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Le Parlement luxembourgeois relance la polémique sur l'appropriation de l'espace

Par Philippe Achilleas, Professeur de droit public, Directeur de l'IDEST, du Master DAST et de la Chaire internationale du droit de l'espace et des télécommunications, Université Paris Sud

Le Parlement luxembourgeois a adopté, le 13 juillet 2017, par 55 voix pour et 2 contre, la loi sur l'exploration et l'utilisation des ressources de l'espace laquelle autorise l'exploitation minière des corps célestes. Le Grand-Duché, qui entend se positionner en tant que pôle européen de l'exploitation des ressources spatiales, est le second pays à se doter d'une telle législation après les Etats-Unis, qui ont voté en 2015 le Space Resource Exploration and Utilization Act.

En établissant un cadre réglementaire spécifique, le Grand-Duché entend donner aux opérateurs privés des assurances quant à leurs droits sur les ressources qu'ils extraient dans l'espace. Pourtant, la loi soulève la question de la licéité internationale d'une telle activité.

L'article 1er de la loi précise : « Les ressources de l'espace sont susceptibles d'appropriation en conformité avec le droit international ». Or, la possibilité d'une exploitation commerciale des ressources des corps célestes semble justement contraire au droit international. Deux textes nous intéressent ici particulièrement : le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes de 1967 (ci-après : Traité de l'espace) et l'Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes de 1979 (ci-après : Accord sur la Lune).

Le Traité de l'espace, ratifié par le Luxembourg, pose, dans son article II, le principe de non-appropriation de l'espace et des corps célestes par tout moyen. L'Accord sur la Lune, qui s'applique également aux autres corps célestes de notre système solaire, précise, dans son article 11, que la Lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de l'humanité. En conséquence, les Etats ne peuvent exploiter les ressources des corps célestes en dehors du régime international prévu par l'Accord, seulement ce régime n'a pas encore été mis en place. La majorité des Etats, dont le Luxembourg, étant hostiles au principe de patrimoine commun de l'humanité, l'Accord sur la Lune n'a été ratifié que par 17 pays. Sa portée est donc très limitée, mais le Grand-Duché reste bien soumis au Traité de l'espace. Les termes de son Article II sont non équivoques et interdisent toute forme de propriété dans l'espace.

Comment le Luxembourg peut-il alors affirmer que sa loi est conforme au droit international ? Sa position officielle rejoint celle des Etats-Unis. Elle consiste à dissocier l'appropriation du corps céleste, qui est interdite, de l'exploitation de ses ressources, qui serait licite. Deux arguments sont ici avancés : d'une part, l'Article II du Traité de l'espace ne mentionne pas les ressources naturelles, mais uniquement les corps célestes ; d'autre part l'exploitation minière est protégée par la liberté d'utilisation de l'espace proclamée à l'Article I du même texte. Reprenons ce raisonnement. D'abord, le Luxembourg, comme les Etats-Unis, procèdent à une interprétation unilatérale de l'Article II du Traité de l'espace, une démarche juridiquement et politiquement contestable. Ensuite, l'Article I du Traité, qui mentionne la liberté de l'espace, précise que l'exploration et l'utilisation de l'espace sont l'apanage de l'humanité tout entière et qu'elles doivent se faire pour le bien et dans l'intérêt de tous les pays. Comment des entreprises privées, dont la motivation est principalement financière, peuvent-elles répondre aux intérêts de l'humanité ? Il faudrait ici démontrer que l'exploitation minière des corps célestes serait un moyen de poursuivre les objectifs humanistes du Traité de l'espace ! En fait, la loi est en parfaite adéquation avec le Traité de l'espace sur un seul point. L'obligation pour toute entreprise privée d'obtenir une autorisation nationale pour entreprendre une activité dans l'espace. En établissant un mécanisme d'agrément, le texte répond ainsi aux exigences de l'Article VI du Traité de l'espace.

Face à l'incertitude de la licéité des lois luxembourgeoise et américaine, il est important de ramener le débat dans une enceinte internationale et de trouver un cadre permettant d'organiser l'exploitation des ressources naturelles des corps célestes dans l'esprit, voire la lettre du droit de l'espace. Parmi les options envisageables, nous proposons l'établissement, sous la responsabilité du Secrétaire général des Nations Unies, d'un registre des autorisations nationales précisant la location et la nature des opérations de prospection et d'exploitation. Un tel système, peu contraignant pour les États, s'il est accepté par les puissances spatiales, répondrait également aux exigences de l'Accord sur la Lune et serait de nature à réconcilier les intérêts de l'industrie spatiale autour du droit international. La France, qui a signé l'Accord sur la Lune, pourrait être à l'origine d'une telle initiative. 

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