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Artillerie française : “remettre cette arme en ordre de bataille”

Avec le retour d’expérience de la guerre en Ukraine, l’artillerie est redevenue une priorité stratégique pour les armées. Le rapport parlementaire de Matthieu Bloch (UDR, Doubs) et Jean-Louis Thiériot (DR, Seine-et-Marne)* invite la France à repenser en profondeur sa puissance de feu.

Le conflit en Ukraine l’a démontré avec fracas : l’artillerie, arme de frappe à distance longtemps sous-estimée, est redevenue une pièce maîtresse des conflits contemporains. « Si 75 % des pertes des deux guerres mondiales furent causées par l’artillerie, cette « vieille » arme serait également à l’origine de près de 70 % des destructions dans la première phase du conflit à grande échelle en Ukraine rappellent les élus. Arme d’appui visant la conquête de la supériorité des feux, l’artillerie façonne l’ennemi en le harcelant et le désorganisant ». C’est dans ce contexte que les députés Matthieu Bloch (UDR, Doubs) et Jean-Louis Thiériot (DR, Seine-et-Marne) ont livré un rapport d’information sans appel sur l’état de l’artillerie française. À leurs yeux, « la France a trop longtemps négligé cette composante essentielle de sa supériorité militaire ».

« À l’aune des dividendes de la paix, le format et les capacités de l’artillerie sol-sol française ont été considérablement réduits, au risque de ruptures capacitaires majeures ». Depuis les années 1990, la réduction du format des armées et la priorité accordée aux opérations extérieures ont affaibli la capacité d’appui-feu des forces françaises. Résultat : une artillerie morcelée, peu nombreuse, aux munitions insuffisantes, dont les stocks et les moyens de production peinent à suivre l’intensité des conflits modernes.

Aujourd’hui, le parc canon de l’armée de Terre est composé d’environ 95 pièces. Il se partage entre 63 CAESAR et 32 canons AUF1 (automoteur modèle FI équipé de canon de 155 mm). Selon plusieurs sources ouvertes, l’armée de Terre aurait cédé aux Forces armées ukrainiennes 30 CAESAR sur les 75 dont elle disposait avant le début de l’invasion de l’Ukraine. « Dès la fin de l’année 2023, le recomplètement des CAESAR cédés a été entrepris. Le parc CAESAR devrait retrouver son niveau d’avant cessions à l’été 2025 » estiment les députés. Enfin, « si les CAESAR sont largement plébiscités depuis le début de la guerre en Ukraine, les canons AUF1 sont quant à eux des matériels éprouvés à la disponibilité réduite dont la réforme a été décidée en mars 2025 » précisent-ils. « La trame canon connaîtra un renouvellement intégral à partir de 2026 grâce à l’arrivée dans les forces de CAESAR nouvelle génération (CAESAR NG, dit MK II) en remplacement des AUF1 d’abord puis des MK1. Les livraisons des 32 premiers CAESAR MK II doivent avoir lieu à partir de la fin de l’année 2026. Au total et conformément à la cible prévue en loi de programmation militaire 2024-2030, l’artillerie française devrait posséder 109 CAESAR NG d’ici à 2030 » se félicitent les députés. En avril 2024, le ministre des Armées a annoncé un objectif de production à terme de douze canons CAESAR par mois. Les rapporteurs appellent de leurs voeux la tenue prochaine de cet objectif. Un objectif qui doit s’accompagner dès aujourd’hui d’une nécessaire réflexion sur le futur système d’artillerie qui remplacera le système CAESAR à horizon 2040 expliquent-ils.

Sur le segment d’artillerie longue portée, il faut ajouter les 13 LRU (lance-roquettes unitaire) dont 4 ont été cédés à l’Ukraine mais dont les châssis seront frappés d’obsolescence en 2027. Il faut encore souligner qu’un certain nombre de pièces de rechange ainsi que les roquettes utilisées par ces systèmes ne sont plus fabriquées en Europe tandis que la livraison du reliquat de pièces encore disponibles subit fréquemment des retards de plusieurs mois. Les rapporteurs insistent pour trouver dans les plus brefs délais un successeur aux LRU par l’achat sur étagère ou via le développement d’une solution souveraine « rapide et fiable » avec un objectif minimum de 26 systèmes à l’horizon 2035.

