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Loi Avia : une adoption suivie d’une censure

Premier texte hors crise du Coronavirus, la proposition de loi de Laetitia Avia (LREM) visant « à mettre fin à l’impunité de la haine en ligne » a été définitivement adoptée à l’Assemblée le 13 mai, non sans débat… Mais voilà que la censure par le Conseil constitutionnel remet tout en cause.

Pour cause de crise sanitaire et des nouvelles règles de distanciation mise en œuvre à l’Assemblée, il n’y avait pas foule dans l’hémicycle pour voter le texte controversé de la députée LREM Laetitia Avia le 13 mai dernier. Avec une application prévue dès le mois de juillet. Ce texte prévoit que les moteurs de recherche et les plateformes comme Facebook, Twitter ou YouTube, seront dans l’obligation de retirer sous 24 heures, les propos et contenus incitant à la haine, à la violence comme les injures à caractère raciste ou contre la religion. En cas de non-respect, ils pourront être condamnés à des amendes pouvant aller jusqu’à 1,25 million d’euros. Un texte au combien d’actualité, comme l’a rappelé le Secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O soulignant qu’en cette période de confinement « la haine en ligne a[vait] augmenté » et que ses auteurs « se sentaient plus que jamais intouchables ».

Dans son ensemble, la majorité LREM, MoDem et les députés UDI-Agir ont voté à main levée le texte Avia. Sur les autres bancs, les Socialistes se sont abstenus tandis que LR, les députés du groupe Liberté et Territoires, LFI et RN votaient contre un texte que beaucoup jugent « liberticide » dans une ambiance surchauffée. Les Communistes eux avaient opté pour le boycotte de la séance dénonçant un « fonctionnement inacceptable » de l’Assemblée nationale, avec une présence réduite de 150 députés pour raisons sanitaires.

Ce texte, fruit de la volonté du Chef de l’Etat et d’un important plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme de 2018 n’en est pas à ses premiers soubresauts. Dès sa présentation en avril 2019, il n’a jamais cessé d’être modifié, reformulé, corrigé, amendé sous la pression, les questionnements et surtout les critiques de nombreux observateurs et spécialistes du sujet. Attentifs aux libertés individuelles dans le mode d’Internet, le Conseil national du numérique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et la Quadrature du Net avaient alerté sur les risques d’un texte qui menace la liberté d’expression. Même la Commission européenne avait souhaité que les contenus incriminés soient mieux définis.

Très rapidement, la Droite avait annoncé préparer une saisine du Conseil constitutionnel pour « non-conformité aux normes françaises et européennes garantissant la liberté d’expression » et « disproportionnalité ». Le Conseil constitutionnel a semble-t-il entendu les arguments des sénateurs (voir ci-dessous). Lors de sa discussion au Sénat, Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR au Palais du Luxembourg avait vertement critiqué un texte qui laissait aux GAFA« le soin de réguler une liberté publique ». Il n’avait alors par hésiter à parler d’« une société de la surveillance généralisée ». Et ce d’autant plus que ce texte fait suite à une précédente loi polémique contre les « fake news », adoptée fin 2018. L’adoption de la loi Avia intervient aussi après la controverse liée à « Désinfox Coronavirus », une plateforme hébergée sur le site du Gouvernement qui regroupait des articles de presse jugés défavorablement. Il avait finalement été fermé après les violentes protestations des médias.

Pour leur part, les plateformes tout en se félicitant ouvertement de ces avancées dans la lutte contre les propos haineux, disaient s’inquiéter des obligations de retrait extrêmement courtes – 24 heures – les contraignant à prendre des décisions très (trop) rapides au risque de polémiques et conflits juridiques. Les plateformes avaient aussi pointé l’obligation de transparence de moyens et de résultats obtenus et de coopération avec la Justice, tout cela sous le contrôle du CSA. Elles demandaient aussi que l’application du texte soit repoussée pour leur permettre de se préparer, d’embaucher et de former leurs employés. 


Le Conseil constitutionnel censure la Loi Avia
Dans sa décision rendue publique le 18 juin, et tout en réaffirmant que la Constitution permet au législateur de réprimer les abus de la liberté d’expression et de communication, les Sages de la rue Montpensier ont déclaré non-conforme à la Constitution l’article 1er du texte. Avec la mesure de la loi obligeant les plateformes et moteurs de recherche à retirer sous 24 heures « délai extrêmement bref » soulignent les juges - les contenus « manifestement » illicites, sous peine d’être lourdement condamnés, le Conseil a estimé que « le législateur a porté à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi ». « Compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement et de l’absence de cause spécifique d’exonération de responsabilité, écrivent les juges, les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ». Cette censure met ainsi à terre la loi Avia qui avait fait de ce délai de 24 heures, le « cœur du texte ». Les Sages ont également censuré la disposition concernant le délai imposé d’une heure pour les contenus terroristes ou pédopornographiques en cas de notification par les autorités publiques. Une censure qui entraîne par effet domino, la censure d’autres articles du texte.
Prenant acte de la décision, le gouvernement a annoncé qu’il « étudiera la possibilité de retravailler ce dispositif ». Pour sa part, la députée Avia a indiqué à l’AFP que c’était « un combat de longue haleine et qui demande une prise de conscience. C’est devenu un débat de société, le sujet n’est plus minoré, ce qui est positif ».
Dans l’opposition, on se réjouit de cette censure. Pour le « patron des sénateurs » LR au Palais du Luxembourg, Bruno Retailleau, à l’origine de la saisine, « la loi est décapitée sur la place publique ». Et d’ajouter : « On ne doit pas confier aux Gafa le pouvoir exorbitant de privatiser la censure et d’entraver la liberté d’expression » saluant cette décision comme « une victoire pour les amoureux de la liberté et un désaveu pour tous ceux qui font profession de bien-pensance ». Pour Marine Le Pen qui jugeait que la loi Avia « portait une atteinte sans précédent à la liberté d’expression », « le gouvernement se heurte à l’État de droit ». « Lourde défaite pour (la ministre de la Justice Nicole) Belloubet. La volonté liberticide en échec » a pour sa part tweeté Jean-Luc Mélenchon.

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