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L’Agriculture avec un grand “A”

Par Didier Guillaume, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation

Les Français sont attachés aux terroirs, à la mer, à ses ressources à la qualité de leur alimentation, ils restent donc profondément attachés à l’Agriculture avec un grand « A ». Au moment où l’urgence climatique nous pousse à redéfinir nos modes de consommation et de production, nous avons besoin à la fois de pragmatisme et de réflexion, de réalisme et d’ambition, de raison et de détermination.

Réaffirmer cela aujourd’hui signifie dans la mission qui m’est confiée, que nous devons continuer collectivement à faire les bons choix stratégiques. Nous devons aussi réconcilier urbains et ruraux dans un même projet de société. Car nous ne pouvons raisonnablement accepter que les agriculteurs soient les boucs-émissaires ou les otages d’injonctions contradictoires. Il est du devoir de la représentation nationale, de faire des agriculteurs le levier indispensable des transitions que nous choisirons pour le pays. Nos arbitrages législatifs et réglementaires, loin de les contraindre davantage, doivent au contraire les éclairer, les guider et les accompagner de manière pérenne.

L’enjeu de la transition agro-écologique est considérable pour nos contemporains et le défi majeur pour nos générations et celles de nos enfants. Adapter l’agriculture et la pêche aux aspirations de la société, cela signifie aussi que notre alimentation tient compte de notre santé et préserve notre environnement en développant, en adaptant de nouveaux modes de production. Les Etats généraux de l’alimentation ont fait émerger cette volonté. A nous de la traduire en actes. Les conditions de la réussite de cette mutation, passent aussi par une transition économique, sociale et sanitaire à la hauteur de nos ambitions.

Le président de la République a souligné lors de ses vœux que 2020 serait une année de transition. Dans ce contexte, nous devrons arbitrer sur les orientations qui nous permettront de mettre en œuvre le green deal européen. A une politique européenne à l’origine agricole et commune, s’ajoute désormais une politique alimentaire commune. Au moment où la France s’apprête à renégocier la PAC, l’enjeu est de montrer que notre modèle reste compétitif et qu’il répond pleinement aux attentes des consommateurs. La PAC garantit en effet à chaque Européen, l’auto-suffisance et la sécurité alimentaires et a su s’imposer au fil du temps, comme un modèle que tous nos concurrents à travers le monde, nous envient. A nous de faire en sorte qu’elle devienne le socle d’une nouvelle citoyenneté européenne. Cela signifie que son budget ne saurait être sacrifié sur l’autel d’autres priorités communautaires ou en raison du Brexit. La pêche en l’occurrence, est tout en haut des priorités du Gouvernement, et ne sera pas une variable d’ajustement dans la négociation de la relation future après 2020. La ratification en cours de l’accord de retrait par les Britanniques permet de maintenir l’accès aux eaux et aux ressources britanniques pour cette année.

La transition agro-écologique dans le cadre du green deal nécessite aussi que l’on mobilise toutes les forces pour faire de l’Union un espace exemplaire de production et de consommation. Pour s’y préparer, l’État a dû en priorité faire sa part du travail et veiller à ce que les retards de paiement des aides à l’agriculture des années précédentes soient définitivement soldées.

Il en est de même pour le développement du secteur bio en France. Rien ne nous détournera des objectifs inscrits dans la loi. L’objectif de 50 % de produits bio, de qualité ou durables dans la restauration collective à l’horizon 2022 reste d’actualité. Le menu végétarien soulève aussi parfois des critiques, certains s’y opposent fermement. Il ne s’agit pas de promouvoir un régime alimentaire particulier, mais de diversifier les menus de nos enfants au moment où la France s’apprête à lancer un plan protéine, garant de plus d’autonomie. Il doit au contraire nous mobiliser et nous aider à promouvoir les produits français et à favoriser les circuits courts.

L’enjeu du secteur bio est bien de préserver la qualité sanitaire de notre alimentation tout en veillant à la protection de notre environnement. Nous progressons dans cette voie, trop vite pour certains, pas assez pour d’autres. Rappelons cependant qu’en 6 mois seulement, au premier trimestre de 2019, 19 772 exploitations se sont engagées dans la certification environnementale, soit une augmentation de 46 %. 41 600 exploitations sont également passées à l’agriculture biologique, ce qui représente une augmentation de 13 %, entre 2017 et 2018. S’il est de notre devoir de poursuivre et d’amplifier les mesures d’accompagnement des professionnels dans ce mouvement de fond qui touche toute la société, qu’on nous épargne à ce stade la critique de la répartition des moyens alors que les arbitrages européens sont encore à négocier.

