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La “rente immobilière” : mythe et réalités

Par Albéric de Montgolfier, Sénateur d’Eure-et-Loir, Rapporteur général du Budget

“Je transformerai l’ISF en impôt sur la rente immobilière. J’exonérerai tout ce qui finance l’économie réelle”. Cette annonce de campagne du candidat Emmanuel Macron, qui a désormais trouvé sa traduction dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2018, laisse entendre que l’immobilier constituerait une classe d’actifs improductifs, permettant à ses détenteurs de bénéficier d’une « rente », à l’inverse des valeurs mobilières qui contribueraient à la croissance de l’économie « réelle » et devraient voir leur taxation allégée pour ce motif.

Ainsi, comme le soulignait l’économiste François Meunier dans un article paru en 2017, le recentrage de l’impôt sur la fortune (ISF) sur les seuls actifs immobiliers pourrait paraître opportun en raison de la rente dont bénéficierait tout propriétaire, dans la mesure où celui-ci « s’enrichit non de l’amélioration intrinsèque du logement, c’est-à-dire de son investissement et de son risque, mais de facteurs fortuits, d’une manne qui échappe à son effort, par exemple d’une hausse de la demande de logement ou d’un investissement urbain financé par la collectivité ».

Plus largement, les dysfonctionnements du marché immobilier et leurs effets, tant sur la croissance que sur la dynamique des inégalités de revenus et de patrimoine, font l’objet d’une attention soutenue dans le débat public depuis plusieurs années. La sensibilité du sujet se comprend aisément au regard de la place qu’occupe l’immobilier tant dans les aspirations de nombreux ménages français que dans leurs finances. Le logement constitue ainsi le poste de dépense le plus important des ménages français et les biens immobiliers forment la majeure partie de leur patrimoine. D’après l’Insee, plus de 60 % du patrimoine net des ménages, d’une valeur totale de 10 221 milliards d’euros, est constitué d’actifs non financiers qui correspondent essentiellement (pour 93 %) à des actifs immobiliers et, de façon symétrique, 63 % des ménages métropolitains possédaient un patrimoine immobilier début 2015 – ce qui fait de l’immobilier le deuxième type d’actifs le plus répandu dans le patrimoine des Français après les livrets d’épargne.

Outre son poids total, le rôle de l’immobilier dans la progression du patrimoine des ménages doit aussi être souligné : la hausse des prix de l’immobilier sur la décennie 1998-2007, bien qu’elle se soit interrompue en 2008 sous l’effet de la crise financière, a conduit à faire passer la valeur des actifs non financiers détenus en moyenne par un ménage français de 2,9 années de revenu disponible net en 1998 à 5,4 années en 2014. Au surplus, le risque d’un effet inflationniste de la dépense publique en matière de logement, en France et à l’étranger, a été souligné par de nombreux travaux économétriques, de même que les problèmes posés par la multiplication de dispositifs fiscaux dont la cohérence d’ensemble peut prêter à interrogation.

Si le thème n’a donc rien de neuf, le discours gouvernemental sur la « rente immobilière » ne s’est cependant pas accompagné, à ce jour, de travaux documentés et précis permettant d’apprécier l’ampleur de la « rente » dont bénéficieraient les propriétaires immobiliers, ni même d’en établir l’existence.

Au Sénat, j’ai présenté les conclusions de mon rapport d’information sur ce sujet devant la commission des finances le mercredi 8 novembre. J’y ai examiné cette notion de « rente immobilière », du point de vue de la rentabilité des investissements en logement, de l’évolution des prix du marché immobilier et de la fiscalité qui leur est applicable, en présentant des exemples types, mettant en avant des résultats qui permettent de démonter un certain nombre d’idées reçues.

Il ressort en effet de ces travaux qu’il n’existe actuellement aucun motif économique ou fiscal justifiant de vouloir pénaliser l’immobilier dans son ensemble. Sur longue période, l’investissement en logement présente un niveau de rentabilité cohérent avec le risque pris et inférieur aux actions, en contradiction avec la thèse de la « rente immobilière ». Au cours de la période récente, la rentabilité du logement locatif a fortement baissé et est désormais significativement inférieure à sa moyenne historique.

S’interroger sur le caractère « productif » de l’immobilier apparaît à bien des égards paradoxal, compte tenu de l’importance de ce secteur dans l’activité économique et l’emploi. Si l’inflation immobilière peut constituer un motif légitime d’inquiétude lorsqu’elle s’accompagne d’une déformation de la structure de l’économie au profit de la construction ou exerce un effet d’éviction sur le financement des entreprises, tel n’est pas le cas en France.

Contrairement aux idées reçues, la fiscalité française n’introduit pas de distorsion en faveur de l’immobilier. Les simulations effectuées permettent de constater qu’un différentiel de taxation important existe d’ores et déjà en faveur des valeurs mobilières dans presque tous les cas étudiés. Loin de constituer un « rééquilibrage », les réformes prévues par le Gouvernement (« flat tax » et impôt sur la fortune immobilière) auront pour effet de renforcer ce biais.

Si les effets de la hausse des prix de l’immobilier sur les inégalités constituent en revanche un motif légitime d’inquiétude, ces derniers doivent être ramenés à leur juste proportion. En effet, les caractéristiques du marché immobilier français (importance des propriétaires occupants, absence de développement du crédit hypothécaire « rechargeable », etc.) limitent l’impact de la hausse des prix sur les inégalités de revenus et de consommation. S’agissant des inégalités de patrimoine, l’inflation immobilière a paradoxalement permis de contenir la concentration des richesses, compte tenu du poids du logement dans le patrimoine de la « classe moyenne ».

Au total, les « faux-débats » sur l’existence d’une « rente immobilière » générale contribuent à masquer les problèmes ciblés qui demeurent. À cet égard, le rapport d’information formule différentes préconisations visant à :

• remédier au phénomène de rente foncière, en particulier pour les terrains nus devenus constructibles et les biens conservés par leurs propriétaires sans être occupés ;

• garantir une concurrence équitable dans le domaine de la location meublée avec les plateformes en ligne de type Airbnb, qui constituent pour les multipropriétaires échappant à leurs obligations fiscales et sociales une forme de rente illégale ;

• trouver un meilleur équilibre entre mobilisation du parc ancien et construction neuve, en recentrant certains avantages fiscaux dans le neuf, qui représentent pour certains intermédiaires une « rente fiscale » ;

• réduire l’inégalité d’accès à la propriété qui pèse de façon croissante sur les jeunes générations et les ménages modestes.

Ces travaux sont le préalable à l’examen du projet de loi de finances pour 2018 et notamment des dispositions relatives à la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI).