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Baisse du pétrole : quel impact sur l’économie française ?

La Commission des Affaires économiques de l’Assemblée a organisé une table-ronde sur l’évolution du prix du pétrole et ses conséquences économiques. Compte-rendu.

 

Sans surprise, tous les intervenants se sont accordés sur l’idée que l’évolution du prix du pétrole est « très importante » pour l’industrie, non seulement en France mais dans le monde. La vraie question est de savoir maintenant quel est son impact réel et si cela va durer. Depuis le milieu de l’année 2014, le prix du baril de brent, pétrole brut de référence en Europe, est passé de 115 à près de 54 dollars, soit une chute de 53 %. Une baisse atténuée en Europe par la baisse de l‘euro, qui a perdu environ 15 % de sa valeur sur la même période. « Le prix du baril de brent est ainsi passé de 84 à environ 48 euros, soit une diminution ramenée à 43 % » explique Francis Duseux, le président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP). En France, le coût des importations de pétrole brut et de produits pétroliers est passé de 50 à 43,3 milliards d’euros, soit une réduction de 6,7 milliards. Le prix du gaz naturel étant indexé à 40 % en moyenne sur celui du pétrole, le coût des importations de gaz a lui aussi diminué, de l’ordre de 3 à 4 milliards d’euros en année pleine décrit il. Si l’on se base sur une hypothèse d’un maintien du cours moyen du baril de brent à 55 dollars en 2015, la facture pétrolière française baisserait alors de 12 milliards d’euros supplémentaires, soit au total une économie de 19 milliards pour les années 2014 et 2015. Ajoutons à cela la diminution de la facture gazière de 3 à 4 milliards, l’économie globale pour la France serait alors de 22 à 25 milliards, soit près de 1% du PIB. « Ces économies auront nécessairement un impact sur l’économie française, même si nous ne savons pas encore ce qu’en feront les acteurs économiques » souligne Francis Duseux.

Un impact « bien évidemment positif » pour les entreprises

Pour les entreprises, l’impact de la baisse du prix du pétrole est « bien évidemment positif » avec des coûts moindres, « ce qui est de nature à améliorer la compétitivité des entreprises ». En 2014, les entreprises ont réalisé une économie de 2 milliards d’euros sur les achats de produits pétroliers auxquels s’ajoutent 210 millions sur les achats de gaz naturel. En 2015 sur la base d’un baril à 55 dollars, l’économie pourrait s’élever à 10 milliards au total, ce qui est considérable » fait remarquer Francis Duseux. 60% de ces économies seront faites sur les dépenses de « gazole routier ». Avec une consommation énergétique qui s’élève à près de 10 millions de tonnes équivalent pétrole, et une facture énergétique qui s’établit autour de 2 milliards d’euros par, le secteur agricole va également profiter de la chute du prix du pétrole.

Et pour les ménages, quel impact ? La baisse du prix du pétrole induit une diminution du coût des carburants et du fioul domestique. On estime qu’entre début 2014 et début 2015, avec une baisse de 20 centimes pour le litre de gazole et de 16 centimes pour le litre d’essence, les ménages français ont économisé près de 1 milliard d’euros sur leur consommation de carburant en 2014. Quant au fioul domestique, la baisse du prix du pétrole a permis aux ménages français une économie de près de 300 millions d’euros en 2014. « Indéniablement, la baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour la compétitivité des entreprises françaises et pour le pouvoir d’achat des ménages. Cela étant, nous devons être très prudents pour l’avenir, car le secteur pétrolier est caractérisé par une grande volatilité des prix, et un retournement brutal de la situation actuelle est tout à fait plausible » tient tout de même à relativiser Francis Duseux.

