Print this page

Pour une réouverture des accueils physiques dans les services publics

Adoptée par l’Assemblée le 30 novembre dernier, la proposition de loi des députés Insoumis a été déposée au Sénat début décembre. Les Insoumis font feu de tout bois pour qu’elle soit débattue et surtout votée par les sénateurs.

Le vote de la proposition de loi tendant à la réouverture des accueils physiques dans les services publics portée par la députée Danièle Obono n’était pas acquis. La proposition de loi qui était présentée dans le cadre de la niche parlementaire LFI a pourtant été adoptée le 30 novembre dernier par 122 voix pour, 29 voix contre et 37 abstentions.

« Continuité, égalité, adaptabilité : ces grands principes censés guider les services publics sont systématiquement bafoués par une dématérialisation tous azimuts synonyme d’abandon » dénonce Danièle Obono (LFI, Paris) dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi. La députée s’appuie aussi sur le constat de la défenseure des droits qui dans un rapport de février confirmait la gravité de la situation en alertant sur la rupture d’accès aux droits que constitue la dématérialisation pour de nombreuses personnes âgées, étrangères, en situation de précarité mais aussi – contrairement aux idées reçues – pour un ou une jeune sur quatre qui indique rencontrer des difficultés pour réaliser des démarches en ligne. « On parle de dématérialisation, moi je parle de déshumanisation du système. On ne met plus personne devant les gens. On les laisse se débrouiller avec des moyens auxquels ils n’ont pas accès » expliquait déjà en 2021, Houria Rahmouni Benahmed, coordinatrice de l’association Zy’va à Nanterre.

Un constat pas nécessairement faux, peut être exagéré mais qui repris par la députée permet de dénoncer « la réduction du champ de l’État social ». « La numérisation, qui aurait pu signifier une facilitation des démarches administratives pour tous et toutes et qui aurait dû bénéficier au plus grand nombre, sert en réalité une politique de casse du service public » s’emporte-t-elle. Si elle admet que dans certains cas, la dématérialisation peut faciliter les démarches des usagers, Danièle Obono estime toutefois que la voie choisie par l’Etat est plutôt celle d’une approche purement comptable et budgétaire avec des objectifs de « productivité » au prétexte de vouloir pallier à la disparition des services publics sur certains territoires. Des services publics qui, selon elle, n’en finissent d’ailleurs pas de fermer avec une nette accélération après la période covid constate-t-elle. Pour la députée, il ne fait donc aucun doute qu’avec la fermeture des guichets physiques, « c’est l’élargissement des fractures sociales ».

Au-delà de l’éloignement des usagers de leurs services publics, Danièle Obono pointe également la perte de « notre capacité à faire société ». Près d’un quart des citoyens ont aujourd’hui le sentiment de vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics du fait des difficultés d’accès aux services publics signale l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) du Crédoc. Ce qui n’est pas sans danger pour notre société soulignent plusieurs associations qui pointent un risque de déstabilisation de l’ordre social.

Et puis combien de personnes n’ont pas accès au numérique, faute de moyen ou par incapacité à s’en servir ? Près de 15 % de Français sont aujourd’hui sans connexion internet à domicile, 22 % ne disposent ni d’un ordinateur, ni d’une tablette, et seulement 30 % des zones rurales et de montagnes sont couvertes par la fibre. Pour remédier à ces difficultés, Emmanuel Macron relançait en 2019 les « maisons France services », devenues « espaces France services ». Ce dispositif était présenté comme permettant « à chaque citoyen quel que soit l’endroit où il vit, en ville ou à la campagne, d’accéder aux services publics et d’être accueilli dans un lieu unique, par des personnes formées et disponibles, pour effectuer ses démarches du quotidien ». Un peu plus de 2 ans après cette annonce et suite à l’ouverture de quelque 2543 « espaces France services », « les objectifs fixés sont très loin d’être atteints, et l’arnaque de ce service public dégradé apparaît au grand jour » s’agace Danièle Obono qui voit alors dans la réouverture des accueils physiques, « la seule garantie d’un service public de qualité ». Lors de son audition, la défenseure des droits a, à son tour estimé que « le seul moyen de respecter les droits des usagers est de garantir un principe de double entrée dans les services publics, qui passe nécessairement par la réouverture d’accueils physiques ». Et Claire Hédon d’enfoncer le clou : « Ce n’est pas possible de faire que de la dématérialisation. Il est indispensable de pouvoir aller rencontrer un agent de service public, de pouvoir exposer les difficultés ».

Dans un souci de défense du service public et de ses usagers, Danièle Obono a donc déposé sa proposition de loi qui dans son article premier institue à la charge de l’administration l’obligation de proposer diverses modalités d’accès aux services publics ainsi que la possibilité d’un accompagnement humain adapté tout au long des démarches administratives, « ceci afin de pallier une saisine uniquement dématérialisée et aux fins de garantir un recours effectif aux usagers et usagères du service public ». Le deuxième article prévoit les modalités de financement des dispositions contenues dans la présente proposition de loi, à savoir par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs mais aussi pour les collectivités d’une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

Après la première étape de l’Assemblée passée, les Insoumis espèrent bien avoir le même résultat au Sénat pour remporter « une victoire parlementaire ». « Si on décroche cette loi, ça va changer et simplifier la vie de millions de personnes » assure avec confiance et résignation la cheffe de file LFI à l’Assemblée, Mathilde Panot


22 % de la population ne dispose ni d’un ordinateur ni d’une tablette à domicile et 15 % n’ont pas de connexion internet et seulement 30 % des zones rurales et de montagnes sont couvertes par la fibre.

375 K2_VIEWS