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Livre - Gouvernez ! - Pour un nouvel exercice du pouvoir

Comment faire en sorte que l’élection présidentielle de 2017 ne soit pas encore la répétition des précédentes déconvenues accumulées de 1995 à 2012 ? Car c’est malheureusement le scénario qui se prépare – en pire –C’est la question posée par François Cornut- Gentille. Dans ce premier essai, sans prendre de gants, le député dénonce la mise à mort de la politique et de l’Etat par des élus otages d’intérêts particuliers. De cette analyse non partisane émerge une méthode pour rebâtir une action publique efficace, le nouvel exercice du pouvoir, et un impératif à destination des élus qui tient en un mot : gouvernez !

* François Cornut-Gentille est député de la Haute-Marne et maire de Saint-Dizier. Membre de la Commission des Finances, il est aussi spécialiste des questions de défense et participe activement aux travaux sur la réforme de l’Etat.

 

* François Cornut-Gentille est député de la Haute-Marne et maire de Saint-Dizier. Membre de la Commission des Finances, il est aussi spécialiste des questions de défense et participe activement aux travaux sur la réforme de l’Etat.

EXTRAITS

“L’éternel retour des réformes toujours à faire
[…] La principale caractéristique de nos réformes est qu’elles reviennent immanquablement, car, n’étant jamais achevées, elles sont toujours à reprendre. Les régimes de retraite constituent certainement le plus bel exemple de cet éternel retour. Depuis le Livre blanc de 1991 qui met en évidence les difficultés à venir des systèmes de retraite par répartition, les réformes n’ont pas cessé : réforme Balladur (1993), création du fonds de réserve pour les retraites (1999), réforme Fillon (2003), réforme des régimes spéciaux (2008), réforme Woerth (2010). Enfin, loi du 20 janvier 2014 garantissant « l’avenir et la justice du système de retraite ». Il est acquis que l’on n’en restera pas là. De même, on réforme la Sécurité sociale tous les trois ou quatre ans. Après la suspension du service militaire, un processus de réforme est régulièrement relancé pour notre défense nationale et chaque gouvernement se fait un devoir de remettre sur de bonnes bases la réforme de l’État sans omettre la séduisante simplification administrative. […]

Pourquoi toutes ces réformes reviennentelles ? En réalité, nous appelons « réformes » des adaptations à la marge et des rationalisations administratives parfois importantes mais qui conservent la marque des structures du passé. Nos « réformes » sont plus exactement a minima des refontes d’organigrammes et, au mieux, des réorganisations administratives. À aucun moment les problèmes à résoudre ne sont pris dans leur ensemble. C’est très bien de rassembler l’ANPE et les ASSEDIC pour créer Pôle Emploi ; mais la fusion de deux anciens organismes correspond- elle vraiment aux besoins des chômeurs d’aujourd’hui ? Compte tenu des caractéristiques de ces chômeurs, l’outil ne devait-il pas être complètement repensé ? Ce travail n’ayant pas été fait, d’autres « réformes » sont inéluctables. […]

Le bonheur est dans la loi ?
Comme les choses n’avancent pas, on tourne en rond ; c’est le principe même du bocal. L’Assemblée nationale est désormais au coeur d’un dispositif proliférant et hors de contrôle de production législative qui énerve et paralyse le pays. Notre acharnement à la tâche en ce domaine est tout à fait spectaculaire ; et nous agissons comme si notre bonheur individuel et collectif en dépendait. Les Français seraient sans doute surpris et perplexes d’apprendre que le Parlement n’a jamais autant travaillé au cours des dernières années. Si le nombre de lois est globalement stable, les textes sont en revanche beaucoup plus longs et complexes. […] Curieusement, la conscience immédiate des effets pervers de cet emballement n’a nullement freiné la machine et, chacune à son tour, après avoir critiqué les excès de ses prédécesseurs, les nouvelles majorités alimentent la chaudière. En effet, dès le début de cette dérive, les hautes autorités politiques et administratives de l’État en ont parfaitement perçu et dénoncé les risques. Car nos lois ne sont pas seulement lourdes et indigestes, elles sont surtout d’une qualité de plus en plus médiocre. […]

Tout va (presque) bien
Ainsi, la suractivité législative et normative est assurément une des causes majeures de l’impuissance publique. Elle perdure par facilité et aussi par calcul ; car toutes ces lois mal ficelées sont censées satisfaire des attentes et permettent de présenter un bilan. Tels sont les faibles arguments avec lesquels l’exécutif tente de s’opposer au scepticisme qui gagne toutes les couches de la population. […]

Je clive donc je suis (le discours sur les valeurs)
C’est à travers l’expérience de la perte de popularité que les présidents de la République expérimentent le sentiment que cela ne fonctionne pas, que le sol se dérobe. En effet, la popularité ne mesure pas seulement la sympathie éprouvée à l’égard des dirigeants mais aussi la compréhension, l’adhésion à l’action entreprise. Dans cette situation à laquelle chaque nouvel élu se trouve rapidement confronté, la réaction est immanquablement la même : réactiver un débat sur les valeurs. […] Il est beaucoup plus simple de susciter un débat clivant qui ne débouche que rarement sur des actions concrètes mais permet au Président de se remettre en situation d’incarner un camp. Le chef n’est plus celui qui conduit une politique, mais celui qui est à la tête d’un clan, justement parce qu’il exprime les idées dudit clan. […]

