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Les moyens de Daech passés au crible des députés

La mission d’information sur les moyens de Daech décrit dans son rapport les moyens financiers, matériels et humains de l’organisation terroriste. Elle y évoque la chute des revenus de Daech et parle de « fantasmes » lorsque l’on évoque des financements de pays étrangers. Enfin, le rapport exonère de toute responsabilité dans le financement de Daech, le cimentier français Lafarge, un temps accusé. Retour sur quelques éléments du rapport.

Avec des prérogatives d’une commission d’enquête, la mission d’information créée en décembre 2015 dont le président est Jean-Frédéric Poisson  – LR, Yvelines) et le rapporteur Kader Arif (SRC, Haute-Garonne) a remis son rapport fin juillet au président de l’Assemblée, après six mois de travaux, plus d’une soixantaine d’auditions et plusieurs déplacements à l’étranger. Dans ce document, la mission fait un état des lieux précis des moyens financiers, humains et matériels de Daech (1).

Fort de sa mainmise sur un vaste territoire (environ 70 000 km2), Daech peut alors exercer son autorité sur une population tétanisée mais peut surtout s’appuyer sur des moyens matériels et financiers « considérables » qui lui permettent d’être auto-suffisant sur le plan financier. Cela lui permet aussi d’attirer ders combattants du monde entier. Mais sous les coups de boutoirs de la coalition internationale, Daech voit son territoire se réduire. Une bonne nouvelle, même si « la réduction de ces moyens ne permettra pas, à elle seule, de venir à bout de Daech, mais elle réduira très largement l’attractivité de l’organisation et sa capacité à conduire des opérations terroristes » reconnaît la mission.

Des ressources clairement en baisse

Aujourd’hui et même s’il faut être prudent avec les estimations chiffrées difficilement vérifiables et qui font parfois l’objet d’une utilisation politique, le budget annuel de l’organisation « est clairement en baisse ».Fin 2015, la valeur théorique des actifs sous son contrôle (réserves de pétrole, réserves gazières, minerais, actifs monétaires) a toutefois pu être estimée à plus de 2 000 milliards de dollars. Daech peut en effet compter sur « des ressources diversifiées, multiples et flexibles » comme le pétrole (entre 250 et 600 millions de dollars en 2015, soit quatre fois moins qu’en 2014), le gaz (350 millions de dollars), les ressources agricoles (200 millions environ), la production de phosphate et de ciment (350 millions de dollars). « En 2015, les ressources naturelles auraient généré 60 % des revenus de Daech (80 % en 2014) » indique Kader Arif. Cette diminution trouve son explication dans la baisse des cours du pétrole mais aussi de la difficulté de remettre à neuf des installations vieillissantes comme de trouver des personnels qualifiés pour les faire fonctionner. Sans oublier que « les frappes aériennes de la coalition et celles des Russes, en désorganisant l’acheminement du pétrole et sa vente ont également réduit les revenus que Daech tire du pétrole » estime le rapport.

L’ampleur des financements étrangers de Daech, source de fantasmes

Une situation qui a contraint l’organisation terroriste à revoir son mode de financement en s’appuyant un peu plus sur toutes sortes de trafics et de ressources criminelles. Comme le trafic d’œuvres d’art et d’antiquités - les estimations, écrit le rapport, vont de quelques millions à quelque 150 millions de dollars -, ou le trafic d’êtres humains même s’il ne représente que des revenus mineurs pour l’organisation. Enfin, « aucun élément ne corrobore les accusations relatives au trafic de drogue souligne le rapport, et en tout état de cause, il ne peut s’agir d’une source régulière et significative de revenus ».

Au-delà de ces revenus, Daech qui prétend exercer les prérogatives d’un Etat sur son territoire a mis en place « un proto-système fiscal qui correspond en réalité à un ensemble d’extorsions » décrit encore Kader Arif.

Après la mise en garde lancée fin 2015 par Jana Hybascova, ambassadrice de l’Union européenne en Irak qui s’était inquiétée du possible achat par des pays européens de pétrole vendu par Daech, la mission a voulu creuser la question tout en s’interrogeant aussi sur le possible financement de l’organisation par des Etats. « L’ampleur des financements étrangers de Daech est source de fantasmes alors qu’ils ne représentent qu’une infime part des ressources de l’organisation, estimée à environ 5 millions de dollars par an » assure le rapporteur avant d’admettre qu’il convient toutefois de « rester vigilants ».

Lafarge blanchit

Quant aux accusations du Journal Le Monde qui reprenaient celles du site syrien Zaman al-Wasl, mettant en cause le cimentier français Lafarge qui se serait arrangé avec Daech pour pouvoir continuer à produire et exporter entre le printemps 2013 et la fin de l’été 2014, la mission les juge infondées. « Rien ne permet d’établir que le groupe, ou ses entités locales, ont participé, directement ou indirectement, ni même de façon passive, au financement de Daech ». Le rapport va même plus loin dans ses explications : « Compte tenu du caractère extrêmement mouvant de la situation dans la zone, le fait d’essayer de préserver le site malgré les risques a pu apparaître ambigu et générer des soupçons. Des comportements individuels les ont aussi alimentés. Les personnels concernés ont été sanctionnés immédiatement : le groupe a procédé à leur licenciement, témoignant sa volonté de n’entretenir en rien une quelconque proximité avec Daech ».

Le rapport a aussi enquêté sur les moyens humains et les combattants de Daech qui auraient été jusqu’à 35 000. Aujourd’hui, ce nombre, estime-t-il, aurait chuté à 12 000 environ. Nos services de renseignement ont recensé 600 Français sur place dont environ 200 femmes. Mais pour Kader Arif, « le retour des combattants et de leurs familles dans leur pays d’origine  – la France mais aussi les pays du Maghreb comme la Tunisie  – doit être anticipé. Il est essentiel de se préoccuper de l’avenir des enfants ayant subi un endoctrinement et un entraînement militaire en Syrie »

 

Rapport d’information n°3964 sur les moyens de Daech.

 

1. La mission dans son rapport se refusera toujours de parler de Daech comme de l’Etat islamique, mais plutôt comme d’une « organisation terroriste violente et totalitaire ».

 

Une propagande ciblée
« Organisée, la propagande de Daech s’appuie sur sept branches médiatiques spécialisées dans la production de contenus visuels, écrits, ou audios. Professionnelle, la propagande s’appuie sur des productions sophistiquées aux mises en scène soigneusement élaborées. Elle maîtrise parfaitement les réseaux sociaux et les codes qui séduisent les adolescents.
Daech est capable d’adapter son discours sur le fond comme sur la forme au public qu’il vise : à chaque âge, à chaque sexe, à chaque aire géographique correspondent des messages différenciés. Ses publications sont traduites en 11 langues aujourd’hui.
Les fournisseurs d’accès Internet, d’applications en ligne et de réseaux sociaux ne semblent pas avoir pris la mesure de cette menace et doivent se doter d’outils et d’équipes performantes pour lutter contre la prolifération des discours extrémistes, Ils ne sauraient se limiter, comme aujourd’hui, à une attitude passive qui consiste à simplement retirer les contenus signalés par les internautes ou les autorités. Plus fondamentalement, le fonctionnement même de plusieurs médias sociaux et outils de recherche en ligne, qui enferment l’internaute dans une sphère d’autoréférence, en lui proposant des contenus similaires à ce qu’il a déjà vu ou cherché, soulève d’importantes questions »
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Extrait de la synthèse du rapport.
© Assemblée nationale

 

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