Une évolution « très violente » pour l’industrie pétrolière

Le patron de l’industrie pétrolière met également en garde contre cette baisse des prix dont l’évolution est « très violente » pour l’industrie pétrolière. Il a notamment constaté une baisse des investissements d’exploration de 10 à 20% des grandes compagnies pétrolières. Même si cela n’est pas très significatif mais que la

situation persistait, le nombre de nouveaux gisements baisserait alors que la demande mondiale de pétrole continuerait à augmenter. Pourtant, cette baisse des investissements à des répercussions immédiates sur les entreprises françaises du secteur parapétrolier telles que Technip, Vallourec et CGC. En France même, la baisse du prix du pétrole a des répercussions sur l’exploration sur notre propre sol. – La France produit 160 000 tonnes de pétrole par an, qui couvrent environ 1% de notre consommation. Les investissements des entreprises prêtes à explorer et/ou produire en France sont ici aussi en baisse.

Enfin, au plan international, il faut souligner que si la situation perdurait, il pourrait y avoir des répercussions politiques et sociales « dramatiques » dans plusieurs pays de l’OPEP. Pas en Arabie saoudite dont les réserves de change s’élèvent à 650 milliards de dollars ce qui lui permet de vivre cinq à six ans avec un déficit budgétaire mais pas le Venezuela qui est déjà en « crise grave » commente Francis Duseux.

Un changement de dynamique très significatif

A son tour interrogé sur l’impact de la baisse du prix du pétrole sur l’économie française Philippe Waechter, le directeur de la recherche économique chez Natixis Asseet Management répond en se basant sur des données de l’Insee qui avait estimé que la baisse du prix de l’énergie et de celle de l’euro au premier semestre aurait eu un impact d’environ 0,4 point de PIB sur l’année 2015. Au regard des inflexions observées, Philippe Waechter ly voit là « un changement de dynamique très significatif qui va bénéficier aux consommateurs et aux entreprises ». La baisse du prix du pétrole va même « susciter une dynamique d’activité, de revenu et d’emploi plus robuste en Europe et en France » ajoute-il encore.

Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS reste pour sa part prudent. Si la baisse du pétrole a un effet favorable au pouvoir d’achat des ménages, « elle bénéficie autant à l’industrie des pays étrangers qu’à celle de la France. Je ne suis pas certain qu’elle se traduise par un avantage relatif pour notre industrie en termes de compétitivité » juge-t-il.

Une guerre des prix pour contrer les nouvelles sources d’hydrocarbures

« Les comportements que nous observons sur le marché aujourd’hui sont similaires à ceux que nous avons connus au moment du grand choc pétrolier du milieu des années 80 : dans les deux cas la baisse a été très profonde et l’Arabie Saoudite n’a pas souhaité jouer son rôle de régulateur du marché » note encore Philippe Waechter. La Chine et les pays émergents qui ont longtemps joué un rôle moteur dans l’augmentation de la demande mondiale de pétrole tendent à réduire la voilure indique le directeur de la recherche économique chez Natixis. Pendant ce temps, « tout le monde produit », en particulier les Etats-Unis. Question : Qui va prendre l’initiative de réduire sa production ? Ni l’Arabie Saoudite, ni les Etats-Unis n’ont envie de le faire. La Russie ne peut pas se le permettre en ce moment. Les petits pays producteurs n’y ont pas intérêt. Pour Patrick Criqui, la situation ressemble à s’y méprendre à celle de 1986 qui avait vu s’affronter, le ministre irakien du pétrole de l’époque et Margaret Thatcher : l’Arabie Saoudite avait engagé une guerre des prix pour essayer de casser la dynamique d’extraction pétrolière en mer du Nord. La situation actuelle peut se voir comme un affrontement entre Ali Al- Naïmi, ministre saoudien du pétrole et Barack Obama : l’Arabie Saoudite mène à nouveau une guerre des prix pour tenter d’enrayer le développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis » analyse le directeur au CNRS. « Le problème de l’équilibre sur le marché du pétrole est donc posé et pour l’instant tout le monde espère que cela va tenir » finit par conclure Philippe Waechter.

 

 

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