90 % de l’équipement renouvelable est fabriqué dans le sud-est asiatique, remplacer le nucléaire par des renouvelables entraînerait une perte ahurissante de souveraineté énergétique. A moins que l’Européen ne soit prêt à rouvrir…les mines dont on extrait les fameux métaux rares nécessaires aux éoliennes, batteries, panneaux solaires et autres piles à combustible. On ne peut à la fois refuser le nucléaire, la mondialisation et les mines sur le pas de sa porte. 


1. https://www.lefigaro.fr/conjoncture/coronavirus-un-mois-de-confinement-ferait-perdre-3-points-de-pib-a-la-croissance-annuelle-francaise-20200326


2. https://www.lefigaro.fr/conjoncture/face-au-coronavirus-le-g20-va-injecter-5000-milliards-de-dollars-dans-l-economie-mondiale-20200326


3. https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-02-27/coronavirus-is-starting-to-slow-the-solar-energy-revolution


4. https://www.bfmtv.com/actualite/hulot-sur-bfmtv-on-assiste-a-un-passage-de-cap-de-l-humanite-1880140.html