La transition économique est liée à la précédente : c’est en effet par la montée en gamme que notre modèle agricole pourra s’illustrer dans la concurrence internationale. Mais la perspective de revenus décents sera le meilleur moteur du changement en matière de pratiques culturales. Là encore, comme pour la transition agroécologique, la responsabilité est collective.

Agriculteurs, coopératives, industries agro-alimentaires, distribution, consommateurs : chacun doit faire un pas. Depuis l’ouverture des négociations 2020, nous réunissons chaque mois le comité de suivi des relations commerciales : il faut que cette année soit celle de la hausse du revenu des agriculteurs. Désormais tous les textes d’application de la loi ont été promulgués, ce qui la rend opérationnelle, mais c’est aussi l’esprit de responsabilité qui fera la différence. Car on ne peut continuer le grand écart entre ce que coûte la nourriture et ce qu’elle vaut. En incitant également les consommateurs à acheter français, nous pourrons continuer à faire vivre nos territoires.

Il nous faut enfin sécuriser les revenus de ceux qui produisent. Les aléas climatiques, les crises de marchés nous incitent à travailler à l’élaboration d’un système assurantiel universel, susceptible de protéger les ressources et de garantir une continuité d’activité. Enfin, nous n’avons pas de raison de douter de notre capacité à affronter les marchés et la concurrence. Je pense à l’accord du CETA dont l’excédent pour l’agriculture française est incontestable y compris pour la viande bovine.

Cette réflexion nous ramène à la transition sociale que nous ne pouvons occulter particulièrement dans le secteur du vivant : Pour continuer à installer et à recruter, il nous faut améliorer les conditions sociales des professionnels. C’est non seulement une question d’équité mais aussi de durabilité. Être agriculteur, pêcheur, forestier doit offrir la perspective d’une vie agréable au-delà d’un métier passionnant. Le projet de réforme des retraites est à ce titre porteur d’avancées importantes pour tous les exploitants agricoles. Et même s’il reste encore beaucoup à faire pour les retraités actuels, 40 % des exploitants agricoles verront leur pension augmenter par rapport au système actuel, tout en payant moins de cotisations retraites.

Enfin, la transition sanitaire, certainement une des plus importantes, dépend de toutes celles précédemment énoncées. Dans un monde à risques, les mesures d’anticipation et les outils de prévention s’imposent. Peste porcine africaine, influenza aviaire, maladies du végétal, prévention des incendies de forêts, ou plus récemment, le coronavirus tous ces exemples nous montrent que les conséquences de ces différentes crises peuvent avoir un impact sur la santé humaine et sur tout l’écosystème. Sans compter l’impact financier sur les entreprises, voire humain quand des vies sont en jeu. Raison de plus pour aborder ces événements dans leur globalité et de manière transversale dans un souci d’efficacité et de rapidité.

La baisse de l’utilisation de produits phytosanitaires en est une illustration. Elle nous incite à revoir nos méthodes, à adapter nos pratiques, voire à changer nos modes de vie. Les contrats de solutions se multiplient, stimulés par les chambres d’agriculture. Mais nous ne pourrons pas sauvegarder la biodiversité, les pollinisateurs et notamment les abeilles sans préserver la flore qui les abrite. Le changement climatique n’est pas sans lien avec la propagation de certaines maladies animales ou végétales et ont parfois un impact sur notre santé. A défaut de prétendre avoir réponse à tout, deux principes guident mon action : s’appuyer sur les données et les analyses fournies par la science et informer les citoyens en toute transparence. Je souhaite que ces principes inspirent aussi la représentation nationale, les acteurs de la société civile et tous les citoyens qui prétendent agir dans l’intérêt général.

L’avenir de notre agriculture passe par la qualité et la montée en gamme et par un niveau encore supérieur d’ingénierie de la production, avec moins de pesticides, une optimisation de la gestion de l’eau et une attention redoublée au bien-être animal. J’examinerai d’ailleurs à ce sujet au mois de juin le rapport de la mission confiée à Loïc Dombreval notamment sur les animaux de compagnie.

Pour parvenir à la réalisation de tous ces objectifs, l’avenir ne se fera pas sans les jeunes de plus en plus intéressés par l’agriculture. Pour satisfaire leur curiosité et concrétiser leurs envies, j’ai lancé un site internet pour mieux les orienter et mieux les informer sur ces nouveaux métiers qui les attirent. Et je souhaite que dans un même élan, nous puissions leur offrir les meilleurs atouts de l’aventure du vivant, la plus belle aventure que nous pourrons léguer à nos enfants en héritage. 

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