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Une main tendue par le Sénat au Gouvernement pour corriger les effets pervers de la loi Egalim

Par Michel Raison, Sénateur de la Haute-Saône*

Lors de l’examen du projet de loi Egalim, le Sénat avait pris une position claire : malgré son scepticisme sur l’efficacité de la loi, il ferait tout pour que cette loi permette, au mieux, d’améliorer le revenu des agriculteurs.

C’est dans cette perspective que le Sénat avait proposé la création d’un groupe de suivi des effets de la loi, pour pouvoir accompagner son déploiement.

Fin octobre, les conclusions du groupe sénatorial (1) qui dressait un premier bilan du titre Ier de la loi étaient sans appel : les premières tendances sont très inquiétantes. Le ruissellement attendu est inexistant et les agriculteurs n’en ont pas vu la couleur !

Comment la situation aurait-elle pu être différente alors que le texte ne traitait que la question des relations contractuelles entre l’agriculteur et ses acheteurs, et entre les acheteurs et ses distributeurs, ce qui représente moins d’un cinquième des recettes de l’agriculteur ? A cela s’est ajoutée l’agilité de la grande distribution à adapter son modèle à la loi en déplaçant la guerre des prix sur les produits de marques de distributeur et sur les produits des rayons non alimentaires.

Tout reposait sur un mot : la confiance entre les acteurs, ou en d’autres termes, la « morale ». Or ce n’est pas une loi qui est de nature à la rétablir dans le domaine commercial !

Notre rapport révélait aussi des effets néfastes de la loi concernant en particulier la difficile renégociation des prix pour des filières produisant des denrées dont le prix est fortement impacté par les matières premières. Nous remarquions également que d’autres filières (en particulier celles des produits saisonniers) souffraient de la rigidité de l’encadrement des promotions en volume.

Compte tenu de ces problèmes, avec mes collèges Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier, nous avons déposé (2) une proposition de loi pour prendre 3 mesures d’urgence, pragmatiques, corrigeant ces effets néfastes, et ce en dehors de toute idéologie. Pour preuve, elle a été cosignée par plus de 130 Sénateurs de toutes les tendances politiques et a été adoptée à l’unanimité (3) début janvier par la Chambre Haute. Notre ambition est claire : limiter les effets de bord de la loi et favoriser son succès.

Tout d’abord, partant du constat que la loi Egalim ne réduisait en rien l’exposition des industriels de l’agroalimentaire à la volatilité des prix des matières premières sur les marchés mondiaux, notre première mesure vise à expérimenter une clause automatique de révision des prix et ce, uniquement sur les produits les plus exposés (la charcuterie ou les pâtes alimentaires par exemple). Les industriels sont en effet, le plus souvent, pris en étau entre une hausse des prix des denrées agricoles payés aux agriculteurs qui suit les cours et un prix de vente au distributeur fixe et difficilement renégociable. Les renégociations ayant eu lieu cette année malgré la flambée des cours du porc l’ont démontré. C’est la compétitivité de nos entreprises qui est en jeu, parfois même leur pérennité.

Un autre problème posé par la loi est lié à la rigidité de l’encadrement des promotions en volume pour les produits saisonniers et festifs. Les exemples sont nombreux.

C’est notamment le cas d’une entreprise produisant des produits apéritifs qui n’est référencée que durant la haute saison et réalise donc presque l’intégralité de ses ventes sous promotions. L’encadrement le lui interdisant désormais, elle a perdu 12 % de son chiffre d’affaires cette année. Les producteurs de lapin souffrent eux aussi du déréférencement de leurs produits dans les catalogues dans les périodes de creux des ventes afin de respecter les plafonds de promotions fixés dans la loi. Comment un éleveur peut-il faire face à un trou de commandes dans l’année, lui qui a des cycles de production non compressibles de 6 semaines ?

Pour les produits au caractère saisonnier marqué, reposant sur des achats d’impulsion, la pro-motion fait partie du modèle de ventes de ces entreprises. Leur supprimer ce moyen d’exister revient à les condamner.

C’est pourquoi notre seconde mesure propose de sortir de l’encadrement des promotions en volume (et non en valeur) les produits au caractère saisonnier marqué.

Ces deux propositions ont le grand mérite d’être pragmatiques en répondant à l’urgence de la situation de nombreuses entreprises de nos territoires et de faire l’objet d’un large consensus transpartisan au Sénat.

En dépit de cette unanimité et pour des considérations purement politiciennes, le Gouvernement s’est opposé au texte, préférant semble-t-il attendre la suppression d’emplois et l’aggravation des effets pervers de sa loi.

Il ne tient pourtant désormais qu’à lui, en responsabilité, d’inscrire au plus vite cette proposition de loi à l’agenda de l’Assemblée Nationale, pour améliorer la situation des agriculteurs en réduisant les effets de bord supportés par les transformateurs. 

* Rapporteur de la proposition de loi modifiant la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous afin de préserver l’activité des entreprises alimentaires françaises

1. Lien vers le rapport : http://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-089-notice.html

2. Lien vers la proposition de loi : http://www.senat.fr/leg/ppl19-138.html

3. Le groupe LREM s’est abstenu.

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