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La communauté du renseignement au rapport

Le rapport public (version expurgée des éléments classifiés) de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) dresse un état des lieux des enjeux d’actualité liés à la politique du renseignement de l’année écoulée et fait plusieurs propositions.

En dépit d’une année de confinement, la communauté du renseignement n’a pas chômé, la DPR non plus. L’année 2020 a en effet été marquée par « de nouveaux attentats meurtriers et le traumatisme de l’assassinat de Samuel Paty, la résurgence d’actions violentes sur la voie publique, la multiplication d’attaques cyber contre des systèmes informatiques stratégiques ou encore des révélations d’espionnage d’État ». Et si au cours de cette période compliquée, les priorités ont été redéfinies au regard, notamment, des ressources humaines disponibles et des contraintes pesant sur la conduite de leurs opérations, « globalement, les missions qui y étaient identifiées comme essentielles ont été maintenues » souligne avec soulagement la DPR.

Les chiffres délivrés par le rapport montrent à quel point le renseignement est un outil essentiel à la prise de décision. En 2019, ce sont ainsi pas moins de 15 123 notes qui ont été produites par les services de renseignement, soit plus qu’en 2018 (13 607) mais légèrement inférieur à 2015 (16 722 notes) au plus fort de la menace terroriste. Une fois produites, ces notes sont ensuite diffusées. On a comptabilisé en 2019, 279 509 transmissions des notes dont 23 778 à la Présidence de la République – soit plus de 65 notes quotidiennes ! -, 28 405 au sein des cabinets ministériels et 227 326 au sein de l’administration d’État. « Le ministère des Armées est, de loin, celui qui compte le plus grand nombre de destinataires » indique la députée Françoise Dumas (LREM), présidente de la délégation et de la Commission de la Défense et des forces armées de l’Assemblée. Les enquêtes diligentées en matière de renseignement ont principalement concerné la lutte contre le terrorisme. Il faut noter que la part des actions relevant des finalités de défense des intérêts majeurs de la politique étrangère a progressé tandis que celle relative à la criminalité et à la délinquance organisées a baissé (de 18 % à 11 %). Les actions relevant de la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions (de 1 % à 4 %) ont également augmenté « en raison de l’implication de militants des mouvances radicales dans les manifestations de voie publique » peut-on lire dans le rapport.

La délégation se félicite de la progression constante des ressources allouées aux services de renseignement, « qu’elles soient budgétaires ou humaines » avec une hausse annuelle de 9,59 % des crédits en fonds normaux et une augmentation de 3,1 % des effectifs (22,1 % entre 2015 et 2019) (1).

Tirant ensuite les enseignements des attentats récents, la DPR suggère fortement de « renforcer les échanges avec le monde psychiatrique et les préfets dans le cadre de la lutte contre la radicalisation ». Le rapport rappelle en effet que 15,8 % des personnes enregistrées dans le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) présenteraient des troubles psychiatriques. La DPR insiste aussi sur la nécessité d’apporter une réponse rapide aux signalements effectués sur les réseaux sociaux comme l’a tristement montré l’assassinat de Samuel Paty. Au lendemain de cet attentat, le Premier ministre avait d’ailleurs annoncé le renforcement des effectifs de la plateforme Pharos, au sein de la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité de la direction centrale de la police judiciaire. Elle prend acte également de l’efficacité des nouveaux dispositifs juridiques de lutte contre l’Islam politique « avec la fermeture des lieux de culte et l’extension à leurs dépendances ».

Toutefois, la délégation pointe deux motifs de préoccupation au regard de la menace terroriste toujours très présente : il s’agit d’une part du risque lié aux sortants de prison et d’autre part de la reconstitution possible d’une menace projetée au vu de la dégradation de la situation sécuritaire au Moyen-Orient. « Il ne faut pas sous-estimer la reconstitution de réseaux terroristes dans la zone irako-syrienne. Les personnes retenues dans les camps du nord est syrien représentent un vivier stratégique pour Daesh, en particulier les mineurs considérés comme de véritables lionceaux du califat » s’inquiète notamment Françoise Dumas.

Face aux menaces multiples et protéiformes qui n’ont pas cessé pendant la crise sanitaire et qui ont parfois même pris de l’ampleur (menaces terroristes, ingérences, trafics et fraudes…), le rapport fait une large place au renseignement territorial (RT), les anciens RG. Ce « maillon essentiel du renseignement » est « en première ligne face aux nouveaux risques d’atteinte à l’ordre public et à la prévention du terrorisme, s’agissant de la surveillance du bas du spectre » explique le sénateur François-Marie Buffet, Premier vice-président de la délégation. Des nouveaux risques qui ont bien été bien identifiés et qui évoluent dangereusement comme les phénomènes contestataires (gilets jaunes, ultra-droite, ultra-gauche, mouvements radicaux et subversifs), liés à des problématiques extérieures au territoire national, à l’instar du mouvement #metoo ou de celui des « Black Lives Matter », « plus nombreux et souvent plus violents » qui touchent l’ensemble du territoire national, tant en milieu urbain que dans le monde rural. « L’évolution des modes opératoires rend l’expression de ces contestations souvent moins prévisibles et plus difficiles à appréhender » déplore la DPR qui insiste sur la nécessité de renforcer sans plus attendre le RT. « Plutôt qu’une nouvelle réforme de son organisation administrative, le renseignement territorial a surtout besoin de disposer des moyens de ses ambitions, dans une période où l’évolution des menaces lui confère un rôle stratégique » conclut sur ce sujet le rapport qui propose notamment de « confier au renseignement territorial le chef de filât sur la prévention et le suivi des subversions violentes, à l’instar de la DGSI dont le rôle de chef de file a été consacré en matière de lutte contre le terrorisme »


(1) En 2019, les effectifs des services de renseignement et de leurs structures d’appui se sont établis à 20 168 agents, la DGSE, la DGSI et le SCRT concentrant 72 % des personnels.


La Délégation parlementaire au renseignement est une instance commune à l’Assemblée nationale et au Sénat. Créée par la loi du 9 octobre 2007. Composée de 8 parlementaires (4 députés et 4 sénateurs) et a pour mission d’exercer le contrôle parlementaire sur l’action du Gouvernement et d’évaluer la politique publique en ce domaine. La récente loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, renforce les prérogatives de la DPR qui voit son droit à l’information et son pouvoir d’audition élargis.

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