Le rapport évoque trois solutions souveraines dont l’une a semble-t-il plus particulièrement attiré l’attention des députés, celle développée par l’entreprise française Turgis Gaillard. Cette solution, dénommée Foudre, inclut le châssis, le panier de roquettes et la conduite de tir. L’entreprise espère pouvoir prochainement être autorisée à faire un premier tir de démonstration avec des munitions déjà existantes. Un test sur route a déjà été effectué. En cas de succès, la solution souveraine développée par Turgis Gaillard pourrait vraisemblablement être disponible rapidement et permettrait, selon l’entreprise, d’éviter la rupture temporaire de capacités des LRU en 2027. « Si ce vide capacitaire n’est pas comblé à court terme, le risque pour l’armée française est de devoir se doter d’un système comme l’Himars (lance-roquette américain, ndlr) » raconte au Figaro Fanny Turgis, la cofondatrice de Turgis Gaillard.

Enfin, l’artillerie française dispose aussi de 12 canons tractés (TR-F-1 de 155 mm) et de plus de 92 mortiers dont la densification a été amorcée depuis 2024 après le Retex ukrainien.

Mais le constat va bien au-delà du simple inventaire. Le rapport met aussi en garde contre une rupture capacitaire de la filière munitions - il faut avoir en mémoire et à titre d’exemple que chaque jour près de 20 000 obus sont tirés par chacun des belligérants russe et ukrainien. Assurer la production et la disponibilité des munitions d’artillerie est devenu un enjeu de premier ordre. « Il est donc primordial que les industriels français augmentent de manière rapide et significative leurs capacités de production des obus, des charges propulsives modulaires ainsi que des fusées au-delà des augmentations de cadences déjà consenties » insistent-ils. Les lignes de production, en particulier pour les obus de 155 mm, sont jugées insuffisantes pour répondre à un conflit de haute intensité. Ils recommandent par ailleurs de rechercher aussi une plus grande standardisation des obus, charges modulaires et systèmes « afin de gagner une capacité de production supplémentaire » et offrir une plus grande interopérabilité. Les rapporteurs mettent en avant aussi que le manque de munitions est préjudiciable à l’entraînement et à la préparation opérationnelle des artilleurs et que ce manque de munitions n’est que partiellement compensé par la simulation.

En somme, le rapport dessine une feuille de route ambitieuse pour une refondation en profondeur de notre système d’artillerie avec un seul objectif : « doter la France d’une artillerie « bonne de guerre » au moment où la guerre sévit de nouveau aux portes de l’Europe » écrivent-ils en conclusion. 

*Rapport d’information n°1356 en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le thème de « l’artillerie à l’aune du nouveau contexte stratégique »

Une armée russe “artillo-centrée”
La doctrine russe a toujours accordé une place prééminente à l’artillerie et ce depuis le XVIIIème siècle. Staline parlait de l’artillerie comme du « Dieu de la guerre ». Orientée pour le combat de haute intensité, la manœuvre terrestre russe continue de reposer en partie sur une forte densité des feux.
Selon les informations transmises aux rapporteurs, chaque régiment et brigade russe serait pourvu d’environ 18 canons à chaque niveau, auxquels il faudrait rajouter les systèmes de lance roquettes et de frappes à longue portée terrestre. Les unités d’artillerie russes utilisent massivement les drones ainsi que les capacités de guerre électronique afin de bénéficier de capacités de localisation extrêmement précises combinées à de la saturation.
Par ailleurs, « la doctrine russe contemporaine dérive de la doctrine soviétique qui prescrivait un emploi massif de l’artillerie, notamment au moyen de tirs a priori » précise le rapport.
Sources : rapport d’information

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