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Prévenir la radicalisation dans les services publics

Par Eric Poulliat, Député de la Gironde, co-rapporteur de la mission d’information sur la radicalisation dans les services publics

Les services publics sont une spécificité – et une force – de notre pays. Rares sont les Etats où ils occupent une place aussi centrale, aussi stratégique, qu’en France.

Ce positionnement, au cœur de nos institutions et de la vie de nos concitoyens, a justifié la mise en place de modalités de recrutement et de formation particulières, afin de donner naissance à un corps d’agents pleinement acquis au service de l’intérêt général et de la démocratie.

Pour autant, ce mécanisme ne peut garantir une imperméabilité totale des services publics à toute forme d’extrémisme violent ou de radicalisation. Les récents évènements survenus à la Préfecture de Police de Paris, frappée au cœur par l’un des siens, sont venus nous le rappeler avec violence.

Rappelons d’abord, si besoin est, que les services publics sont loin d’être restés spectateurs de la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme djihadiste qui s’est développée depuis 2015. Ils se sont largement emparés de la loi SILT, qui a étendu dès 2017 le champ des enquêtes administratives créées par la loi Savary en 2016. Ils déploient des formations à destination de leurs agents, avec le soutien actif du CIPDR. Enfin, ils mettent progressivement en place les mesures sectorielles détaillées en 2018 par le Plan national de prévention de la radicalisation. Grâce à ces efforts, le taux de personnels suivis pour risque de radicalisation est très faible.

Pourtant, la réalité a montré qu’il peut suffire qu’un individu passe sous les radars pour qu’un attentat ait lieu. Il nous faut donc être encore plus exigeants en matière de lutte contre la radicalisation. Le rapport d’information sur la radicalisation dans les services publics, que j’ai présenté en juin dernier au côté d’Eric Diard, formule en ce sens plusieurs propositions.

La priorité doit être la formation car les services de renseignement, aussi outillés qu’ils puissent être, resteraient impuissants sans remontées d’informations de la part des agents sur le terrain. Cette démarche n’est souvent pas simple dans des structures où l’esprit de cohésion, voire de famille, est fort et où la discipline interne est souvent privilégiée. Il faut donc dialoguer avec les agents pour qu’ils réalisent que relayer un comportement qui heurte nos principes républicains est bien un impératif de protection et non une délation. Il faut également définir avec eux ce que sont des signaux faibles : les remontées doivent se faire sur une base solide, et pas selon les appréciations et les goûts de chacun. C’est un débat indispensable pour lutter contre les stigmatisations et contre la généralisation de soupçons envers une partie de nos concitoyens.

En parallèle, les services de renseignement doivent affiner encore davantage leur analyse de ces témoignages. Pour cela, l’extension du criblage (à l’embauche) et du rétro-criblage (en cours de carrière) à des professions extrêmement sensibles, comme les sous-traitants, les acteurs en contact avec les mineurs et les publics fragiles mais aussi les services informatiques, dans un contexte de menace cyber, est incontournable pour repérer et écarter les personnes radicalisées de la fonction publique. Il faut donc revoir à la hausse les moyens humains, budgétaires et juridiques du SNEAS, qui se charge de ces enquêtes.

Quant aux mécanismes de sanction et d’écartement des agents radicalisés en cours de carrière, ils existent déjà dans une large mesure, même si certains obstacles juridiques doivent encore être levés pour permettre aux employeurs publics de s’en emparer pleinement et efficacement.

Face à une telle menace, si discrète et si protéiforme, le risque zéro n’existera jamais : la lutte contre la radicalisation restera un effort de tous les jours. Elle doit aussi être un effort de tous : n’oublions jamais que toutes ces mesures de sécurité, même si nous devons continuer à débattre démocratiquement pour en définir les limites, ont pour objectif la protection de nos concitoyens. Vigilance et bienveillance sont loin d’être inconciliables, si l’on met à la disposition des agents les formations et les outils adaptés. 

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