Selon les circonstances et l’habileté à la conduire, la manoeuvre leurre plus ou moins bien. Elle aboutit en fait à instrumentaliser des sujets parfois importants à des fins très étroitement partisanes. Ainsi en est-il avec le débat sur l’identité nationale voulu par la majorité de l’époque durant l’hiver 2009-2010 alors que le gouvernement se trouve en difficulté. […] Devant l’absence de résultats probants sur le plan économique et social, François Hollande conduit, avec plus d’adresse et d’impact, une opération comparable. C’est délibérément qu’il choisit d’avancer de façon clivante sur le mariage pour tous, alors qu’une autre approche plus pragmatique, moins idéologique, était également possible. Le mariage homosexuel devient un marqueur de gauche. Le Président peut durant quelques semaines se retrouver dans la peau d’un chef mais à un prix peut-être discutable : radicalisation d’une masse importante des opposants, et retour dans certains milieux d’une stigmatisation des homosexuels qui tendait à disparaître…

Ainsi le débat sur les valeurs consiste le plus souvent en une astuce politique visant à relégitimer un leader à la recherche d’un nouveau souffle. Artifice qui d’ailleurs n’a qu’un temps.

Il faut moderniser la politique […] Pourquoi tant d’enthousiasme pour la modernisation politique et si peu de réflexion ? Il y a consensus sur le sujet parce qu’il est séduisant. Plus exactement parce qu’il permet de séduire à bon compte. […] C’est ainsi que devant tous les auditoires, le succès est garanti à celui qui propose de moderniser la politique. L’assemblée est en effet d’emblée séduite par l’idée que les difficultés que nous rencontrons tiennent à un système politique dépassé, entretenu par une élite déphasée qui protège ses privilèges. Cela confirme l’auditeur dans l’opinion qu’il est, lui, moderne et qu’il sait ce qui ne va pas. Quant à l’orateur, il se valorise en prenant ses distances avec une classe politique qui fait figure d’épouvantail.

Car il y a un petit inconvénient. Pour que le numéro fonctionne de façon optimale, il est non pas recommandé mais absolument indispensable de noircir la politique. Plus que les propositions qui ne retiennent pas durablement l’attention, c’est même cette partie du discours qui dispose bien le public. Il est donc très important de la soigner et de ne pas craindre d’y aller trop fort. Mais les effets de manche, la rhétorique facile ne sont pas sans conséquence. Ils finissent par rendre dangereuse cette modernisation qui, pour glaner quelques applaudissements vite éteints, n’hésite pas à détruire sans construire.

Moralisons l’impur :
[…] Telle que nous la pratiquons, la moralisation, loin d’être un projet, est surtout une tactique. Pour une majorité en difficulté, cela aide à faire oublier ses propres errements en montrant sa détermination en ce domaine tout en essayant de gêner l’opposition. Ainsi François Hollande a conçu le thème de la république exemplaire comme une charge contre le mandat de Nicolas Sarkozy. Charge d’autant plus lourde qu’elle repose moins sur des faits établis que sur des sous-entendus que chacun est libre d’interpréter. Le but est d’instiller le soupçon. Le « grand » texte sur la transparence est une réponse improvisée dans la précipitation pour contrebalancer le choc de l’affaire Cahuzac. Dans les partis, à gauche comme à droite, le thème permet aux jeunes ambitieux de se mettre en lumière en montrant du doigt la génération précédente. C’est toujours la trop belle histoire de l’ombre qui cède la place à la lumière, le mal au bien, le temps des magouilles à celui de l’honnêteté et de la vertu. Par manque de place, on ne citera aucun nom…

En quelques années, sous l’effet de ces discours et des lois qui les ont accompagnés, on est passé, sans aucune réflexion d’ensemble, d’une protection peut-être excessive des élus à un statut de quasi mis en cause permanent. On a rétabli pour eux une sorte de loi des suspects. Ils sont d’abord soupçonnés de gagner trop d’argent. […] Le second soupçon qui tourne à l’obsession, c’est celui des conflits d’intérêt. C’est sous cet angle qu’a été abordée la question du cumul des mandats. L’élu local qui est parlementaire est soupçonné d’utiliser ce dernier mandat pour favoriser son territoire. Peut-être estce possible pour quelques grands élus locaux, mais la crainte est assurément exagérée pour la plupart des autres. […] L’autre soupçon repose sur une incompréhension totale des fonctions électives. Un homme ne peut pas avoir deux métiers, il est donc impossible que le « cumulard » accomplisse bien ses deux mandats. […]

Le nouvel exercice du pouvoir est d’abord parlementaire
Le culte de la proximité nous a fait oublier une réalité. Il n’y a pas de pouvoir sans recul. La distance, le recul n’expriment aucune supériorité mais le simple fait que cet écart donne une chance de comprendre, d’appréhender une situation dans sa globalité. […]

Si l’on écarte d’emblée un pouvoir technocratique dépourvu de légitimité, il n’existe en réalité qu’une solution. Le Parlement, parce qu’il est légitime mais pas directement en charge des affaires, est en effet seul en position d’agir pour peu qu’il parvienne à se dégager de la routine habituelle. La routine, c’est d’abord l’activité législative qui doit être considérablement réduite car, loin de conforter l’intérêt général, elle consolide jour après jour le droit des marques. La routine, c’est aussi le jeu stérile entre majorité et opposition tel que nous le pratiquons sur les grands débats et le budget. L’activité de contrôle, insuffisamment utilisée par les parlementaires et encore peu connue du grand public, est pourtant la seule fonction à partir de laquelle l’intérêt général peut être réintroduit dans le champ politique.

 

Gouvernez ! - Pour un nouvel exercice du pouvoir – François Cornut-Gentille 186 pages

© Avec l’aimable autorisation des éditions Alma Editeur

 

 

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