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Ukraine : “Les démocraties occidentales ont manifestement sous-estimé la détermination de Poutine”

Entretien avec Charles de la Verpillière, Député (LR, Ain), Vice-président de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées

Votre rapport a été présenté en commission quelques heures seulement avant le déclenchement du conflit ukrainien. Aurait-il dû être rendu plus tôt ? Quelles réactions cela vous inspire-t-il ?

Le 3 novembre 2021, la Commission de la défense de l’Assemblée nationale avait créé une mission d’information sur la situation stratégique dans « l’espace baltique » : Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne. Elle avait désigné Jean-Charles Larsonneur et moi-même comme rapporteurs.

Rapidement, il est apparu que notre mission ne pouvait se limiter à l’espace baltique et qu’il convenait de l’étendre à d’autres Etats du continent européen, membres ou non de l’OTAN et/ou de l’Union européenne, ayant une frontière commune avec la Russie : Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Roumanie. La nécessité de cet élargissement nous est apparue une première fois à Tallinn, le 22 novembre : tous nos interlocuteurs estoniens nous ont annoncé que la Russie attaquerait en février, après les jeux olympiques d’hiver ! Un peu surpris, nous avons, bien entendu, rendu compte à Paris. Puis les évènements se sont précipités : crise migratoire déclenchée par la Biélorussie ; menaces de plus en plus pressantes de la Russie à l’encontre de l’Ukraine…

La succession de ces évènements nous a conduits à modifier au fur-et-à-mesure notre projet de rapport, dont la version définitive n’a pu être présentée à la Commission de la défense que le 23 février, la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ! Député d’opposition, je peux néanmoins attester que nous n’avons subi aucune pression en vue de retarder la publication du rapport, même si certains diplomates que nous avions rencontrés avaient trouvé nos inquiétudes et nos alarmes un peu excessives…

Vous évoquez dans votre rapport plusieurs foyers de tension. Mais au-delà des provocations russes et biélorusses, l’Occident ne doit-il pas faire aussi son autocritique (Crimée, Accords de Minsk, extension de l’Otan…) ? La réaction européenne et de la France ont-elles été suffisantes ?

Il est toujours facile et tentant après coup de dire ou d’écrire qu’un évènement était prévisible. L’histoire nous enseigne cependant qu’un dictateur est toujours enclin – ou contraint dans une forme de fuite en avant – à poursuivre son avantage tant qu’on ne lui résiste pas : c’est la « stratégie de la baïonnette » évoquée dans le titre du rapport. Les démocraties se trompent lorsqu’elles croient amadouer un dictateur en lui faisant des concessions : c’est l’esprit de Munich, dénoncé par Churchill. « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ! ».

En l’occurrence, les démocraties occidentales ont manifestement sous-estimé la détermination de Poutine, à la fois conscient du déclin de son pays et désireux de retrouver les frontières de l’ancienne URSS. Il est regrettable en particulier que le processus de Minsk n’ait pas été poursuivi. Nous avons également fait preuve de faiblesse en ne réagissant pas à l’annexion « de facto » de la Crimée.

Et maintenant, que faire ? Quel avenir pour nos relations dans la région ?

Que nous réserve l’avenir ? A l’heure où j’écris ces lignes, l’issue du conflit déclenché par l’invasion de l’Ukraine par la Russie est encore très incertaine. Il n’est pas impossible qu’une solution négociée puisse mettre fin aux combats. Dans le meilleur des cas, l’Ukraine pourrait conserver sa souveraineté au prix de sa neutralité, du renoncement à intégrer l’OTAN et de l’abandon du Donbass. L’accès à la mer d’Azov et à la mer noire sera certainement un point très dur des négociations. Mais on ne peut exclure la poursuite des combats et l’enlisement du conflit.

Quoi qu’il arrive, les USA et l’UE ne devront en aucun cas baisser la garde :

• Les sanctions ne devront pas être levées avant l’achèvement des négociations et l’évacuation du territoire ukrainien par les troupes russes ;

• L’effort de réarmement des démocraties devra, en toute hypothèse, être poursuivi et amplifié.

A défaut, c’est la « stratégie de la baïonnette » qui s’appliquerait, pour le plus grand malheur de l’Europe et du monde libre. Et la Russie ne serait probablement pas seule à mettre en oeuvre cette stratégie… 

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